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Les océans et les mers

La Terre, ses fleuves et ses rivières
La Terre, ses fleuves et ses rivières

Bibliothèque nationale de France

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Conscients que la terre habitée ne représente qu’une petite surface du globe terrestre, les géographes médiévaux l’entourent d’un immense océan, source unique de toutes les eaux.

Avec l’air, l’eau entoure immédiatement la terre. Comme l’expliquent les auteurs de l’époque, l’eau et la terre sont étroitement imbriquées :

Le Créateur a ceint l’orbe terrestre, tout autour et en son milieu, par l’eau qui converge de toutes parts vers le centre de la terre et, parce qu’elle tend vers l’intérieur, ne peut tomber. Ainsi, comme la terre aride et sèche ne pourrait vivre par elle-même et sans humidité et qu’en revanche, les eaux ne pourraient se maintenir sans le soutien de la terre, elles sont liées l’une à l’autre par un mutuel enlacement, la terre ouvrant son sein, l’eau l’irrigue tout entière, à l’intérieur, à l’extérieur, au-dessus comme en dessous, par des veines qui la parcourent comme autant de liens, allant jusqu’à s’élancer des sommets les plus élevés.

Bède, De natura rerum, XLIII

La source unique des eaux douces et salées

Dans la conception biblique du monde, l’ensemble des eaux qui entourent et irriguent la terre puisent à une source unique : le grand abysse. Les philosophes naturalistes du 12e siècle, tel Guillaume de Conches, appellent cette source le « véritable Océan », la « Vraie Mer », la « Mer véritable », le « grand Océan », la « Méditerranée », la « Mer du milieu des terres ».

Mappemonde de Lambert de Saint-Omer
Mappemonde de Lambert de Saint-Omer |

Bibliothèque nationale de France

Cette grande mer coule dans la zone équinoxiale. Elle se sépare à l’est et à l’ouest en deux flux nord et sud qui forment ainsi – selon la théorie élaborée dans l’Antiquité par Cratès de Mallos – un deuxième anneau océanique partageant la Terre en quatre petites îles dont la terre habitée, la nôtre, l’œkoumène des Grecs, ne représente que le quart de l’espace émergé.

La Sagesse divine, sachant que rien ne pouvait vivre sans chaleur et sans humidité, a placé ce lieu unique au milieu de la zone torride, sous la source de toute chaleur, au milieu du cercle équinoxial qui entoure la Terre. Ce que certains mettent en doute, puisqu'en raison de la chaleur nul n'a pu y parvenir. Ces eaux sont rassemblées là depuis le commencement du monde, quand, au troisième jour, Dieu ordonna que les eaux qui sont sous le ciel s'amassent en une seule masse et qu'apparaisse le continent et il en fut ainsi. Dieu appela le continent « terre » et la masse des eaux « mers » et Dieu vit que cela était bon.

Guillaume de Conches (Gen., I, 9-10)

De ce réservoir immense viennent toutes les eaux, coulent toutes les sources et tous les fleuves. D’une façon ou d’une autre, lui sont reliées toutes les autres mers qui prennent le nom des terres qu’elles bordent. Mais alors, si toutes les eaux proviennent d’une seule et unique source, comment expliquer que les unes soient « douces », et les autres « salées » ?

De la saveur de l’eau

Pour nombre de philosophes naturalistes, depuis le 12e siècle, l’eau proprement dite « n’a ni couleur, ni goût, ni odeur ». Cette amertume qui donne son nom à la mer viendrait d’un accident extérieur, en l’occurrence la chaleur du soleil et des planètes. Comme l’explique Adélard de Bath dans les Quaestiones naturales, une explication reprise plus tard par Vincent de Beauvais au 13e siècle : « Puisque l’Océan véritable traverse la zone torride à travers laquelle passe la trajectoire circulaire des planètes, la mer en vient à être réchauffée par la chaleur dégagée par les étoiles, et reçoit sa salinité de l’effet de cette chaleur. »

Que l’eau tienne sa salinité de la chaleur du soleil, et partant d’un phénomène de coction, c’est l’opinion la plus répandue. Rares sont ceux qui, avec Alexandre Neckham, veulent y voir l’effet de la dissolution de grandes montagnes de sel sous-marines, ou bien encore, tel Michel Scot, la conséquence de l’antériorité des eaux de la mer sur les eaux terrestres.

