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Félix Vallotton (1865-1925), à l’époque nabie

Le Nabi étranger
Le joyeux quartier latin
Le joyeux quartier latin

Bibliothèque nationale de France

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Après des débuts en tant que peintre, Félix Vallotton fait, à partir de 1891, le choix de la gravure sur bois en noir et blanc, et ce à rebours de la tendance générale de l’estampe originale et des autres membres du groupe des Nabis. Volontiers libertaire, est aussi littérateur et critique d’art et fait preuve d’un sens inné de l’observation de ses contemporains.

Né à Lausanne le 28 décembre 1865, Félix Vallotton arrive à Paris en 1882. Admis brillamment en 1883 au concours de l’École des Beaux-arts, il décide de ne pas l’intégrer et lui préfère l’Académie Julian réputée plus libre. Il y étudie jusqu’en 1890 et suit les cours de Jules Lefebvre et Gustave Boulanger : il se lie avec les graveurs Charles Maurin et Félix Jasinski.

« Masque » de Lautréamont
« Masque » de Lautréamont |

Bibliothèque nationale de France

Vallotton commence sa carrière comme portraitiste : le portrait occupe une place prépondérante dans son œuvre jusqu’en 1888. Toutefois, sous l’influence de Maurin, la gravure sur bois de fil devient sa technique de prédilection dès 1891, bien qu’il continue à peindre.

En 1892, il fait la connaissance de Vuillard, Bonnard, Roussel, Denis et Sérusier et intègre le groupe des Nabis : il est surnommé « le Nabi étranger ». Comme les autres membres du groupe, il crée des gravures pour L’Estampe originale d’André Marty, des programmes pour le Théâtre de l’Œuvre, des affiches et un projet de vitrail pour la Maison Bing, ainsi que des illustrations pour des revues et des livres.

Monsieur Alexandre Natanson
Monsieur Alexandre Natanson |

© GrandPalaisRmn (musée d'Orsay) / Hervé Lewandowski

Édouard Vuillard, son meilleur ami dans le groupe, le présente aux frères Natanson, créateurs de la Revue blanche dont il devient l’un des principaux illustrateurs, réalisant de multiples portraits.
La revue édite sa magistrale série de gravures Intimités qui est exposée dans ses locaux. Devenant un familier de la famille Natanson, il fait le portrait d’Alexandre Natanson et de Misia Natanson, l’épouse de Thadée.

Vallotton contribue au renouveau de la technique ancestrale de la gravure sur bois de fil et acquiert rapidement une notoriété internationale : il crée des images mordantes de la vie quotidienne au moyen d’aplats de blanc et de noir. Il élabore un style singulier nourri des possibilités de ce procédé et de l’influence de l’estampe japonaise.

La caractéristique chez moi est le désir d’exprimer par la forme, la silhouette, la ligne et les volumes ; la couleur n’étant qu’adjuvant, destiné surtout à mettre en valeur l’objet principal.

Félix Vallotton

Grâce aux gravures qu’il crée entre 1891 et la fin du siècle, il acquiert un statut d’artiste d’avant-garde. Son biographe, Julius Meier-Graefe, écrit en 1898 : « Vallotton a tant fait pour la gravure sur bois qu’il pourrait de gaieté de cœur renoncer à l’ambition de compter aussi comme peintre […]. Pour cela, dans une large mesure, il n’a pas besoin d’exécuter de toiles. Car plus pittoresques que ces tableaux, plus riches en couleurs que les œuvres de bien des “peintres”, apparaissent ces bois en noir et blanc. »

La Paresse
La Paresse |

Bibliothèque nationale de France

Vallotton compose ses œuvres par la seule opposition des aplats blancs et noirs, sans aucune nuance de gris ni dégradé. Dans La Paresse, l’une de ses gravures les plus célèbres, il joue ainsi sur les contrastes du blanc et du noir, des pleins et des vides, des lignes droites et des courbes. Il crée des motifs simplifiés éliminant les ombres nuancées et les détails superflus au profit de formes concises.

