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Labourer, semer, récolter

La production agricole dans les campagnes médiévales
Les biens du paysan
Les biens du paysan

© Bibliothèque nationale de France

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À partir de 980, le climat se radoucit, favorisant le développement des cultures, tandis que diminuent les invasions et les conflits. La population augmente et s’accapare des terres nouvelles par des défrichements. Dans le même temps, Les rendements s’accroissent grâce à de nouvelles techniques : le travail du fer, et la maîtrise de l’énergie hydraulique.
 

La production des céréales

Qu’il s’agisse de grandes ou de petites exploitations, on demandait aux terres arables de produire des céréales destinées exclusivement à l’alimentation humaine : dans les grandes plaines du Nord, c’était l’épeautre, le seigle, l’orge d’hiver, l’avoine, moins souvent le froment ; dans le Sud, on cultivait le froment, le mil, le sorgho.

La rotation des cultures et jachères

Les céréales
Les céréales |

© Bibliothèque nationale de France

En gros, on connaissait deux types de rotation des cultures. La rotation biennale a été seule pratiquée dans le Midi : à une année de culture succédait une année de jachère. Dans les terres à blé du Nord, la rotation triennale était, sinon de règle, du moins fréquente, et cela sans doute depuis longtemps : les champs portaient successivement du blé d’hiver, du blé de printemps et étaient ensuite laissés en jachère. En l’occurrence, les conditions climatiques prévalant dans les plaines du Nord étaient favorables à la rotation triennale : alors que l’orge et surtout l’avoine de printemps ne supportent pas les coups de chaleur du Midi méditerranéen, elles s’accommodent bien, en revanche, du climat plus frais et plus humide du Nord.

On avait partout recours à la jachère, que ce soit en pays de rotation biennale ou dans les zones de rotation triennale. On savait en effet qu’un repos plus ou moins long était nécessaire à la terre pour qu’elle puisse se reconstituer et porter à nouveau des récoltes. Dans les terres pauvres, il arrivait même que des champs restent en jachère pendant plusieurs années. Il y avait à tout cela une raison fondamentale qui était le manque d’engrais.

Le fumier animal

À l’exception de la marne, utilisée depuis des temps reculés dans les régions où il s’en trouvait, notamment en Artois, en Normandie et en Île-de-France, mais aussi dans le Maine et le Béarn, le seul engrais alors connu était le fumier animal. Mais les bovins, qui donnaient le meilleur fumier, étaient généralement peu nombreux. Comme on ne cultivait aucune plante fourragère, les animaux ne connaissaient que de brèves périodes de stabulation, pendant lesquelles on les nourrissait tant bien que mal avec l’herbe de rares prés de fauche : il n’en résultait que peu de fumier, que l’on épandait uniquement sur les champs qui allaient recevoir les semailles de blé d’hiver. On recourait aussi à la vaine pâture, qui consistait à faire paître les animaux sur les champs qui venaient d’être moissonnés, mais la période de vaine pâture était trop courte pour que les champs soient suffisamment fumés.

Le millet
Le millet |

© Bibliothèque nationale de France

C’est pour tout cela que, pendant des siècles, bien au-delà du Moyen Âge, on a fait appel à la jachère. C’est aussi pour cette raison que les rendements sont restés longtemps très bas.

Les campagnes n’étaient pas pour autant vouées à l’immobilité. En fait, un prodigieux pas en avant a été fait entre le 10e et le 13e siècle, période pendant laquelle les hommes ont fait reculer les forêts, les landes, les marécages et même la mer : c’est l’époque dite «des grands défrichements».

Les grands défrichements

Plusieurs circonstances favorables ont permis le déclenchement, puis l’épanouissement de ce vaste mouvement. Et tout d’abord le retour à la paix, au 10e siècle, après les invasions hongroises et normandes du 9e siècle. Ensuite, un certain refroidissement du climat, au 11e siècle, a contribué à la dégradation de la forêt, ce qui a naturellement facilité le travail des défricheurs. Enfin, des améliorations essentielles ont été apportées à l’outillage agricole.

L’élargissement des terroirs anciens

Tout porte à croire que les défrichements ont commencé à la périphérie des espaces cultivés et qu’ils ont résulté de l’initiative individuelle de tenanciers qui cherchaient à accroître leurs moyens de subsistance, et cela, si possible, à l’insu de leur propriétaire, de leur seigneur. Mais les seigneurs eux-mêmes ont fini par encourager ces défrichements, ces essartages, parce qu’ils pouvaient en tirer profit en levant des droits sur les terres nouvellement mises en culture : c’est ainsi que les seigneurs ecclésiastiques – et ils étaient nombreux – se sont mis à prélever les dîmes dites «novales» sur les terres nouvelles, en plus des dîmes pesant sur les champs depuis longtemps mis en culture.

La création de nouveaux terroirs

À côté de «l’élargissement des terroirs anciens», pour reprendre ici les mots de G. Duby, il y a eu aussi la création de nouveaux terroirs, par des groupes qui s’étaient constitués soit spontanément, soit, cas le plus fréquent sans doute, à l’appel de seigneurs entreprenants. Un cas typique est celui de la Flandre, où de grands seigneurs ecclésiastiques – de riches abbayes – se sont associés avec de grands seigneurs laïques, le comte de Flandre en tête : les premiers apportaient la terre, tandis que les seconds disposaient des «rouages du pouvoir» et pouvaient «octroyer des privilèges d’ordre judiciaire, fiscal et institutionnel» (A. Verhulst) aux défricheurs.

