Découvrir, comprendre, créer, partager

Focus

Qu’est devenue la bibliothèque de Pétrarque ?

Francesco Maria Sforza Visconti et Giovanni Galeazzo Maria Sforza
Francesco Maria Sforza Visconti et Giovanni Galeazzo Maria Sforza

Bibliothèque nationale de France

Le format de l'image est incompatible
Un matin de l’automne 1499, le brouillard peine à se lever dans la cour du château de Pavie, étouffant presque les grincements de chaînes et de roues. Sur le pavé glissant, les bœufs commencent à avancer avec lenteur : les hommes mènent les charrettes et passent la porte, en route pour un long voyage. Ils vont transporter les quelque mille volumes de la bibliothèque des Visconti-Sforza, en direction de Blois, la résidence de Louis XII, qui vient de conquérir le duché de Milan. Un événement d’une importance capitale pour la culture littéraire de l’Europe.

Vers la cour des rois de France

Le roi de France savait que chercher, et où : un peu plus tôt, son médecin avait écrit au Bureau des provisions pour demander qu’on lui remette l’inventaire de la bibliothèque installée au premier étage de la tour sud-ouest du château de Pavie. Nous n’avons gardé trace ni de la réponse, ni de sa teneur. Mais nous savons que le dernier inventaire en date, dressé près de dix ans plus tôt, recensait 947 volumes, de sorte que l’ensemble peut être estimé à un millier.

Antoine Vérard offre son livre à Charles VIII
Antoine Vérard offre son livre à Charles VIII |

Bibliothèque nationale de France

Aujourd’hui, près de quatre cents de ces manuscrits ont été identifiés parmi ceux que conserve la Bibliothèque nationale de France, où, de déménagement en déménagement, ils sont arrivés pour former l’un des premiers noyaux du fonds. Avec les livres des rois aragonais de Naples, saisis quelques années plus tôt par Charles VIII, en 1495, ils ont ainsi servi de socle à la diffusion européenne de la Renaissance. Ils apportaient aussi une dernière pierre à l’édifice de cette Translatio imperii et studiorum (Translation du pouvoir et du savoir) dont la cour de France rêvait depuis qu’au 12e siècle, Chrétien de Troyes, dans le prologue de Cligès, avait déclaré qu’elle était l’héritière de la tradition culturelle grecque et latine. Ce très vieux mythe prenait donc forme. Une singulière ironie de l’histoire voulait que ce fût grâce aux livres de celui qui s’était constamment opposé à cette vision, revendiquant pour Rome et l’Italie, contre la France, la primauté dans le domaine des lettres et des arts. Car c’est à Pétrarque que revenait le projet de cette bibliothèque de Pavie en route vers Blois.

Pétrarque et la bibliothèque de Pavie

Saint Augustin, Ennarationes in psalmos
Saint Augustin, Ennarationes in psalmos |

Bibliothèque nationale de France

En 1353, Pétrarque abandonne Avignon à la suite de l’élection du pape Innocent VI, coupable à ses yeux de favoriser les cardinaux et les membres français de la cour pontificale. Il se rend alors à Milan, à la cour des Visconti, où il demeure jusqu'en 1362. Même après avoir quitté Milan pour Padoue et Venise, il continuera d’entretenir d'excellentes relations avec les Visconti, en particulier avec son mécène Galeazzo II, fondateur en 1360 du château de Pavie. Dans cette ville où se dressait ce « château grandiose », comme Pétrarque l’écrivait à Boccace en faisant l’éloge de son protecteur, l’humaniste passe plusieurs étés entre 1366 et 1369. Selon une tradition bien établie, c’est à lui qu’on doit le noyau de la bibliothèque de Pavie : Pétrarque a pu apporter son aide à Galeazzo II et à son fils Gian Galeazzo quand, dans la seconde moitié du 14e siècle, ils enrichirent la collection qu’avaient amorcée leurs prédécesseurs à la tête de Milan et de son territoire.

Mais malgré l’aide plus que probable que Pétrarque a apportée aux Visconti pour constituer leur bibliothèque, ses propres livres n’intègrent celle-ci que plus tard. L’humaniste avait en effet coutume d’emporter une grande partie de ses manuscrits dans chacun de ses voyages ou déménagements et ne se séparait que des pièces les moins précieuses, ce qui conduit à penser que seuls quelques volumes se trouvaient à Milan après les années 1360. En revanche, après sa mort, d’autres arrivèrent de Padoue après que les Visconti eurent pris la ville à la dynastie des Carrara.

Padoue, Venise, Londres : le devenir des livres de Pétrarque

Retraçons brièvement l’histoire de la bibliothèque de Pétrarque en remontant le temps depuis sa mort. Il mourut à Arquà, sur les terres de Francesco Ier da Carrara, mais un seul livre est mentionné dans son testament, un bréviaire illustré de grande valeur légué à Giovanni da Bozzetta pour que celui-ci, archiprêtre de la cathédrale, le remette à l’Église de Padoue.
Si les autres ouvrages avaient été conservés dans un premier temps par ses héritiers, notamment son gendre Francescuolo, ils durent ensuite, au moins en partie, être achetés par Francesco Ier da Carrara et son héritier Francesco II. Lorsque Francesco Ier fut défait et que Padoue tomba aux mains de Gian Galeazzo Visconti, en novembre 1388, les livres des Carrara firent certainement partie du butin transféré à Milan.

Homère, Ilias, annoté par Pétrarque
Homère, Ilias, annoté par Pétrarque |

Bibliothèque nationale de France

Homère, Odyssea, annoté par Pétrarque
Homère, Odyssea, annoté par Pétrarque |

Bibliothèque nationale de France

Il est possible que certains livres de Pétrarque aient fait partie de cet ensemble, comme la traduction latine de l’Iliade et de l’Odyssée d’Homère, ci-dessus. Parmi les nombreux volumes de sa bibliothèque transférés de Padoue à Milan puis ensuite à Paris, figurent la copie autographe du Liber de gestis Caesaris, un recueil de lettres de ses correspondants, le De viris illustribus illustré par Altichiero d’une allégorie de la gloire d’une exceptionnelle beauté, l’Historia naturalis de Pline l’Ancien et le Bucolicum carmen (BnF, Manuscrits, Latin 8700).

La Gloire sur un char distribuant des couronnes de laurier aux grands chefs de guerre
La Gloire sur un char distribuant des couronnes de laurier aux grands chefs de guerre |

Bibliothèque nationale de France  

Les manuscrits des poésies en italien connurent en revanche les aléas de l’héritage familial. Ils échurent d’abord à la famille Santasofia puis, après être passés de mains en mains, ils parvinrent à Pietro Bembo puis à Fulvio Orsini, avant de rejoindre la Bibliothèque vaticane.

Par la suite, la collection parvenue en France fut dispersée et la partie qui se trouvait à Agen prit le chemin de Londres, achetée par les comtes de Harley. C’est ainsi que, en suivant des voies diverses, les livres ayant appartenu à Pétrarque se trouvent aujourd’hui dispersés aux quatre coins du monde.