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Parcours pédagogique

Femmes peintres et humanisme à la Renaissance

« Les femmes sont parvenues à l’excellence dans chaque art dont elles se sont occupées » (L'Arioste, L'Orlando furioso, chant XX)
Par Céline Poulmane, professeure d'histoire géographie
15 min de lecture
La Partie d'échecs
Les programmes des classes de cinquième et de seconde invitent à se pencher sur l’effervescence culturelle et spirituelle à l’œuvre pendant la Renaissance. La vision de l'Homme et de sa place dans le monde se modifient. On pense différemment les sociétés, on représente différemment l'Homme. Les artistes sont de moins en moins cantonnés au rôle d’artisans et commencent à être à la fois reconnus, recherchés et financés.
Dans ce sens, il peut être intéressant de permettre aux élèves d’aborder – ou de poursuivre – cette réflexion en prenant appui sur les femmes de la Renaissance et notamment sur la place qu’elles acquièrent en tant qu’artistes. De Lavinia Fontana à la Tintoretta en passant par Sofonisba Anguissola ou Artemisia Gentileschi, les femmes artistes sont nombreuses mais ont été invisibilisées de leur vivant. À quelques siècles d’écart, les réflexions de Marie de Gournay comme celles de Linda Nochlin se rejoignent alors pour questionner la question de l’égalité des hommes et des femmes en tant qu’artistes.
Les ressources pour réaliser l'activité

C’est une incroyable fratrie que celle des six sœurs Anguissola, pourtant très largement méconnues. Originaires de Crémone et issues la noblesse génoise, elles sont les filles d’Amilcare et Bianca Anguissola, qui eurent sept enfants au total (un petit Asdrubal et venu compléter la fratrie). Parents avant-gardistes, ils choisirent, dans un siècle où la majorité des femmes ne recevaient aucune instruction – si ce n’est quelques arts comme la musique ou les travaux d’aiguille – et où les sociétés étaient patrilinéaires, de donner à leurs filles la même éducation que celles traditionnellement réservées aux garçons dans l’aristocratie. Ils ne sont pas les seuls humanistes à faire ce choix, et peuvent se revendiquer de modèles comme Ercole d’Este ou Thomas Moore. Sofonisba, Lucia, Europa, Elena, Anna Maria, Minerva et Asdrubal portent des prénoms qui témoignent de l’amour de leurs parents pour l’Antiquité et les œuvres de Sofonisba font qu’elle était déjà, de son temps, considérée comme un prodige.

L’histoire de la vie de Sofonisba est particulièrement éloquente. Reconnue par de nombreux grands artistes de la Renaissance comme par des souverains, elle a su transformer sa condition de femme en atout. L’étude de son parcours permet de comprendre une partie de l’histoire de l’accès des femmes au statut d’artiste peintre. Encouragée par ses parents à développer ses talents, elle reçoit une éducation humaniste de la plus haute qualité et entre dans l’atelier de Bernardino Campi (avec sa sœur Elena entre 1546 et 1549) puis ensuite dans celui de Bernardino Gatti. Elle étudie également le dessin à Rome auprès de Michel Ange avant d’entrer au service de la cour de Madrid comme dame d’honneur de la reine d’Espagne, Isabel de Valois. Plusieurs lettres sont à ce sujet éloquentes et permettent aux élèves de comprendre d’ores et déjà le contexte dans lequel Sofonisba peut faire éclater son art (cf. extraits ci-dessus). Grâce à cette éducation humaniste et la meilleure formation possible, son talent est très vite reconnu. On loue sa technique ancrée dans la plus pure tradition des peintres vénitiens, son style et ses sujets.

Les ressources pour réaliser l'activité

L’intérêt de ce document est de montrer ce qu’il révèle du renouvellement de l’art pictural en Europe à la Renaissance et qu’il constitue en un sens une représentation visuelle de l’humanisme. C’est autour de ces problématiques qu’une séquence peut être effectuée avec les élèves.

Il peut être intéressant de conduire d’abord les élèves à réaliser tout d'abord une analyse externe :

  • Présenter le document : nature + titre / auteur + lieu de conservation / date + contexte / idée générale
  • Décrire en étudiant la composition de l’œuvre : revenir sur les divers plans, sur les lignes de composition, sur les couleurs, la scène représentée.

