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Pétrarque, un humaniste vagabond

Pétrarque écrivant
Pétrarque écrivant

Bibliothèque nationale de France

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Pétrarque est un homme sans patrie. Né en exil, comme il le dit lui-même, il a passé son existence « pèlerin partout » entre l’Italie et la Provence, choisissant le lieu où vivre en fonction d’un seul critère : celui qui lui offre le plus de temps disponible pour étudier, la plus grande liberté pour lire ses classiques bien-aimés, écrire ses propres œuvres, pratiquer la poésie.

Une jeunesse provençale

Francesco Petrarca, dit Pétrarque, est né à Arezzo, dans la nuit du 19 au 20 juillet 1304. Il est le fils d’Eletta Canigiani et du notaire Petracco di Parenzo, qui avait été banni de Florence en 1302 pour des raisons politiques en même temps que Dante. Après avoir passé son enfance en Toscane, entre 1311 et 1312, le jeune Francesco se rend en Provence, à Carpentras, pour suivre son père.

À l’automne 1316, il commence ses études de droit à Montpellier, puis les poursuit à partir de 1321 à Bologne avant de les abandonner en 1326 à la mort de son père. De retour en Provence, faisant face à une situation économique difficile, il décide d’entrer à la cour de la famille romaine Colonna, comme aumônier du cardinal Giovanni. Mais il est en fait au service de son frère cadet, l’évêque Giacomo, qu’il suit dans son évêché de Lombez, en Gascogne.

Pétrarque et Laure dans un cœur
Pétrarque et Laure dans un cœur |

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Entre-temps, ses premiers poèmes vulgaires commencent à circuler, qui lui apportent une certaine célébrité. Au fil des ans, il les réunit dans le Rerum vulgarium fragmenta (Fragments composés en langue vulgaire), également connu sous le nom de Canzoniere. La plupart sont dédiés à une femme nommée Laure, qu’il indiquera – bien des années plus tard – avoir vue pour la première fois le 6 avril 1327, un Vendredi Saint, dans l’église Sainte-Claire d’Avignon. Cette reconstruction n’est pas sans soulever quelques doutes. Ce qui est certain, cependant, c’est que Laure possède de nombreuses connotations allégoriques : son nom lui-même revêt plusieurs symboliques, dont celle de la couronne de laurier, emblème de la gloire poétique.

À la poursuite de la gloire

En 1333, au cours d’un voyage effectué pour ses mécènes dans le nord de l’Europe (Paris, Gand, Liège, Aix-la-Chapelle, Cologne, les Ardennes, Lyon), Pétrarque parvient à récupérer des œuvres peu connues de Cicéron et d’autres auteurs antiques dont la mémoire s’est perdue au fil du temps. Il se fait alors reconnaître comme un expert de la littérature classique et de l’histoire ancienne, un trait qu’il cultivera toute sa vie. 

Vue de Rome
Vue de Rome |

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En février 1337, après un voyage aventureux, il arrive à Rome, qu’il contemple pour la première fois. Son récit est plein d’émerveillement et d’étonnement : devant la majesté de la Ville, où tout le monde ne voyait que des ruines, il perçoit au contraire la grandeur des reliques du passé, et imagine comment rendre à l’époque actuelle la gloire des temps anciens. De retour en Provence, il achète une maison à Fontaine-de-Vaucluse destinée à devenir son Parnasse : un paradis poétique où il peut résider dans la solitude, loin du bruit d’Avignon, pour se consacrer le plus possible à la poésie.

Il rassemble là une abondante bibliothèque, où il se met à écrire quelques Épystoles latines, sur le modèle d’Horace, et à composer deux ouvrages : l’Africa, poème épique sur les exploits de Scipion, et le De viris illustribus (Des hommes illustres), recueil de biographies. Grâce à ces œuvres, jamais achevées mais connues et en partie diffusées par quelques amis, il acquiert une certaine renommée d’historien et de poète qui lui permet d’aspirer à la reconnaissance publique.