Les trois parties du monde
Les trois parties du monde |

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L’absence de saveur initiale des eaux et la cause de leur salinité une fois admises, comment expliquer que certaines eaux demeurent douces, alors qu’elles sont toutes issues d’un même principe ? La réponse est simple et la même pour tous : sortant de la mer, l’eau, en raison de sa fluidité, pénètre à l’intérieur de la Terre, par des canaux secrets que Guillaume de Conches appelle des « cataractes ». Ces canaux sont à la Terre ce que les veines sont au corps humain : à travers eux, l’eau est filtrée, édulcorée, perd son amertume et retrouve sa sapidité première. À moins que des saveurs nouvelles ne soient empruntées à la terre que l’eau traverse. Ainsi « elle prend une saveur douce quand elle traverse une terre riche en sable ou en pierre, mauvaise quand elle traverse une terre boueuse, amère quand elle traverse une terre riche en soufre, en chaux ou en cuivre ». « Que de la mer aux ondes salées, écrit Gervais de Tilbury, viennent jaillir sur la terre des sources dont les eaux sont tout à fait douces, de la mer aux eaux chaudes, des sources très froides, c’est là une chose qui est due à la vertu bienfaisante de la terre qui rend douce une eau qu’elle a abondamment filtrée et qui, par sa froideur, chasse la température élevée qui provient de la mer ».

Ce même rôle de filtre est aussi joué par les énormes masses d’air qui transforment en pluie douce les brumes issues de l’eau de mer.

De la couleur des eaux

Insipide par nature, l’eau possède également une couleur indéfinissable. Dans les Étymologies, Isidore de Séville met sur le compte des vents la couleur changeante de la mer, tantôt jaune, tirant sur le rouge, tantôt claire, brillante, tantôt sombre, noire. En fait, l’eau est incolore :

L’eau quand on la regarde de loin, semble verte. Quand elle tombe en chute, elle apparaît plutôt blanche. C’est qu’en réalité, elle est incolore. [...] Si elle était colorée, elle devrait n’avoir qu’une seule couleur, mais puisqu’elle semble en avoir plusieurs, ces couleurs ne sont pas les siennes, mais celles des choses qui lui sont associées.

Isidore de Séville, Étymologies

Chacun sait, par exemple, que la mer Rouge tire sa couleur des rivages voisins dont on extrait le minium. Pour Barthélémy l’Anglais :

Elle est appelée la mer Rouge parce qu’elle est colorée par des flots de teinte rouge ; cependant elle ne possède point la nature qu’elle semble montrer, mais la couleur de ses ondes est altérée par la nature des rivages qui en sont voisins, et qui lui donnent cette teinte, parce que toute la terre qui l’entoure est rouge et présente une couleur qui est proche et voisine de celle du sang. C’est en effet de cette contrée que l’on extrait le vermillon le plus ardent et les autres couleurs qui donnent leur éclat à la peinture. Ainsi, parce que la terre possède une semblable nature, lorsque les flots désagrègent le rivage, les ondes de la mer prennent une couleur rouge.

Le voyage de Vasco de Gama
Le voyage de Vasco de Gama |

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Cette mer est toujours représentée en rouge sur les mappemondes bien qu’au 14e siècle, l’auteur de l’Atlas catalan insiste : « Cette mer est appelée mer Rouge. [...] Sachez que l’eau n’y est pas rouge, mais c’est le fond qui est de cette couleur. »

Quant aux autres mers, elles sont le plus souvent peintes en vert pour les distinguer des fleuves et des rivières représentés en bleu.

Nomenclature de l’Océan et de la Méditerranée

Sur la mappemonde proprement dite, l'Océan, et les mers qu'il forme en pénétrant à l'intérieur des terres, sont indiqués par des traits ondulés figurant les flots. Une représentation uniforme ponctuée çà et là par des dénominations particulières.

L’île perdue
L’île perdue |

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Des noms de l’Océan

L’Océan est la « Vraie Mer », la source de l’eau originelle. Néanmoins, il peut prendre à certains endroits des dénominations particulières empruntées le plus souvent aux terres qui le bordent.

Ainsi, à l’est, il porte le nom d’Eous, océan Auroral ou Oriental. Plus loin, sous le septentrion, au moment où il pénètre la terre, aux « Seins de l’Aquilon », jusqu’en Arménie, il porte le nom de Caspium mare : c’est la mer Caspienne, considérée jusque-là comme un golfe de l’Océan septentrional, mais dont certains voyageurs ont fait le tour, montrant ainsi qu’il s’agit d’une mer fermée, comme la représente l’Atlas catalan. En allant vers l’ouest, l’Océan prend, semble-t-il, au large de Lunebourg, entre la Norvège, encore considérée comme une île, et la côte de ce qui est actuellement la Baltique, le nom de [Mare germanic]um.

