Découvrir, comprendre, créer, partager

Parcours pédagogique

L'imprimerie, une révolution pour l'Europe ?

Par Mélisande Bizoirre, professeur d'histoire
12 min de lecture
Imprimeurs
En cinquième comme en seconde générale et technologique, l'invention de l'imprimerie tient une place importante dans les chapitres consacrés à l'humanisme et à la Réforme. Technique fondamentale pour la production en série des livres et des images, elle est considérée comme l'un des principaux moteurs de l'agitation intellectuelle et culturelle qui ébranle l'Europe de la Renaissance.
Pour autant, que sait-on exactement de la naissance de l'imprimerie et de sa diffusion ? Peut-on réellement parler d'une invention de Gutenberg ? A-t-elle vraiment révolutionné les sociétés européennes ?
Ce parcours propose mises au point et documents en trois parties : le contexte de la naissance de l'imprimerie, la figure de Gutenberg et la diffusion européenne de la technique.
Les ressources pour réaliser l'activité

L'imprimerie à caractères mobiles en Extrême-Orient

C'est dans l'est de l'Asie, en Chine, bien avant Gutenberg, qu'est probablement née l'impression à caractères mobiles. On attribue généralement à Bi Sheng (v. 990-1051), personnage dont on ne connaît rien ou presque, la fabrication des premiers caractères mobiles, en argile cuite. C'est sous la dynastie Song (960-1279) qu'auraient été produits les premiers caractères de bois, avant que le métal ne soit utilisé à partir de 1234 en Corée.

Le plus ancien livre imprimé avec des caractères mobiles au monde est pourtant coréen : c'est le Jikji, recueil de sagesse bouddhiste imprimé avec des caractères métalliques en 1377 dans le monastère de Heung Deok, près de la ville de Cheongju. Découvert à la fin du 19e siècle par le diplomate français Victor Collin de Plancy, il est actuellement conservé à la Bibliothèque nationale de France.

L'impression à caractères mobiles n'a cependant pas, en Asie, supplanté les autres formes d'impression, notamment la xylographie. Mieux adaptée à la multiplicité des caractères chinois et à la conservation, celle-ci est restée la technique dominante et la plus prestigieuse. L'édition imprimée à caractères mobiles du jikji a ainsi servi de modèle à l'édition typographique, avant que le livre ne soit dissimulé dans la cavité d'une statue bouddhique.

Imprimer en Europe avant Gutenberg

On considère généralement qu'il n'existe aucun lien entre les techiques d'imprimerie asiatiques et celles développées en Europe au Bas Moyen Âge ; l'invention de l'imprimerie aurait donc eu lieu de manière indépendante aux deux extrémités de l'Eurasie. Néanmoins, des contacts ont pu avoir lieu notamment via le commerce permis par la « paix mongole » dans les premières décennies du 14e siècle. Certains chercheurs, comme Olivier Deloignon, postulent la possibilité d'un transfert, sinon de la technologie, du moins de l'idée.

En Europe, l'art de l'imprimerie est également plus ancien que l'invention de Gutenberg. Outre l'emploi ancien des sceaux et la frappe de la monnaie, on pratique l'impression sur étoffe depuis le 14e siècle au moins. Quant à la xylographie, impression sur papier à partir d'une matrice de bois gravée en relief, elle apparaît sans doute en Allemagne vers 1390. La chalcographie en taille douce, qui utilise comme matrice une plaque de cuivre gravée en creux, est inventée une cinquantaine d'année plus tard, vers 1440 dans la vallée du Rhin supérieur.

Les années 1440 marquent donc un moment charnière, où les productions imprimées se multiplient. Il s'agit essentiellement d'estampes, proposées en feuilles indépendantes ou en feuillets typographiques, ou parfois accompagnées dans des livres par un texte manuscrit. Par ailleurs, au même moment, le contexte social de la production du livre a considérablement évolué par rapport aux siècles précédents. Produits largement dans un contexte urbain, les livres font l'objet d'une production structurée, standardisée et en série pour les besoins des étudiants, des professionnels (clercs, administateurs, juristes) et des laïcs lettrés. Le courant de la devotio moderna favorise la lecture chez les bourgeois urbains, et contribue à accroître la demande en livre, tandis que le papier tend déjà à supplanter le parchemin.

Les ressources pour réaliser l'activité

Ce que l'on sait de Gutenberg

Né vers 1400 à Mayence, Johannes Gensfleisch, dit Gutenberg, nous est essentiellement connu par des documents d'archives, notamment juridiques et notariaux, ainsi que par quelques témoignages de contemporains postérieurs à l'invention. Exilé de sa ville natale en 1428, il s'est installé une vigntaine d'années à Strasbourg, où il a notamment travaillé à la création d'enseignes de pèlerinage en plomb, activité qui a pu lui être utile dans la conception des caractères métalliques et l'idée de la presse.

De retour à Mayence, associé à Pierre Schöffer, calligraphe, et au financier Johann Fust, Gutenberg procède sans doute à plusieurs années d'essais, entre 1439 et 1455, date de l'impression de la Bible à quarante-deux lignes, dite Bible de Gutenberg. Plusieurs documents datables des années 1448-1454 nous sont connus : deux ouvrages, le Sibyllenbuch (1452-1453) et l'Ars Minor, un ouvrage de grammaire latine de Donat, des lettres d'indulgence, un calendrier. Au moins un autre imprimeur anonyme semble actif dans ces mêmes années, laissant à penser que l'aventure de l'imprimerie est collective, et non l'œuvre d'un génial inventeur isolé comme on a parfois dépeint Gutenberg.