La plus ancienne effigie de Pétrarque
La plus ancienne effigie de Pétrarque |

Bibliothèque nationale de France

Pétrarque et Laure conversant
Pétrarque et Laure conversant |

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Sur la route de la liberté

1341 est l’année de la consécration. Au début du mois d’avril, Pétrarque est couronné « poète, historien et maître » à Rome, dans le palais sénatorial du Capitole. Il déclare lui-même (mais nous n’en avons pas d’autre confirmation) qu’il a reçu une invitation du chancelier de la Sorbonne, Roberto de’ Bardi, pour être couronné à Paris, mais qu’il a choisi Rome pour son caractère sacré et la gloire de l’Antiquité. La cérémonie elle-même est inspirée, selon lui, par les gloires du passé.

L’arc de Septime Sévère, vu depuis le Forum
L’arc de Septime Sévère, vu depuis le Forum |

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Nous n’en savons pas beaucoup plus que ce que lui-même nous dit, non sans désintéressement. Il obtient cette reconnaissance avec l’aide de la famille Colonna et le patronage de Robert d’Anjou, roi de Naples, à la cour duquel il passe quelques jours avant de se rendre à Rome, en compagnie d’un seigneur sans scrupules, Azzo da Correggio. Immédiatement après, il suit ce dernier dans la conquête de Parme, où il séjourne quelques mois, réticent à l’idée de retourner en Provence : après avoir obtenu son diplôme, il veut se consacrer à l’écriture et être reconnu comme écrivain et poète. Son rôle de courtisan commence à lui peser lourdement.

Les années de pèlerinage

Les années qui suivent sont marquées par d’incessants déplacements. Au printemps de 1342, Pétrarque retourne à Avignon : il fréquente la cour pontificale et en garde une très mauvaise impression, qu’il consigne dans les premières lettres d’un livre polémique, le Sine nomine (Livre sans nom), consacré à la dénonciation de la corruption papale. À la même période, il entreprend un autre travail historique, le Rerum memorandarum libri (Livre des choses mémorables), et à l’été 1343, se rend à Naples pour une mission diplomatique, où il trouve une ville dévastée après la mort de son roi bien-aimé Robert.

Les neuf Muses : Erato, Muse de la poésie lyrique
Les neuf Muses : Erato, Muse de la poésie lyrique |

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Les neuf Muses : Calliope, Muse de la poésie épique
Les neuf Muses : Calliope, Muse de la poésie épique |

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Il rejoint donc ensuite Parme et y achète une maison, pensant pouvoir y rester paisiblement pour cultiver un jardin à la gloire des Muses. À ses amis qui le réclament en Provence, il répond qu’il restera en Italie, sous la protection d’Azzo da Correggio. Mais les choses ne se passent pas comme prévu : la ville est assiégée par les ennemis d’Azzo et à la fin du mois de février 1345, il doit se réfugier à Vérone. Là encore, il reste quelques mois, consacrés à lire les Épîtres familières de Cicéron, sur lesquelles il modèle ses propres recueils de lettres. 

Entre inspiration poétique et difficultés politiques

Fontaine de Vaucluse dessiné par Pétrarque
Fontaine de Vaucluse dessiné par Pétrarque |

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De retour en Provence, il passe ensuite plusieurs années fructueuses à commencer le Secretum, texte spirituel où il dialogue avec Saint-Augustin, et à composer quelques égologues rassemblés dans le Bucolicum carmen, le De vita solitaria (La Vie solitaire) et le De otio religioso (Le Repos religieux). Ces poèmes à thème pastoral sont inspirés par le choix de son frère Gherardo de devenir moine à la chartreuse de Montrieux.
Ces années fertiles passées à La Source de Vaucluse ne sont pas pour autant faciles, marquées par une impatience grandissante à l’égard de la cour pontificale et de la famille Colonna. À l’été 1347, Pétrarque soutient la révolution romaine de Cola di Rienzo, qu’il avait rencontré en 1342 et avec qui il partageait des intérêts d’antiquaire, le culte de la Rome républicaine et l’amour de la liberté. Mais Cola, qui établit un éphémère gouvernement populaire à Rome, était hostile aux barons et en particulier aux Colonna, qu’il extermina à la bataille de Porta San Lorenzo. Pétrarque, placé dans une position intenable, se retire en novembre 1347, à l’occasion d’une mission diplomatique à Vérone. Il rompra définitivement les liens trois ans plus tard, après l’arrestation de Cola en 1350 par la papauté.

