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La parole aux pasticheurs

Différents acteurs contemporains du pastiche
Différents acteurs contemporains du pastiche
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Avec l’émergence des réseaux sociaux et la transformation des manières de s’informer, de nombreux médias papiers ou télés ont entrepris de communiquer leur contenu éditorial et actualités de dernière minute via leurs comptes Twitter, Facebook ou Instagram. Pas question pour les artisans du rire de rester sur le carreau ! Nombre d'initiatives de pasticheurs contemporains ont commencé à fleurir sur ces mêmes réseaux, brouillant parfois les pistes entre actualités réelles et détournements volontaires. Nous avons décidé de laisser la parole à quelques-uns d’entre eux, non pour figer le propos sur le pastiche de presse, mais plutôt pour en laisser entrevoir les genèses plurielles. 

Presse sportive

Fédération Française de la Lose

« La France a toujours eu un rapport spécial à la défaite. De Poulidor à Laurent Fignon en passant par Séville 1982 et le but de Kostadinov, les tragédies sportives et les perdants magnifiques ont été romantisés et sublimés dans notre inconscient collectif. Car si la France ne perd probablement pas plus qu’une autre nation, nous avons la certitude qu’elle perd MIEUX

Car si la France ne perd probablement pas plus qu’une autre nation, nous avons la certitude qu’elle perd MIEUX.

Ce fameux panache à la française, transmis de génération en génération, nous avons décidé en 2015 de le mettre en valeur en créant la Fédération Française de la Lose. La mission de notre fédération est simple : plutôt que de pleurer nos défaites et échecs, nous avons décidé d’en rire. Notre ligne éditoriale consiste à célébrer la France qui perd en plaçant l’autodérision en valeur cardinale.

En sublimant la défaite et en fustigeant les victoires, nous servons parfois de catharsis aux supporters, voire aux sportifs eux-mêmes qui se prennent au jeu. »

L'Iquipe

« Le sport est un sujet qui réunit et divise tous ses amoureux. Nous avons décidé d’en parodier sa Bible, L’Équipe, estimant que le sujet était bien trop grave pour certains pour ne pas être moqué. L’Iquipe a vu le jour le 1er février 2021, porté par une actualité footballistique brûlante qui touchait l’un de nos plus grands clubs français. Bercés depuis plusieurs années par Le Gorafi, la FFL et autres, nous avons choisi d’axer nos parodies principalement sur le "visuel". Si le sport est une mine d’histoires rocambolesques, son plus bel ambassadeur dans ce domaine reste le football qui nous régale quotidiennement d’informations pour le moins inspirantes. 

Si des supporters ont fustigé nos unes au commencement, ils ont appris eux aussi à se moquer de leurs idoles et c’est peut-être là notre seule et unique raison d’exister.

Si le sujet est sensible pour certains, l’autodérision est pour nous essentielle et si des supporters ont fustigé nos unes au commencement, ils ont appris eux aussi à se moquer de leurs idoles et c’est peut-être là notre seule et unique raison d’exister. »

Presse régionale

Corse-Machin

Pastiche de Corse-Machin
Pastiche de Corse-Machin

« Le 8 Décembre 2015, constatant une humeur maussade massive grimpant sur Internet après les attentats du Bataclan, je postais une blague sur ma page Facebook en parodiant le Journal local. Amusé par le succès de cette publication, je me lançais un challenge : "Combien peux-tu tenir en taquinant l'actualité quotidiennement ?"

Combien peux-tu tenir en taquinant l'actualité quotidiennement ?

Les invitations d'inconnus commençant à affluer, je décidais d'ouvrir une page dédiée à Corse-Machin, qui est devenu en moins d'un an le média le plus suivi de l'île.

N'étant pas un véritable magazine d'information, j'en ai néanmoins suivi les mêmes règles éthiques. Bien que menant seul cette création, j'ai toujours vérifié mes sources et la véracité des informations traitées. Ayant choisi de rire de tout et de tous (des Corses aussi, la moindre des choses étant de commencer par rire de soi), je n'ai propagé pour autant aucune idée discriminatoire ou autres appels à la haine, m'évertuant à ne pas "rire de" mais de "rire avec", comme la pluralité de mon lectorat en atteste. C'est un exercice compliqué que de faire de l'humour sur des sujets parfois dramatiques, mais l'humour n'a-t-il pas vocation à dédramatiser, justement ? »

Courrier Briard

Un pastiche du Courrier Briard.
Un pastiche du Courrier Briard. |

Courrier Briard

« Courrier Briard est né en mai 2019 du bout des doigts d’un "jeune" Seine-et-Marnais. J’avais souvent des idées d’articles parodiques en tête, et je sentais que notre département avait un potentiel parodique notable. Il y a de nombreux journaux parodiques locaux et nationaux, mais aucun sur la Seine-et-Marne. Inspiré par les plus grands (Le Gorafi, The Onion…), c’est ainsi que j’ai créé Courrier Briard. L’objectif était double : faire rire les gens et parler des richesses de Seine-et-Marne. J’adorerais créer un sentiment de chauvinisme chez les Seine-et-Marnais. Je suis majoritairement seul dans ce projet. Après, je reçois de temps en temps des suggestions d'articles, des lecteurs ou d'amis, ça m'aide beaucoup.