Enfin, au sud-est, sont indiqués : Azanicus (?), peut-être le golfe d’Aden, ou Arabicus (?), le golfe Arabique – abîmée, cette partie ne montre ni la mer Rouge ni le golfe Persique – et Indicus, l’océan Indien, entre le cap de Caligardamana, au sud-est de l’île de Taprobane, et le port de Cotunare, à proximité de l’île de Chrysé, l’île de l’or où, selon la légende, « les Arabes et les Égyptiens recueillent le poivre apporté par les populations indiennes ». En revanche le terme d’ « atlantique » que porte traditionnellement l’Océan à proximité des côtes de l’Afrique – du nom du mont Atlas – n’apparaît pas.

Divers noms de la Méditerranée

La Méditerranée, la « Nôtre », « Notre Mer », par opposition à la grande mer du milieu de la Terre, porte des noms différents selon les terres qu’elle borde.

Les eaux de l’Océan dont elle est issue pénètrent à l’intérieur des terres par un détroit – Strictum mare – entre l’Europe et l’Afrique. Ailleurs, ce détroit porte le nom de Gadès, souvent bordé par les Colonnes d’Hercule. Ensuite, la mer prend de multiples noms. D’abord Balearicum mare, à proximité de l’archipel des Baléares, elle devient la mer Tyrrhénienne (Thyrrenum), puis Ligustique (Ligusticum) autour de Gênes, et Libyque (Libycum) face à la côte d’Afrique. En avançant vers l’est, au nord de la Sardaigne, elle adopte le nom d’Inferum, mer Inférieure. Mer de Crète (Cretum) à proximité de l’île, elle est Carpathium mare, ou mer d’Égypte, au large de Carpathos, et Asiaticum à l’approche de l’Asie Mineure. La Phenicium mare longe les côtes de la Palestine et de la Phénicie, puis c’est la mer Égée (Egeum mare) au milieu des Cyclades, curieusement placée ici face à Constantinople. Enfin, en se dirigeant vers le nord, elle porte le nom de Pont-Euxin (Euxinus Pontus) : c’est la mer Noire, resserrée entre les détroits plus ou moins bien représentés du Bosphore, figuré comme une île (Bosphorum insula) et du Bras de Saint-Georges (Bracchium Sancti-Georgii).

La circulation des flux de la mer
La circulation des flux de la mer |

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Le Pont-Euxin s’achève vers l’est par un grand lac, Lacus Cimericus, la mer Cimmérienne des géographes grecs. Pour le géographe latin Strabon, la mer Noire est divisée en deux parties rarement confondues : la partie occidentale, ou Pont-Euxin, et la partie orientale, la mer Cimmérienne, à proximité du territoire des Amazones. Enfin, les marais Méotides, notre mer d’Azov, permettent la communication avec la mer Caspienne et l’océan Septentrional par le fleuve Tanaïs (le Don).
Le terme de « Méditerranée » ou de « Grande Mer » n’apparaît qu’une seule fois, de façon récapitulative, au centre.

Mappemonde d’Ebstorf
Mappemonde d’Ebstorf |

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Dans les mers

Monstre marin
Monstre marin |

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Sur la mappemonde, ni les mers ni l’Océan ne sont vides. A-t-on voulu éradiquer la peur d’une étendue inquiétante, parce qu’inconnue, en multipliant les traces animales et surtout humaines à l’intérieur de cet espace réputé dangereux ? Dans les parties nord et est sont figurés – comme sur les mappemondes du Commentaire de l’Apocalypse de Beatus – un certain nombre d’animaux, poissons et monstres marins.
Au nord-est, une sorte de poisson géant s’apprête à avaler un cervidé. Il s’agit sans doute de l’un de ces « serpents géants » qui vivent au voisinage de l’Inde, décrits par Solin, Isidore de Séville et encore Honorius Augustodunensis au 12e siècle : « Il y a là des serpents si grands qu’ils dévorent les cerfs et sont même capables de traverser l’Océan. » Tandis que sur la rive un petit personnage brandissant un poisson à chaque main figure peut-être les Ichtyophages qui se nourrissent de poissons crus et se désaltèrent d’eau salée (Honorius, Imago mundi, I, 10). Ailleurs, au nord-est comme au sud-est, d’autres poissons, en apparence plus inoffensifs, bien que de taille disproportionnée, nagent en sens contraire du courant, peut-être pour indiquer les remous et les tumultes des flots.

Sirène ailée jouant de la flûte
Sirène ailée jouant de la flûte |

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Mis à part ces poissons, il est signalé ailleurs, à proximité des îles de Gadaronte, face à cette terre gagnée sur l’eau appelée « Hollande », qu’il existe dans ces parages des sirènes. Les sirènes ailées d’Homère sont devenues, le plus souvent, au Moyen Âge, des femmes à queue de poisson. Enfin, sur les rivages de l’océan Indien, vivent, dit-on, des tortues de taille si considérable que, avec leur carapace, les hommes peuvent se faire de spacieuses habitations.