Puis on amène les élèves à réaliser une critique interne pour montrer ce qui est novateur dans l’œuvre de Sofonisba Anguissola, différent par rapport à la période précédente :

  • Nouveauté dans la technique employée : peinture à l’huile (les pigments ne sont plus dilués dans le blanc d’œuf comme la tempera mais dans de l’huile ce qui permet d’obtenir des couleurs plus vives et de les dégrader davantage) et perspective avec arrière-plan qui emploie le sfumato. Ces nouvelles techniques donnent un grand réalisme à la peinture. On peut faire un rappel en comparant cette oeuvre avec la Vierge à l’enfant de Cimabue par exemple.
  • Nouveauté dans le thème : il s’agit d’une scène de la vie quotidienne, des personnes ordinaires. C’est un portrait de groupe informel. Sofonisba Anguissola met l’Homme (et ici la Femme) du quotidien au centre de l’attention. Ce sont les débuts de la peinture de genre. On peut à ce titre également présenter aux élèves le Portrait de la famille Anguissola avec son père, sa sœur et son frère, peint en 1559. Plusieurs interprétations existent quant à ce qui est vraiment représenté : Minerva (la plus jeune sur le tableau) regarde-t-elle Europa qui vient de perdre la partie face à Lucia ? Ou bien Europa fait-elle la leçon à sa sœur sous le regard amusé de Minerva ? Le jeu de regards est intéressant, chaque jeune fille regardant son aînée directe : Minerva regarde Europa, qui regarde Lucia, qui regarde Sofonisba (peignant la scène). Par ailleurs, le thème de femmes jouant aux échecs est également novateur. Le jeu d’échec implique rigueur, stratégie, mémoire, calcul : autant de capacités qui ne sont pas forcément associées aux femmes à la Renaissance.
  • Nouveauté dans l’identité de l’artiste : ici, Sofonisba Anguissola est une femme. Elle représente ses propres sœurs et une femme de chambre. Il convient d’insister sur la signature du tableau indiquée sur le côté de l’échiquier. Femme artiste, elle signe ses œuvres et est reconnue pour son talent. Les artistes ne sont plus seulement vus comme des artisans mais comme des érudits faisant montre d’un génie créatif et maîtrisant tant un savoir qu’un savoir-faire unique. La signature, sur le bord de l'échiquier, indique « sophonisba angussola virgo amilcaris filia ex vera effigie tres suas sorores et ancilam pinxit mdlv » soit « Sofonisba Angussola fille vierge d'Amilcare a peint le véritable portrait de ses trois sœurs et d'une servante 1555 ».
Les ressources pour réaliser l'activité

Sofonisba Anguissola contribue très largement à la diffusion des portraits, et notamment des portraits de cour à l’italienne comme avait pu le faire auparavant le Titien qui avait été le peintre des Habsbourgs. Elle réalise ainsi de nombreux portraits de la reine Isabelle de Valois et des membres de la cour.

Elle réalise également de très nombreux autoportraits, de quinze à vingt, ce qui est bien plus que n’importe quel artiste de la Renaissance – loin devant Dürer, pourtant connu pour ses nombreux autoportraits. Il peut être intéressant de montrer aux élèves comme ces autoportraits font la promotion d’une culture humaniste. Sofonisba se représente en effet souvent avec des objets culturels : elle lit, fait de la musique ou bien se représente en train de peindre.

Il est opportun d’élargir à la sphère plus large des femmes artistes de la Renaissance pour montrer que, si les autoportraits féminins existaient au Moyen Âge, ceux de la Renaissance, accompagnés d'éléments symboliques et placés hors du contexte des livresmontrent un renouvellement de l’art pictural en Europe et sont également une représentation visuelle de l’humanisme.

Les ressources pour réaliser l'activité

Cet ensemble de peut être mis en regard avec le texte de Marie de Gournay, Egalité des hommes et des femmes, de 1622 (lire sur Gallica) : un texte fruit d’une réflexion entamée plusieurs années auparavant. L’objectif de Marie de Gournay est de montrer l’iniquité qui place les femmes en êtres inférieurs aux hommes. Elle convoque pour cela de nombreux auteurs antiques comme Plutarque ou Sénèque, marquant de fait sa stature de femme humaniste. Elle démontre les incohérences de l’inégalité des hommes et des femmes, les contradictions voire les franches absurdités qui existent, en maniant l’ironie pour mieux dénoncer.

Le texte de Linda Nochlin est quand à lui fondateur pour l’histoire de l’art féministe. Il pose une question volontairement provocatrice et tente d’y apporter une réponse : « Pourquoi n’y a-t-il pas eu de grands artistes femmes » ? La réponse est simple. Il n’y a pas de grands artistes femmes parce qu’elles ont été empêchées. Le premier paragraphe dresse un constat et montre les tentatives de réponse généralement apportées, le deuxième paragraphe apporte une réponse implacable. La lecture de ce texte peut terminer cette séance consacrée aux femmes artistes de la Renaissance en engageant un débat avec les élèves, qui pourra être poursuivi dans le cadre de l'éducation morale et civique.

Pour aller plus loin