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Le conte, un genre en perpétuel renouvellement

Roland au combat et le pape remettant la vraie croix à l’archevêque Turpin
Roland au combat et le pape remettant la vraie croix à l’archevêque Turpin

© Bibliothèque royale de Belgique

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Si les premiers contes de fées écrits apparaissent dans l’Italie de la Renaissance, c’est avec Charles Perrault que naît un véritable genre littéraire. À la mode dans les salons, les « contes de bonnes femmes » deviennent « contes de précieuses ». Au 19e siècle, la collecte scientifique entreprise par les frères Grimm coïncide avec un renouvellement né du romantisme, qui s’épanouit chez Hans Christian Andersen.

 

Définition d’un genre

Souvent absentes du récit, les « fées » ne suffisent pas à caractériser le « conte de fées ». Cette expression désigne en fait un genre littéraire français plus large, correspondant à ce que les folkloristes appellent le « conte merveilleux ».

Histoires ou contes du temps passé. Avec des moralitez
Histoires ou contes du temps passé. Avec des moralitez |

Bibliothèque nationale de France

Le conte merveilleux se définit généralement par sa structure narrative, mise en lumière par les travaux de Vladimir Propp : un héros ou une héroïne, subissant un malheur ou un méfait, doit traverser un certain nombre d’épreuves et de péripéties – qui souvent mettent radicalement en cause son statut ou son existence – pour arriver à une nouvelle situation stable – très souvent le mariage ou l’établissement d’une nouvelle vie. Selon les cas, le conte peut combiner de très nombreux éléments, se répéter, et être aussi complexe que long. Ce schéma correspond souvent, pour les personnages, au passage de l’enfance à l’âge adulte, et notamment à la découverte de la sexualité. Les psychanalystes y voient l’expression organisée de fantasmes, et des récits de transformations du héros permettant d’atteindre une conscience supérieure, aidant à la construction de la personnalité.

Le conte de fées se définit aussi par le pacte féerique passé entre le conteur et son auditoire ou ses lecteurs. Ces derniers acceptent de croire à l’univers merveilleux et à ses lois, d’entrer avec le conteur dans un monde second sans rapport avec le nôtre. Ce monde où les héros sont comme anonymes, figures plus qu’êtres, où les distances et le temps varient, où toutes sortes de créatures peuvent se manifester, où tout, de la forêt à la clef, peut se révéler fée.

Un nouveau genre littéraire

Au 17e siècle, l’art du conte monte à Paris où il se prête à un véritable jeu de cour et de salon : hommes et surtout femmes de lettres rivalisent d’esprit et de style. De l’oral, le conte passe à l’écrit et devient « littéraire ».

Le père fondateur

C’est Charles Perrault qui met le genre à la mode grâce à ses Contes de ma mère L’Oye, histoires de nourrices ou de « mies », comme il a coutume lui-même de l’affirmer.

La rencontre dans la forêt
La rencontre dans la forêt |

Bibliothèque nationale de France

« Le Petit Poucet, s’étant approché de l’ogre, lui tira doucement ses bottes. »
« Le Petit Poucet, s’étant approché de l’ogre, lui tira doucement ses bottes. » |

Bibliothèque nationale de France

Composés à partir de 1691, les contes de Perrault comprennent trois contes en vers – Grisélidis (il s’agit en fait d’une nouvelle), Les Souhaits ridicules, Peau d’âne et huit en prose : La Belle au Bois dormant, Le Petit Chaperon rouge, La Barbe-bleue, Le Maître Chat ou Le Chat botté, Cendrillon, Le Petit Poucet, Les Fées, Riquet à la houppe. Les contes en vers sont publiés en 1694. Ceux en prose paraissent trois ans plus tard sous le titre Histoires ou Contes du temps passé, avec en frontispice un autre titre qui rappelle leur origine orale et populaire : Contes de ma mère l’Oye. Cependant, dès 1695, une copie manuscrite de cinq contes en prose avait déjà été offerte à Mademoiselle, Elisabeth-Charlotte d’Orléans, nièce de Louis XIV et dédicataire du livre.

Charles et Pierre Perrault

Dédicaçant son propre conte Marmoisan à la fille de Charles Perrault, sa nièce Marie-Jeanne L’Héritier fait mention en 1695 des « contes naïfs » qu’un des fils de l’académicien « a mis depuis peu sur le papier ». Il s’agit probablement de l’« agréable recueil » luxueusement copié pour être offert à Mademoiselle. La dédicace y est en effet signée des initiales de Pierre Perrault alors âgé de dix-sept ans.

C’est à ce dernier, sous le nom de Darmancour, qu’est accordé le 28 octobre 1696, le privilège d’imprimer les Histoires ou Contes du temps passé. Pour autant, nombre de contemporains y ont vu très tôt la main du père, à commencer par l’abbé de Villiers dans ses Entretiens sur les contes de fées.