La Flûte
La Flûte |

Bibliothèque nationale de Franc

Thadée Natanson écrit à propos de ses œuvres en 1899 : « La force et l’éclat de ses noirs, il sait les rehausser jusqu’à l’épouvante, jusqu’à la splendeur ; ils sont mats ou ils sont brillants, profonds, souples ; tantôt ils sont un excellent, un formidable point d’appui, tantôt se répartissent, se découpent, recréant toutes les nuances et les saveurs de la couleur, à l’absence de quoi ils suppléent selon une transposition savante, sans prétendre à en tenir lieu. Les blancs qu’ils laissent, tantôt ajoutent à leur tragique, tantôt font jouer leur souplesse, et ces petites surfaces candides, intactes aucun trait n’aide plus à faire saisir leur modelé surprenant. Ces blancs et ces noirs, il sait les répartir dans la page, selon le sujet, l’effet ou l’émotion à produire, et en vue toujours de l’arabesque ornementale décisive. »

En 1890, Vallotton devient critique d’art pour la Gazette de Lausanne. Comme Ibels, il mène de front une carrière de peintre, de graveur et de dessinateur humoristique, collaborant avec les journaux Le Courrier français, Le Rire, Le Cri de Paris, The Chap Book de Chicago, Pan de Berlin, le Jugend de Munich. Il partage des opinions politiques anarchistes et dreyfusardes. Vallotton crée plusieurs gravures ayant une portée politique, en montrant la violence sociale et la répression de la police. Dans La Manifestation, il figure, un mouvement de foule en jouant savamment sur le cadrage pour comprimer la foule dans le haut de la composition et ainsi accentuer l’effet de panique.

La Manifestation
La Manifestation |

Bibliothèque nationale de France

Vallotton illustre également les ouvrages de Paul Verlaine, Jules Renard, Rémy de Gourmont, Octave Mirbeau et Tristan Bernard. Ces nombreuses illustrations lui assurent une notoriété internationale.

Sa peinture se nourrit de sa pratique de la gravure sur bois : un dialogue thématique et stylistique s’instaure entre son œuvre peint et gravé. Ses œuvres ont fréquemment pour sujets des intérieurs, mais il représente également des scènes de rue et des paysages idylliques dont Le Bain du soir d’été (1892-1895, Zürich, Kunsthaus).

Je rêve d’une peinture dégagée de tout respect littéral de la nature ; je voudrais reconstituer des paysages sur le seul recours de l’émotion qu’ils m’ont causée, quelques grandes lignes évocatrices, un ou deux détails, choisis, sans superstition d’exactitude d’heure ou d’éclairage.

Félix Vallotton

Spectateur de la vie parisienne des années 1890, Vallotton nous livre une vision ironique de la ville en pleine effervescence. Il dépeint ainsi avec une grande habileté les foules, qu’il s’agisse de manifestants, de clientes se pressant dans un grand magasin, ou de curieux visitant l’exposition universelle.

Vallotton expose pour la première fois au Salon des Artistes français de 1885, puis chaque année jusqu’en 1891. Il participe au Salon des Indépendants en 1891, 1892 et 1893. Il montre également ses œuvres au Salon suisse des Beaux-Arts de Genève en 1885 et 1886, ainsi qu’au Salon fédéral de Lausanne. Il expose régulièrement en Suisse. Il participe à l’exposition des Nabis à la galerie Le Barc de Bouteville en 1893 et à toutes les manifestations où ils sont présents, dont celles organisées par Ambroise Vollard en 1897 et 1898, puis chez Durand-Ruel en 1899. En 1894, il est invité à La Dépêche de Toulouse et chez Bernheim, à la Libre esthétique de Bruxelles en 1895. En 1896, il expose à l’Art nouveau, la galerie de Siegfried Bing.

Verdun
Verdun |

Photo © Paris - Musée de l'Armée, Dist. RMN-Grand Palais / image musée de l'Armée

En 1899, Vallotton épouse Gabrielle Rodrigues-Henriques, fille du grand marchand de tableaux Alexandre Bernheim et se fait naturaliser français en 1900. Ce changement personnel marque un tournant dans sa carrière artistique. Il se consacre alors à la peinture, sa première vocation, et s’éloigne du groupe des Nabis.

Provenance

Cet article a été publié dans le cadre de l’exposition Impressions nabies présentée à la BnF du 9 septembre 2025 au 11 janvier 2026.

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