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Focus

Le Christ embrasse le monde

Le Christ en majesté
Le Christ en majesté

Bibliothèque nationale de France

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La mappemonde insère l’image du monde, réduit de façon métonymique à la terre habitée, à l’intérieur du corps du Christ, Verbe incarné, mort et ressuscité. Ainsi la connaissance du monde, autant historique que cosmographique est-elle intégrée de façon visuelle dans l’ordre des savoirs qui permettent d’accéder du sensible à l’intelligible.

La figure

Au sommet de la mappemonde, en haut, à l’orient, se dresse la figure du Christ. À sa droite est placé le Paradis terrestre où Adam et Ève se partagent le fruit de l’arbre de la connaissance. À sa gauche, Alexandre vient consulter les arbres oraculaires du Soleil et de la Lune pour percer le secret de son destin.
Le visage très ovale, serein, est souligné d’une légère barbe et encadré de longs cheveux bouclés. Il ressemble à ces figures de Christ de type « gothique », au visage jeune, encore presque imberbe.
La tête est entourée d’un nimbe crucifère. Dans le halo bleu doublé aux trois-quarts d’une légère volute – qui pourrait signifier les eaux célestes, ligne de partage entre l’univers physique et le monde supra-sensible – qui constitue l’auréole, se détachent les trois branches rouges, ornementées, de la croix.
L’ensemble est inscrit dans un cadre rectangulaire bordé d’or sur fond rouge d’où se détachent distinctement, en majuscules : à sa droite, l’alpha traversé d’une petite croix, à sa gauche, l’oméga également traversé d’une croix. Ainsi est rappelé que dans la personne du Verbe créateur et rédempteur se résolvent le commencement et la fin de toutes choses.

Les mains

La main droite du Christ
La main droite du Christ |

Bibliothèque nationale de France

La main droite, paume ouverte, où l’on peut lire la trace de la crucifixion, surgit au milieu du fleuve Tanaï (le Don), limite traditionnelle depuis le découpage opéré par les géographes grecs entre l’Asie et l’Europe.

La main gauche, également paume ouverte, surgit à l’extrémité méridionale du monde, pour s’étendre sous l’Auster, accompagnée de la légende : « Terram palmo concludit » (Il tient la terre dans la paume de sa main).

Les pieds

Les deux pieds, posés sur l’Océan, légèrement écartés, placés de chaque côté du Zéphyr, à l’extrême occident, également marqués par les traces de la crucifixion, sont accompagnés chacun d’une légende.

Mappemonde d’Ebstorf
Mappemonde d’Ebstorf |

Bibliothèque nationale de France

Au-dessus du pied gauche : « Suaviter disponens omnia » (il dispose tout avec sagesse).
Au-dessus du pied droit : « Usque ad finem fortifer » (il tient tout fermement jusqu’à la fin des temps).

Le corps

Jérusalem
Jérusalem |

Bibliothèque nationale de France

Le corps du Christ n’apparaît pas, tout entier dissimulé par la terre habitée, avec simplement au centre, à l’emplacement ombilical, Jérusalem. La ville carrée, surdimensionnée, est entourée de murailles d’or percées de douze portes. Sortant du vaste tombeau rectangulaire posé sur le rocher, le Christ ressuscité, « vainqueur de la mort », les bras levés. Il tient dans la main gauche l’étendard de la croix, sous les yeux terrifiés du soldat chargé de le garder.
Une longue légende court sur le côté droit. Il y est rappelé le rôle de métropole de Judée joué par la ville et les distances, dans ce monde géométriquement ordonné, qui la séparent des principales cités du pays. Ainsi que la gloire de la ville, chantée déjà par les prophètes depuis « les siècles des siècles », rehaussée par la présence du tombeau vide, signe tangible de la Résurrection :

Jérusalem, capitale celébrissime de la Judée, à 2 300 miliaires de Sychem, 1 600 de Dispoli, 1 600 d’Hébron, 1 400 de Jéricho, 300 de Bethléem, 1 600 de Bersabée, 2 400 d’Ascalon, autant de Joppé, 1 600 de Ramatha, 600 d’Emmaüs, 400 des montagnes que Marie traversa à la hâte. Cette ville célèbre entre toutes s’élève au-dessus de toutes les villes du monde, parce que c’est là que s’est accompli le salut du genre humain par la mort et la résurrection du Seigneur, comme le dit le Psalmiste : «notre roi avant les siècles des siècles ». Cette ville est grande parce qu’elle renferme le sépulcre du seigneur qu’avec une pieuse avidité tout le monde désire voir et parce qu’il l’a ennobli en ressuscitant d’entre les morts, vainqueur de la mort. Comme le dit Sédulius : « Le lieu qui a reçu le trésor du corps du Seigneur, quand il gisait (dans la mort), mérite d’être appelé noble, et saint celui où il est ressuscité.