Mort en février 1468, Gutenberg n'a été considéré qu'à partir de 1483 comme l'inventeur du procédé d'imprimerie dans son ensemble, d'autres noms ayant circulé.

L'imprimerie : une technique à la confluence de plusieurs innovations

Au milieu du 14e siècle, tous les composants techniques nécessaires pour imprimer existent déjà : la presse est utilisée dans l'industrie vinicole et pour imprimer sur textile ; les poinçons et caractères métalliques, ainsi que leur alliages, appartiennent à l'univers des orfèrvres et des fabricants de monnaie ; l'encre épaisse à base d'huile sert aux impressions sur textiles. L'invention de l'imprimerie est donc, selon Guy Bechtel, une « recomposition de procédés utilisés pour tout autre chose ». Le principal apport de Gutenberg est l'invention d'un moule en alliage particulièrement résistant permettant de fonre les caractères.

La Bible de Gutenberg

Permière édition d'envergure, la Bible de Gutenberg est restée dans l'histoire comme le symbole du début de l'imprimerie. Bien que le livre ne soit ni signé, ni daté, il est attribuable à Gutenberg par recoupement de divers documents. L'édition sur papier de la BnF porte par ailleurs deux mentions manuscrites d'un certain Heinrich Cremer, vicaire à la collégiale Saint-Etienne de Mayence, qui signe en août 1456, la peinture, la rubrication et la reliure des deux volumes de l’exemplaire :

  • « Ainsi s'achève la première partie de la Bible, à savoir l'Ancien Testament. Peinte, rubriquée et reliée par Heinrich Albch dit Cremer, en l'an 1456, à la saint Barthélémy, apôtre » (=  24 août 1456)
  • « Ce livre a été peint, relié et complété par Heinrich Cremer, vicaire de la collégiale de S. Stéphane de Mayence, en l'an mille quatre cent cinquante six, à l'Assomption de la glorieuse vierge Marie » (= 15 août 1456)

La Bible de Gutenberg ouvre en effet une lente transition vers le livre imprimé. Les quarante-huit exemplaires complets connus de par le monde, souvent passés dans des monastères germaniques, présentent encore de nombreuses caractéristiques des manuscrits médiévaux : graphie gothique, rubrication en rouge et enluminure faites à la main, impression parfois sur vélin... Ce mélange d'éléments manuscrits et d'éléments imprimés relève à la fois d'une tradition livresque ancienne et de considérations économiques. Ainsi, l'indication des repères en rouge a été fait par impression sur les cinq premières pages, avant qu'un travail manuel ne soit préféré, car plus rapide et moins coûteux. La Bible a ainsi été mise dans le commerce sans rubricage ni enluminure, ceux-ci revenant à l'acheteur, une pratique qui a perduré durant toute la seconde moitié du 15e siècle. C'est probablement une même considération économique qui a poussé l'imprimeur à passer en cours de travail de quarante à quarante-deux lignes.

Les ressources pour réaliser l'activité

Une diffusion rapide

L'Europe était prête pour l'imprimerie à caractères mobiles : c'est sans doute ce qui explique la diffusion rapide du procédé de l'impression à travers tout le continent. Bien que développé secrètement, le procédé se dissémine rapidement grâce aux voyages des typographes formés à Mayence. Strasbourg et Bamberg furent les premières à se doter de presses à imprimer, dès 1460.

Fréquentée par de nombreux commerçants allemands, dotée de fonderies de métaux et de facilités pour l'approvisionnement en papier, Venise devient rapidement, elle aussi, un centre d'imprimerie grâce à l'imprimeur Jean de Spire, qui publie son premier livre en 1469. À Paris, le terreau universitaire favorisa l'implantation de la technique, une première presse à imprimer étant installée dans une dépendance du collège de la Sorbonne. Par la suite, les villes marchandes et universitaires de Lyon, Bruges, mais aussi Toulouse ou Albi virent s'installer des typographes.

Une abondance soudaine

Les chiffres de production du livre dans les cinquante premières années qui suivent la mise en place de l'imprimerie donnent le vertige : on conserve aujourd'hui environ 500 000 livres produits avant 1500 (incunables), correspondant à 28 500 éditions différentes. Les estimations varient donc entre 11 à 28 millions de livres produits dans cette période : un chiffre vertigineux face au nombre de manuscrits, qui se comptent au mieux en centaines de milliers au 14e siècle. La plupart viennent d'Italie (44 %), d’Allemagne (35 %) ou de France (15 %), les 5% restants étant produits dans d'autres pays d’Europe.

Le marché européen a rapidement été submergé par cette abondance soudaine. Foires, librairies, vente par correspondance, développement d'un marché d'occasion ont accompagné la multiplication des livres, qui parfois ne trouvaient pas acheteurs dans une population où seuls 1 à 5% des habitants étaient lettrés.

Réticences et contraintes

La production et la diffusion des livres imprimés à caractères mobiles n'est pourtant pas linéaires. De nombreuses innovations techniques voient le jour dans la seconde moitié du 15e siècle, certaines pérennes, d'autres rapidement abandonnées pour des raisons financières. Si les autorités religieuses, régaliennes ou intellectuelles n'ont pas réussi à s'opposer à la diffusion d'un savoir qui leur était jusque là propre, malgré des procédures de contrôle ou de répression, les impératifs économiques ont souvent eu raisons des exigences typographiques et des inventions.

Par ailleurs, le livre manuscrit a gardé un certain temps un prestige social. Manuscrit et imprimé ont donc, bon an mal an, coexisté pendant plusieurs décennies, le processus de substitution de l'un à l'autre étant très progressif.

Sur le même sujet

Pour aller plus loin