La mort de Laure : gisant
La mort de Laure : gisant |

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Mais c’est surtout l’arrivée de la Peste Noire qui change profondément la donne. Pétrarque passe la terrible année 1348 à Parme, où il est atteint par la nouvelle de la mort de Laure, puis de celle de son proctecteur, le cardinal Giovanni. Libéré de son service à la cour, il doit subvenir à ses besoins. Au fil du temps, il accumule habilement une série de bénéfices ecclésiastiques, en particulier à Parme, où il réside comme archidiacre du diocèse et commence à réorganiser ses lettres et ses poèmes en langue vernaculaire. Il obtient aussi en 1349 un riche canonicat à Padoue grâce à Iacopo da Carrara, seigneur de cette ville, qui est cependant tué en décembre 1350.

À l’automne de cette même année, Pétrarque se rend à Rome pour le Jubilé. Sur le chemin du retour, il s’arrête à Arezzo et à Florence, où quelques admirateurs, dont Boccace, l’invitent à s’installer. Pourtant, au printemps 1351, il retourne à Avignon et avec le premier Contra medicum (Invectives contre un médecin), fait ses débuts dans le genre de l’invective. Il reste là jusqu’à l’élection du nouveau pape, Innocent VI, mais considérant qu’il ne peut rien attendre de bon de ce nouveau pontife, il abandonne définitivement la Provence pour l’Italie au début de l’année 1353.

Milan : des années de maturité

Pétrarque
Pétrarque |

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C’est vers Milan qu’il se dirige alors, et s’installe en tant qu’hôte des seigneurs de la ville : les Visconti, avec lesquels, prévoyant, il avait établi des relations depuis quelque temps. Accusé par ses amis florentins de s’être mis au service de dictateurs sanguinaires, Pétrarque déclare qu’il se sent libre, et que cette liberté consiste à avoir obtenu les meilleures conditions pour pouvoir étudier et se consacrer à ses œuvres.
Il passe ainsi de fructueuses années à Milan, à écrire son œuvre la plus importante, le De remediis utriusque fortune (Les Remèdes aux deux fortunes), qui est diffusé immédiatement dans toute l’Europe. Il mène en parallèle d’importantes activités diplomatiques pour les Visconti et sert de porte-parole à l’occasion de plusieurs ambassades, y compris celles de l’empereur Charles IV, à Prague en 1356, et du roi de France, Jean II, en 1361

Une vieillesse laborieuse

Quelques mois après l’oraison prononcée à Paris, une recrudescence de la peste le pousse à quitter Milan pour Venise, où il réside jusqu’en 1368, obtenant une rente et une maison en échange du legs de la bibliothèque.

Mais en 1368 il pose finalement ses bagages à Padoue, en tant qu’invité de Francesco da Carrara. Dans sa dernière et sereine résidence sur les Collines Euganéennes, à Arquà, il continue à écrire et à réarranger ses œuvres, aidé d’un petit groupe de copistes et d’assistants : les Seniles (Lettres de la vieillesse), la réécriture du De viris illustribus, les dernières rédactions du Canzoniere datent de cette période. Il meurt dans la nuit du 18 au 19 juillet 1370, à la veille de son soixante-dixième anniversaire.

Le triomphe de l’Amour et Le triomphe de Chasteté
Le triomphe de l’Amour et Le triomphe de Chasteté |

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Ayant parcouru toute sa vie l’Italie et la Provence, en quête de protection et d’honneurs auprès des papes et des princes, Pétrarque n’a jamais cessé d’écrire, d’étudier et de lire les classiques, dialoguant avec eux comme avec des amis chers. Une légende, qui n’a pas tardé à se répandre, raconte qu’au jour de sa mort, il appuya sa tête sur le lutrin, tout en lisant et en annotant son bien-aimé Virgile.

Provenance

Cet article a été publié à l’occasion de l’exposition « L’invention de la Renaissance. L’humaniste, le prince et l’artiste » présentée à la Bibliothèque nationale de France du 20 février au 16 juin 2024.

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