Sources et signification

La présence du Christ englobant le monde n’est pas nouvelle. Elle traduit visuellement des textes de l’Écriture, bien connus des auteurs médiévaux.

Les textes prophétiques d’Isaïe :

Qui a mesuré dans sa main l’eau de la mer / et évalué les dimensions des cieux ? / jaugé toute la terre au boisseau, / pesé les montagnes au poids / et les collines à la balance ? (Is. XL, 12)
Celui qui appelle les générations dès l’origine / Moi Yahvé qui suis le premier et serai le dernier. (Is. XLI, 4)
C’est moi, Yahvé, qui ai tout fait, / qui, seul ai déployé les cieux. / J’ai affermi la terre, et qui m’y aidait ? (Is. XLIV, 24)
Qui a façonné la terre et l’a fixée / et ne l’a pas créée chaotique mais l’a rendue habitable ? (Is. XLV, 18).
C’est moi qui suis le premier et qui suis aussi le dernier ; / Ma main a fondé la terre et ma droite a tendu les cieux. (Is. 48 XLVIII, 12-13).

Les textes prophétiques de Jérémie :

Est-ce que le ciel et la terre / je ne les remplis pas ? (Jér. XXIII, 24)
C’est moi qui ai fait par ma grande puissance et mon bras étendu, la terre, l’homme et les bêtes qui sont sur la terre. (Jér. XXVII, 5)

Des passages du Livre des Proverbes :

Qui est monté au ciel et en est descendu ? / Qui dans ses poings a recueilli le vent ? / Qui dans son manteau a serré les eaux ? / Qui a affermi toutes les extrémités de la terre ? (Pr. XXX, 4)


Des passages des Psaumes :

Depuis longtemps tu as fondé la terre / et les cieux sont l’ouvrage de tes mains. (Ps. 102)

Ou encore du Livre de Job :

Lequel ignore parmi eux tous, / que la main de Dieu a fait tout cela ? (Job XII, 0)
De celui de la Sagesse déployée « d’un bout du monde à l’autre » qui régit l’univers de « manière bienfaisante » (Sag. VIII, 1).

Mais au-delà des textes même, on sent l’influence de leurs commentateurs, comme saint Augustin, ou Raban Maur. Enfin l’on discerne l’empreinte de certains auteurs contemporains ou presque, celle de Hugues de Saint-Victor, maître de la célèbre école parisienne qui, dans le Libellus de formatione arche, propose la construction d’une mappemonde au cœur d’un espace-temps tout entier inséré entre les bras du Tout-Puissant.

Missale ecclesiae San Victoris
Missale ecclesiae San Victoris |

Bibliothèque nationale de France

La signification

La figure du Christ en majesté domine d’autres images du monde, en particulier au 13e siècle. Récapitulative, elle est là pour rappeler que le Verbe créateur est l’alpha, c’est-à-dire le commencement, celui par qui tout fut créé, en ordre, poids et mesure « qui, de sa paume, a équilibré les cieux, sinon celui qui les a créé, celui qui, en étendant la main, a défini leur largeur, de sorte que la partie orientale et la partie occidentale s’équilibrent et que l’Aquilon ne l’emporte pas sur le midi, ni que celui-ci soit plus léger ».
Il est aussi le Rédempteur, le Crucifié « vainqueur de la mort », ressuscité au troisième jour, apportant par là le salut aux quatre coins de la terre : « Le nombre quatre, de la forme de la croix du Christ, représente tout l’orbe du monde et par là il est facile de comprendre que le Seigneur, Créateur de l’univers, a voulu signifier que lui, crucifié sur une croix quadriforme, serait le Rédempteur et le Réparateur de cet univers ».

Le Christ en majesté au centre de la grande Théophanie
Le Christ en majesté au centre de la grande Théophanie |

Bibliothèque nationale de France

Il est celui qui reviendra à la fin des temps, l’oméga, pour juger les vivants et les morts. Il est le commencement et la fin, le seul et unique Dieu : « Je suis le premier et le dernier / Moi excepté il n’y a pas de Dieu » (Is. XLIV, 6). Il est celui qui contient tout : « [...] que les bras du Seigneur enveloppent tout, ici et là, cela signifie que tout est sous sa domination et que nul ne peut diriger sa main, ni la droite vers la récompense, ni sa gauche vers le châtiment » (Hugues de Saint-Victor, PL 176, col. 626A).
Sans lequel rien ne pourrait exister : « S’ils n’étaient pas tenus par la main de celui qui gouverne, ils ne pourraient exister, non plus que si l’Auteur retirait sa main de la direction des choses. » Celui qui à la fois gouverne et vivifie.

Et comme l’explique Alain de Lille :

Afin que cela te soit plus évident, j’ai peint sous une forme visible toute la personne du Christ, c’est-à-dire la tête et les membres, afin que, comme tu vois tout (ce qui est visible), tu puisses plus facilement comprendre ce qui est dit au sujet de ce qui est invisible.

L’image se veut une invite à la méditation.