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Des photographes en Orient

Pyramide de Gizeh et campement des voyageurs
Pyramide de Gizeh et campement des voyageurs

© Bibliothèque nationale de France

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Depuis 1839, date officielle de l'invention de la photographie, nombreux ont été les voyageurs, en Orient comme ailleurs, qui ont ajouté à leurs bagages le lourd et encombrant équipement du photographe.

L'âge d'or

La mode croissante de ces voyages, dont le chemin avait été montré par les armées napoléoniennes, par Chateaubriand, Champollion, les poètes romantiques, puis foulé par des curieux toujours plus nombreux jusqu'à la naissance d'un véritable tourisme moderne dans les années 1870 et 1880, a plus tard incité des photographes professionnels à s'installer sur place (Hammerschmidt au Caire en 1860, par exemple), pour y vendre aux voyageurs de passage des vues réalisées à leur intention, précédant ainsi de plusieurs dizaines d'années le commerce de la carte postale-souvenir.

Ptolémée Caesarion sur un bas-relief du temple de Kalabscheh
Ptolémée Caesarion sur un bas-relief du temple de Kalabscheh |

© Bibliothèque nationale de France

Paysage d'Egypte : bords du Nil, palmiers et felouques
Paysage d'Egypte : bords du Nil, palmiers et felouques |

Bibliothèque nationale de France

La photographie en Orient, par conséquent, revêt deux aspects principaux : une pratique individuelle d'amateurs, de peintres, d'archéologues, d'hommes de lettres ou de simples curieux, et un produit de plus grande diffusion, commercialisé sur place. La période qui s'étend de 1850 à 1880 environ est l'âge d'or de la photographie en Orient. Auparavant, quelques voyageurs se sont servis du daguerréotype, mais il n'en reste guère de traces. Le voyage de Maxime Du Camp en 1849-1851 marque donc pour la postérité le début visible des voyages d'exploration photographique. Et les années 1880 constituent le terme de la production commerciale de qualité.

La mer Morte en Palestine
La mer Morte en Palestine |

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Hébron en Palestine
Hébron en Palestine |

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Ces trente années – ce n'est pas fortuit – sont aussi celles où bascule le voyage en Orient de l'aventure individuelle à l'itinéraire balisé par les guides ; et, par une conséquence inéluctable, celles où les pays visités basculent d'une forte et millénaire individualité vers l'occidentalisation que déplorent sans cesse les voyageurs comme Pierre Loti, même s'ils en sont eux-mêmes, malgré eux, les premiers agents. Après 1880, la production photographique est banalisée par la carte postale et les clichés d'amateurs toujours plus nombreux. L'émoussement de l'intérêt pour l'Orient trop proche, trop galvaudé, abandonné aux touristes par les esprits plus aventureux, se marque aussi en photographie : l'appétit de l'inconnu explore désormais l'Extrême-Orient, l'Amérique du Sud, les pôles.

Groupe de derviches turcs dans le cimetière de Scutari
Groupe de derviches turcs dans le cimetière de Scutari |

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Portrait d’homme dans le cimetière de Scutari
Portrait d’homme dans le cimetière de Scutari |

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Les calotypistes archéologues

Le calotype, ou négatif papier, mis au point par William Henry Fox Talbot en 1841, a fortement marqué les essais du début des années 1850 en Orient. Le négatif papier, que l'on préféra longtemps pour le voyage au négatif sur verre en raison de sa légèreté et de sa solidité, a aussi une esthétique particulière due à la structure fibreuse du papier qui rend les contours très légèrement flous. Si ce flou, ce moelleux étaient hautement prisés par certains photographes, comme Gustave Le Gray, ou par Eugène Delacroix qui y voyait une application heureuse de la « théorie des sacrifices » chère aux peintres, en revanche les portraitistes professionnels, recherchant une netteté qu'ils assimilaient à la ressemblance, passèrent directement du daguerréotype au négatif sur verre vers 1852-1853. C'est ainsi que le calotype resta dans les années 1840-1850 le domaine privilégié de la photographie d'amateur, d'architecture, de paysage et de voyage.

Les photographes amateurs

Si on peut qualifier d'« amateurs » Maxime Du Camp ou Félix Teynard, c'est seulement parce qu'ils étaient encore relativement néophytes dans la photographie et n'étaient pas des praticiens professionnels ; la photographie était cependant un mobile essentiel des voyages qu'ils entreprirent, et leurs centres d'intérêt étaient déterminés d'avance. Il existe aussi, quoique en petit nombre avant 1880, des « amateurs » d'une autre sorte : ceux qui, voyageant pour des motifs divers, en profitent pour prendre des photographies selon leur fantaisie. Nul ne le dit plus simplement qu'Henry Cammas : « Depuis quelque temps adonné par inaction à la photographie, j'eus l'idée d'en prendre avec moi un appareil bien complet et de me donner pour but particulier la reproduction détaillée de tout ce qui frapperait mes yeux. » Quant à Ernest Benecke, nous ignorons tout à fait qui il était et ce qu'il faisait en Orient ; on peut au moins dire que les images qu'il choisit de prendre, dans leur diversité et leur liberté d'inspiration, évoquent la vision d'un simple curieux plutôt que celle d'un peintre ou d'un archéologue.

Peintres et photographes

Les peintres sont nombreux à faire le voyage d'Orient : les deux Eugène, Delacroix et Fromentin, en ont laissé des récits magnifiques, de même que le peintre orientaliste Jean Léon Gérôme (1824-1904). Lors de deux de ses voyages en Orient, inépuisable source de son inspiration, il se trouva dans un groupe avec de jeunes artistes qui pratiquaient la photographie pour l'occasion. Les relations de Gérôme et de la photographie sont multiples mais encore trop peu étudiées. Photographié dans son atelier en 1848 par Gustave Le Gray, alors débutant, il comprit bien vite à quel point la photographie pouvait lui être utile, d'abord pour préparer ses œuvres et ensuite pour les faire connaître aux collectionneurs d'outre-Atlantique, efficacement secondé en cela par son beau-père, le marchand de tableaux et éditeur de photographies, Goupil.

Aussi n'est-il guère étonnant de trouver dans son œuvre la trace des motifs photographiés en 1855-1856 par Bartholdi et, en 1868, par son jeune beau-frère, Albert Goupil.

Ateliers commerciaux

Parmi les photographes professionnels installés en Orient, les Français sont de très loin les plus nombreux, suivis par les Anglais, les autres nationalités étant représentées de façon beaucoup plus disparate. Le recensement le plus complet, celui de Nissan Perez, compte au total deux cent cinquante photographes dont cent français et quarante-quatre anglais. Cette prédominance franco-anglaise est sans doute étroitement liée au nombre des voyageurs provenant des deux grandes puissances coloniales ; à partir de 1869 et de l'ouverture du canal de Suez, l'Égypte devient en outre une étape pour tous les fonctionnaires, commerçants et militaires anglais en route vers l'Inde. Mais progressivement, et surtout à partir de 1870, apparaissent également des photographes d'origine locale, grecs et arméniens, comme Sebah, Abdullah ou Lékégian.

L'âge d'or de ces entreprises prend fin vers 1880-1890 : la production de tirages originaux, relativement onéreux, se voit concurrencée par la pratique des voyageurs eux-mêmes, bénéficiant de techniques plus abordables, et par l'essor de la carte postale, qui reprend d'ailleurs en partie l'esthétique et les thèmes déjà éprouvés. L'illustration photographique se répand dans les albums imprimés, les livres, la presse au début du 20e siècle, et permet aux curieux et aux voyageurs de se procurer une iconographie orientale sans passer par les tirages originaux.

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