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Parcours pédagogique

Dans l’atelier d’un artiste de la Renaissance

Par Céline Poulmane, professeure d'histoire-géographie
12 min de lecture
Saint Luc peignant la Vierge
La production artistiques au 15e siècle est dominée en Italie par des structures nommées botteghe (singulier bottega). Chaque cité en possède, qui sont en compétitions les unes avec les autres. Ce sont de véritables petites entreprises très structurées avec des assistants, des apprentis, des commandes à honorer, des contrats, des rémunérations inégales, des travaux multiples plus ou moins discrets ou pompeux, une clientèle régulière très largement dominée par les municipalités et les autorités religieuses. Certaines botteghe produisent à un niveau modeste, d’autres de façon quasi industrielle.
Ce parcours s'inscrit dans le cadre de l'étude de la Renaissance artistique en cinquième et en seconde. Il se propose de naviguer entre les représentations et la réalité de la production dans l’Italie de la Renaissance. Entre mécénat, commandes, ateliers, contrats léonins, quelles sont les conditions de création de l’art à la Renaissance ?
Les ressources pour réaliser l'activité

Deux espaces liés à l'art cohabitent dans l'Italie de la Renaissance et deviennent progresivement distincts au fil du 15e siècle : le studiolo et la bottega. Le premier est l’espace de réflexion de l’artiste, lieu de contemplation et de création intellectuelle, tandis que le second constitue l’espace d’exécution, de création physique. Les deux cohabitent généralement dans le même bâtiment. Ainsi, Le Tintoret a un studiolo situé à l’arrière de sa maison, tandis que la bottega est orientée vers la rue et dédié à la production.

Un portrait de Giambologna conservé en Écosse est à ce titre intéressant. Le sculpteur est représenté au premier plan dans une pièce sombre et travaille ses proportions tandis qu’à l’arrière-plan on distingue la bottega et une imposante sculpture de marbre. De même, la fresque de Vasari met en scène l’artiste au travail dans le studiolo sous le regard de deux élèves tandis qu’à l’arrière-plan s’active un broyeur de couleur dans la bottega. Le studiolo apparaît alors comme un espace clos, privé, coupé du monde, presque secret.

Ces éléments ne sont pas propres à l'Italie : dans la peinture flamande de Colin de Coter ou dans celle de Niklaus Manuel Deutsch, l’arrière-plan est occupé par l’espace dans lequel on retrouve par exemple le broyeur de couleur, des sculpteurs pour dégrossir une oeuvre tandis que l’artiste s’active au premier plan. Chez Dürer l’atelier devient quant à lui un espace technique et scientifique.

À la Renaissance, l'artiste travaille toujours à l'intérieur et rarement seul : les pigments doivent être broyés et mélangés au liant, jaune d'œuf (peinture à la tempera) ou huile, ce qui est généralement la fonction des apprentis et des assistants. La peinture en extérieur n'est possible qu'à partir du 19e siècle, avec l'invention des couleurs en tube. Certains ateliers peuvent comprendre une dizaine de personnes autour d'un maître, comme le montre la gravure Color olivi : tandis que deux personnes broient les couleurs, un autre les mélange sur une palette. De jeunes apprentis travaillent le dessin sur une planchette de bois, tandis qu'un assistant effectue un portrait, genre moins noble que la peinture religieuse du Saint-George qu'effectue le maître au centre.

Le système des corporations, souvent placées sous le patronage de Saint-Luc, organise les ateliers, leur fonctionnement et leur hiérarchie. La création au 16e siècle des Académies dans l'Italie de la Renaissance (Accademia del Disegno à Florence, Accademia di San Luca à Rome) modelées sur l'Akademia de Platon, marque eun volonté des artistes de se rapprocher des arts libéraux et de se détacher du cadre artisanal, qui imposait de fortes contraintes financières.

Les ressources pour réaliser l'activité

Comme au Moyen Âge, l'art à la Renaissance est une acitivté marchande. La commercialisation des œuvres se fait de deux manières : soit dans une boutique attenante à l'atelier, soit par le biais de commandes d'une clientèle laïque ou cléricale. Le mécénat — terme qui apparaît à la Renaissance, formé sur le nom de Mécène, ministre d'Auguste et protecteur des arts — implique une relation plus personnelle entre l'artiste et son commanditaire. Il est davantage l'exception que la règle.

Mécène et commanditaires signent ainsi des contrats avec les artistes. Parfois les commandes sont excessivement précises et ne laissent que peu de place à l’imagination. Ainsi, la commande d’Isabelle d’Este au Pérugin est sans équivoque et peut être comparée au tableau réalisé, qui suit effectivement les demandes. Même précision dans un contrat passé par un religieux avec le peintre Domenico Ghirlandaio. Les couleurs, la qualité de celles-ci, le prix, le support, le délai de réalisation : tout est indiqué de façon très précise.

Ces contrats détaillés passés avec les artistes ne sont pas nouveaux : il existent déjà au Moyen Âge et rappellent qu'à la Renaissance, les artistes sont encore considérés comme des artisans, malgré un ennoblissement de leur statut sensible dans la rédaction de biographies, la multiplication des autoportraits et des signatures. Les commanditaires peuvent avoir le sentiment d'être en mesure d'exiger à peu près tout. Les marges de manœuvre des peintres sont en conséquence souvent assez réduites, même s'ils savent également dépasser les contrats pour exprimer un style, une originalité et un talent propres.

Les ressources pour réaliser l'activité

Le milieu artistique de la Renaissance n'est pas simplement guidé par les règles de la création. Les rivalités géopolitiques, entre cités et entre États, se reflètent dans la compétition artistique et créent un climat d'émulation marqué marqué par les rivalités, la méfiance et la compétition. Celle-ci est parfois institutionnalisée, comme dans le concours organisé en 1401 par la corporation des marchands de laine (Calimala) pour la réalisation des portes du Baptistère de Florence. Première compétition institutionnalisée entre artistes, elle voit s'affronter sept maître toscans, dont le Siennois Jacopo della Quercia, Brunelleschi et Ghiberti, qui remporte la commande.

La ville de Venise est particulièrement représentative de la création d'un milieu artistique compétitif. Ce grand centre de l'impression attire les graveurs de toute l'Europe, dont un certain Dürer. En 1506-1507, il entre au service du Fondaco dei Tedeschi, confrérie à la tête de la plus grande communauté étrangère de Venise (ici, germanique). Ses lettres montrent l’attractivité de la cité en la présentant comme une véritable plaque tournante de la production artistique où de nombreux étrangers se croisent, mais aussi les rivalités avec les artistes italiens présents sur place.

Par ailleurs, les artistes offrent leurs services. C’est ainsi avec une extrême déférence que Titien s’adresse aux Doges de Venise. La missive qu’il leur adresse est une véritable lettre de motivation dans laquelle Titien annonce être prêt à renoncer à un salaire pour pouvoir peindre une toile pour la salle du Grand Conseil du Palais des Doges. Il souhaite en échange des avantages : un atelier, des assistants et être intégré au Fondaco dei Tedeschi comme Giovanni Bellini. À la mort de ce dernier, il prend sa place et devient courtier de l’Office du Sel, charge qu’il occupera pour cinquante ans. C’est ce qui lui permet de recevoir une pension annuelle et d’être considéré peintre officiel de Venise. De son atelier sortent alors de nombreuses oeuvres maintes fois copiées pour satisfaire de nombreux clients. Titien est à la tête d’une véritable entreprise où affluent les commandes et qu’il gère d’une main de maître.

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