En Seine-et-Marne, il y a pas mal de richesses culturelles et gastronomiques, mais une ressort particulièrement : le fromage de Brie.

En Seine-et-Marne, il y a pas mal de richesses culturelles et gastronomiques, mais une ressort particulièrement : le fromage de Brie. Donc c'est évidemment un des "running gags" du journal. Après, j'essaye de diversifier et de toujours trouver des nouveaux trucs très locaux à "pasticher". L'idéal est quand je réussis à lier un sujet d'actualité national à un élément local. La difficulté est liée à la grande taille du département de Seine-et-Marne, une spécialité du Sud de la Seine-et-Marne peut être pratiquement inconnue dans le Nord et inversement.

Mais en écrivant des articles, j’ai découvert quelque chose dont je n’imaginais pas l’envergure : la crédulité des gens. Sur Facebook, j’ai vu régulièrement des personnes s’indigner et commenter au premier degré certains articles. Il n’a jamais été aussi facile de vérifier une information, et pourtant les gens continuent de croire sans sourciller au premier truc qu’ils lisent sur internet.

Si nous, pasticheurs, nous arrivons à faire rire les uns et à renforcer la méfiance des autres, on aura tout gagné. »

De la presse régionale à la presse nationale

L'Écho de la boucle

« L'Écho de la boucle a été créé en 2014. Au départ, notre idée était de créer une "actualité locale alternative et presque crédible" pour faire sourire nos lecteurs, à la manière de la véritable presse locale mais avec une dose d’absurde évidente.

Nos articles étaient initialement cantonnés à l’actualité de notre ville (Besançon) mais aussi de notre région (la Franche-Comté devenue depuis la Bourgogne Franche-Comté). Au-delà de la simple rigolade, nous aimons caresser l’idée qu’à travers ces fausses informations, nous titillons l’esprit critique de nos contemporains et les incitons à être plus vigilants vis à vis de leurs sources d’information. Notre article sur la vache-radar du Haut-Doubs et son photomontage tourne encore et avait piégé beaucoup de monde à l'époque.

Un tweet de l'Écho de la boucle
Un tweet de l'Écho de la boucle

Très vite, dès 2014, nous avons vu certaines de nos "in-faux-mations" prises au premier degré et même reprises parfois au niveau national par de vrais journalistes et mêmes des élus. La publication d’un tweet sur la Fantastique Galette de Besançon a d’ailleurs provoqué beaucoup de réactions en janvier 2022…Nous publions aujourd'hui moins d’articles sur notre site mais sommes très actifs sur Twitter. Nous traitons désormais de sujets dépassant largement les limites de notre région et nous nous permettons de pasticher l’actualité nationale en détournant "à peine" la réalité…Nous nous définissons aujourd'hui comme une "agence de presque". »

Presse féminine

ParentsProf le Mag

« Les livres ParentsProfs 1 et 2, publiés en 2018 et 2019 aux Editions Jungle, sont des pastiches de magazines féminins. L’idée est d’en imiter le style, de détourner leurs contenus dans un objectif bien évidemment satirique. Ainsi, nous avons lu et relu Grazia, Biba et autre Marie-Claire, répertorié les rubriques, de l’éditorial engagé à l’horoscope, listé le vocabulaire récurent, tels ces termes hybrides issus de l’anglais auxquels on ajoute le suffixe "-ing".

Pasticher les magazines féminins est notre manière d’affirmer que l’éducation est aussi une question masculine.

Dans des livres aux couleurs pop, nous nous sommes appropriés les codes des magazines féminins pour traiter notre sujet de prédilection, l’éducation. La rubrique style est l’occasion d’aborder le look de l’enseignant, la rubrique sexo la perte du désir pédagogique pour un prof en fin de carrière. Nous avons également rendu hommage au magazine Nous deux avec un roman-photo sur une histoire improbable entre une directrice d’école et un animateur périscolaire. L’occasion pour nous d’aborder le lien entre l’Éducation nationale et l’éducation populaire. Un pastiche, de notre point de vue d’auteurs, n’est en effet pertinent que s’il est porteur de sens.

Le choix du pastiche de la presse féminine est pour nous l’occasion pour nous d’affirmer nos valeurs. Féministes, sensibles à la question des clichés sexistes, nous souhaitons nous approprier les codes des magazines féminins pour traiter des questions d’éducation, le sujet qui nous passionne en tant qu’auteurs mais aussi en tant qu’individus. Boualem est parent, Stéphane est prof et nous nous sommes rencontrés tous les deux dans notre carrière d’animateurs pour enfants. Pasticher les magazines féminins est notre manière d’affirmer que l’éducation est aussi une question masculine.

Enfin, ces pastiches ne constituent pas nous une moquerie gratuite de cette presse spécifique. En forçant le trait, en décalant l’existant pour laisser la comédie s’installer, nous rendons hommage à ces magazines qui nous accompagnent encore aujourd’hui. D’où cette question : finalement, ne pastiche-t-on pas ce qu’on aime ? »          

Provenance

Ces témoignages ont été recueillis dans le cadre de l'exposition Pastiches de presse, présentée à la BnF du 4 avril 2023 au 29 octobre 2023.

Lien permanent

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