Dans ce genre d’entreprise, on faisait appel, quand c’était possible, à une main-d’œuvre se trouvant à peu près sur place, mais le plus souvent, on employait des «hôtes», venus de plus loin. Par exemple, la région parisienne a reçu de véritables immigrants venus du Maine, de l’Anjou, du Poitou, de Bretagne, du Massif central. Il s’est ainsi créé beaucoup de villages autour desquels s’étendaient les champs nouvellement établis.

L’évolution de l’outillage et des techniques agricoles

Les progrès faits au 11e siècle dans la métallurgie ont permis de rendre plus efficaces et plus solides les outils des paysans, car on s’est désormais efforcé de garnir de fer les éléments tranchants des haches, des houes, des fourches, des serpes, des faucilles, des faux, des herses, sans oublier bien sûr le soc et le coutre des charrues.

Les biens du paysan
Les biens du paysan |

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La charrue

À côté de l’araire – instrument relativement simple en usage depuis l’Antiquité –, un outil de labour plus puissant, connu déjà, peut-être, à l’époque carolingienne, s’est répandu entre le 10e et le 13e siècle dans les plaines de l’Europe occidentale : c’est la charrue. Munie d’un soc analogue à celui de l’araire, la charrue est de surcroît pourvue d’un coutre, «grand couteau vertical placé à l’avant et chargé de tracer la ligne de la raie que va ouvrir le soc» (G. Fourquin), et d’un versoir, pièce de bois ou de métal qui fait se retourner et se rejeter sur le côté la terre du sillon creusé par le coutre et le soc. La charrue, instrument dont on a souvent souligné l’aspect dissymétrique, a sur l’araire, symétrique, des avantages incontestables : elle pénètre la terre plus en profondeur et la retourne ; ce faisant, elle l’ameublit, ce qui favorise la circulation de l’air et de l’eau dans le sol.

La charrue
La charrue |

© Bibliothèque nationale de France

Tout ceci vaut surtout pour les sols riches et lourds, comme ceux des plaines de l’Île-de-France et de la Picardie. Au contraire, dans les sols légers et souvent pierreux comme il s’en trouve beaucoup dans le Midi, l’araire suffisait, d’autant plus que, ne retournant pas la terre, «il ne faisait pas remonter les pierres à la surface comme aurait fait la charrue» (G. Fourquin). Il n’est donc pas étonnant que l’araire ait conservé la première place dans le Midi, tandis que la charrue se répandait dans le Nord.

La traction animale

Un autre domaine a été marqué par des innovations notables, à savoir celui de la traction animale.

Pour les bovidés, animaux de trait par excellence pendant des siècles, l’élément important de l’attelage était le joug. Une première amélioration consista, probablement au tournant des 11e-12e siècles, à remplacer le joug de garrot, appuyé sur la nuque de l’animal, par un joug posé sur ses cornes, ce qui augmentait la capacité de traction. Puis, un siècle plus tard, fut introduit le joug frontal, plus efficace encore, et qui est resté en usage jusqu’à nos jours partout où les bœufs continuent à servir de bêtes de trait.

Le mil
Le mil |

© Bibliothèque nationale de France

Cependant, en matière de traction animale et d’attelage, la nouveauté capitale a été de recourir aussi au cheval. Longtemps utilisé essentiellement à des fins militaires, le cheval n’était capable par ailleurs que de tirer des charges assez légères, faute d’un attelage adéquat. Le joug (de garrot ou frontal) est en effet peu adapté au cheval parce que l’encolure de celui-ci est relevée et ne suit pas, comme celle du bœuf, l’axe de la colonne vertébrale.

En revanche, le collier d’épaule permet d’utiliser pleinement la vigueur du cheval. Cet élément de l’attelage, qui existait peut-être déjà dans l’Antiquité mais sans effet pratique, a commencé à se répandre dans les campagnes de l’Europe occidentale vers les 9e-10e siècles, et, avec lui, l’usage de la charrue tirée par des chevaux. Ceux-ci, nettement plus rapides que les bœufs, convenaient particulièrement bien aux grandes plaines du nord de la France, de la Belgique et de l’Allemagne.

Pourtant, la traction chevaline n’y a pas fait disparaître complètement l’utilisation des bovidés pour le travail de la terre. Les chevaux sont en effet des animaux coûteux à l’achat et à l’entretien, et, s’ils ont eu le plus souvent la préférence bien compréhensible des grands propriétaires, ils ont eu naturellement moins de succès auprès des ruraux moins fortunés ou carrément modestes. D’autre part, les bovidés, de santé plus robuste et au pied plus stable, ont conservé leur place dans les campagnes accidentées et fortement ensoleillées des zones méridionales, concurremment du reste avec les mules et les ânes, qui sont moins chers et à tous égards plus solides que le cheval, et qui supportent, mieux que lui, les fortes chaleurs estivales.

Provenance

Extrait d’ un article de Marie-Jeanne Tits-Dieuaide, dans Paysages, paysans. L’art et la terre en Europe du Moyen Âge au XXe siècle (BnF/RMN, Paris, 1994).

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