Affiche pour Les Contes de Perrault
Affiche pour Les Contes de Perrault |

Elisabeth Smith © Adagp, Paris 2001

Si la paternité de l’œuvre prête encore à débat, celui-ci porte davantage sur les rôles respectifs des deux auteurs supposés dont la collaboration semble admise. Pierre aurait couché sur le papier quelques « contes de nourrices », Charles les aurait réécrits et complétés de moralités en vers, la mystification servant les intérêts du père autant que la carrière du fils. Car si simples et naïves que soient ces histoires, elles viennent à point nommé en illustration du Parallèle des Anciens et des Modernes dont la parution s’achève précisément en cette année 1697, démontrant que les contes « que nos aïeux ont inventés pour leurs enfants » sont plus moraux que ceux de l’Antiquité.

Puisant sa matière dans les traditions orales populaires, non sans avoir une connaissance directe ou indirecte de certaines occurrences littéraires, l’art du conteur réside dans la mise en écrit d’une oralité, devenue forme canonique et demeurée populaire par sa simplicité. Point de « broderies » comme les affectionne Mlle L’Héritier, mais une concision empreinte de charme, de poésie et d’humour qui font toute la saveur de ces histoires au succès assuré.     

1690-1702 : les Fées à la mode

Dans les dernières années du 17e siècle, les femmes entrent en force dans le royaume des fées et des ogres : après Marie-Jeanne L’Héritier, Marie-Catherine d’Aulnoy et Catherine Bernard animent les salons où se presse le beau monde.

La Lecture des contes en famille
La Lecture des contes en famille |

Bibliothèque nationale de France

Le style est bien l’enjeu de cette mode littéraire où l’émulation des salons fait rivaliser les conteurs sur des canevas parfois communs, ainsi de Riquet ou des Fées. Au regard de la chose imprimée, c’est à Mme d’Aulnoy que revient l’honneur d’avoir initié la mode du conte de fées littéraire avec l’insertion en 1690 de « L’Ile de la Félicité » dans Histoire d’Hypolite, comte de Duglas. Viennent ensuite les contes de Mlle L’Héritier, Catherine Bernard, Madame de Murat, le chevalier de Mailly…

Contes de fées naïfs, précieux, galants, leur vogue s’essouffle avec le 18e siècle naissant, La Tiranie des fées détruite de Mme d’Auneuil sonnant comme un chant du cygne en 1702 tandis que le merveilleux exotique des contes orientaux fait recette dans le sillage des Mille et une nuits traduites (et réécrites) par Antoine Galland (1704-1717).

Fées et Lumières

Pédagogie et détournements

L’engouement pour le conte de fée rebondit cependant à partir des années 1730 sous les plumes de Catherine de Lintot, de Marie-Madeleine de Lubert, à l’imagination exubérante, et du comte Anne-Claude de Caylus. Il n’est pas jusqu’à Rousseau qui donne dans le genre en composant La Reine fantasque. Mis au service d’une entreprise pédagogique, le conte de fées prend avec Jeanne-Marie Leprince de Beaumont un tour moral prononcé. La Belle et la Bête connaît ainsi un vif succès.

La Belle et la Bête au jardin
La Belle et la Bête au jardin |

Bibliothèque nationale de France

Tout autre est le détournement que pratique Antoine Hamilton dans la veine parodique et qu’illustre brillamment l’histoire d’Acajou et Zirphile, distanciation qui trouve son débouché dans le conte licencieux avec Crébillon fils, Fougeret de Montbron, Galli de Bibiéna ou Diderot.

Le Cabinet des fées

C’est symboliquement par une énorme compilation de quarante et un volumes que s’achève l’âge d’or du conte de fées littéraire français, l’année même de la Révolution, en 1789. Imitant le Cabinet der Feen allemand de 1761 tout autant que la Bibliothèque universelle des romans du marquis de Paulmy, le chevalier Charles-Joseph de Mayer dresse le tombeau de cent ans de féerie française, de Perrault à Rousseau. Volontairement, il oublie certains auteurs et ne retient pas tous les contes, faisant notamment l’impasse sur l’abondante veine licencieuse. Mayer reconnaît les contes orientaux, en particulier les Mille et une nuits, comme cousins des fées françaises, et donne le premier essai de synthèse critique sur le conte merveilleux et ses origines.

Contes des Mille et Une nuits
Contes des Mille et Une nuits |

© Adagp, Paris 2015

Première entreprise scientifique de collecte des contes, notamment par l’identification des auteurs et la rédaction de leurs notices biographiques, ce monument littéraire annonce les recueils romantiques allemands. Il fige aussi le conte de fées français dans sa forme littéraire classique et rococo, imposant dans notre univers culturel les fées scintillantes et leurs « robes de velours, couleur de rose, garnies de diamants » comme l’archétype du merveilleux. Un archétype nostalgique qui explique la profonde coupure en France entre conte de fées (littéraire) et conte merveilleux (populaire).

Le recueil du folklore

Il faut toutefois attendre les Kinder und Haus-Märchen (Contes de l’Enfance et du Foyer) des frères Jacob et Wilhelm Grimm en Allemagne pour voir une entreprise de compilation de la tradition orale avec la volonté affichée de conserver un patrimoine national alors que les première thèses du pangermanisme commence à s’épanouir. S’il n’est pas une création proprement dite, leur travail de collecte donne une orientation nouvelle au conte de fées et ouvrent la voie aux folkloristes qui, dans les régions, vont inlassablement collecter, classer et étudier ce patrimoine populaire.

Étudier les contes

Affiche pour Blanche-Neige et les sept nains de Walt Disney
Affiche pour Blanche-Neige et les sept nains de Walt Disney |

Jacques Bonneaud © Adagp, Paris 2001 / Walt Disney

Les frères Grimm commencent à collecter des contes traditionnels allemands dès 1807, les faisant lire à leurs amis, comparant les versions. En réaction à la compilation littéraire Des Knaben Wunderhorn de leurs amis Clemens Brentano et Achim von Arnim – somme de contes et chansons populaires arrangés ou réécrits – les deux frères décident de publier en 1812 leur propre recueil de contes : Kinder und Haus-Märchen. Pour la première fois, le principe de fidélité prend le pas sur la mise en forme littéraire.

Recueillis auprès de la « vieille Marie », de Dorothea Viehnamm, des sœurs Hassenpflug et d’un réseau de plus en plus vaste de correspondants, les contes sont progressivement retravaillés, en quête des formes originelles.

Cette œuvre littéraire et scientifique est conçue comme une part de la quête de la vieille culture allemande entreprise par Jacob Grimm, à travers la grammaire, la langue, la mythologie et le droit. Plus de deux cents contes rassemblés lui permettent d’élaborer la première théorie scientifique de l’origine des contes, sur des bases linguistiques aujourd’hui dépassées par la recherche.

Enquêteurs et collecteurs

Cette démarche de reconstitution et de sauvegarde des traditions populaires a un immense écho dans tous les pays d’Europe, provoquant des collectes de plus en plus scientifiques et l’étude du folklore : en France Souvestre, Luzel, Sébillot, puis plus récemment Pourrat et son Trésor des contes de plus de trois cents histoires. À la collecte, ces folkloristes ajoutent la classification et la systémisation, dont le recueil des contes russes d’Alexandre Affanassiev, constitué de 1855 à 1863, reste un modèle.

L’étude des variantes débouche sur la notion de « conte-type » définie par le Finnois Anti Aarne. Dans les années 1930, le structuralisme de Vladimir Propp met en évidence les « fonctions » du conte, véritables briques de ce que le Français Claude Brémond définit comme un « meccano », et l’Anglais Tolkien comme une « soupe éternelle », toujours enrichie de nouveaux éléments, bouillonnant dans le « chaudron du conte ».

La création renouvelée

En parallèle, la création de contes littéraires se renouvelle au 19e et au début du 20e siècles : en Russie avec Pouchkine, en Allemagne avec Bechstein, en France avec la comtesse de Ségur, Alexandre Dumas ou George Sand et surtout au Danemark avec Hans Christian Andersen.

Andersen, le père du conte de fée moderne

La petite Sirène va trouver la Sorcière des mers
La petite Sirène va trouver la Sorcière des mers |

@ ADAGP, Paris, 2001

La petite sirène se précipita dans les flots
La petite sirène se précipita dans les flots |

@ ADAGP, Paris, 2001

Un premier recueil de contes d’Andersen est publié en 1834 sous la forme de deux minces fascicules. Leur succès, immédiat et considérable, encourage Andersen à écrire quelque cent soixante-treize contes.

Véritables créations littéraires dans un style très personnel, ses Contes danois placent le merveilleux au cœur de la société contemporaine et non plus dans un ailleurs irréel. Remarquables par leur ironie et l’absence des morales traditionnelles, ils osent présenter des histoires tragiques et des fins malheureuses, comme La Petit Marchande d’allumette.

Les auteurs français

En France, la comtesse de Ségur se lance dans le genre en l’honneur de ses petites filles Camille et Madeleine. Charles Nodier, André Maurois, Jean Macé, Edouard de Laboulaye, Charles-Robert Dumas écrivent à leur tour des recueils pour enfants qui rencontrent un immense succès.

Ces derniers poursuivent la tradition féerique jusqu’à Pierre Gripari qui propose dans les années 1960 des versions parodiques actualisées avec ses Contes de la rue Broca.

Provenance

Cet article provient du site Contes de fées (2001).

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