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François Ier et les lettres

François Ier assis devant une table et entouré de seigneurs écoute Anthoine Macault lui lisant un chapitre de son ouvrage
François Ier assis devant une table et entouré de seigneurs écoute Anthoine Macault lui lisant un chapitre de son ouvrage

© Bibliothèque nationale de France

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Resté dans l’histoire comme l’exemple type du roi mécène, François Ier manifeste tout au long de son règne un intérêt pour la pensée humaniste. Guillaume Budé ou Clément Marot célèbrent en retour l’ouverture de ce souverain esthète, dont le règne marque un tournant dans l’histoire littéraire.

Lorsqu’il apprend la mort de Louis XII, l’humaniste Guillaume Budé est en train d’achever la rédaction du traité De asse et partibus eius, savant ouvrage qu’il consacre aux monnaies antiques. Il en développe alors les dernières pages et n’y cache pas sa joie de voir François d’Angoulême devenir enfin roi : le nouveau règne ouvre une ère où renaîtront les « bonnes Lettres ». Ces bonæ litteræ recouvrent un idéal encyclopédique et sont le fondement d’un corps social harmonieux ; l’étude des lettres est l’unique moyen de lutter contre le risque toujours présent de régression de l’humanité vers l’animalité.

Les implications d’une telle conception sont d’importance : comme Budé l’écrira plus tard, des lettres « procèdent dans l’image que l’État donne de lui-même convenance, dignité et majesté qui illustrent le nom et la gloire des royaumes et des peuples et recommandent à perpétuité leur mémoire ». Promesse d’harmonie, les lettres sont aussi, pour le présent et l’avenir, promesse de gloire. La protection des lettres, qui redéfinit leur place et celle des lettrés dans le royaume, peut être un acte proprement politique de rupture.

L’idéal d’un humaniste

Les dernières pages du De asse sont à la croisée d’une conviction et d’une ambition pour les lettres, d’une conception du pouvoir royal et d’une intuition capitale : le nouveau roi est capable de répondre à un rêve d’humaniste. Les fondements d’un tel espoir ne se laissent que deviner : certains éloges adressés au très jeune François d’Angoulême célèbrent un prince à l’esprit curieux, un soutien des études hébraïques et grecques.

Guillaume Budé à l’œuvre pour le roi
Guillaume Budé à l’œuvre pour le roi |

Bibliothèque nationale de France

Entre panégyrique et prescription, Budé fait part au roi de ses ambitions et de ses espoirs. Dans le texte connu comme son Institution du prince, deux volets se répondent. La dédicace loue un roi restaurateur des lettres grecques et affirme la confiance de le voir devenir protecteur actif des lettrés. Elle rassemble les enjeux de la politique que Budé propose à son roi de conduire en faveur des lettres : par sa libéralité, le roi peut créer « poëtes et orateurs » comme il crée « contes et ducs ». Allégoriquement, le roi peut protéger des Muses qui concourent à sa gloire : Calliope, Muse de la Poésie épique, dit « choses elegantes pour resjouyr par suavité [douceur] de langaige leur conducteur et entreteneur », tandis que Clio, Muse de l’Histoire, récite « par hault stile les gestes et merites des royz dignes de loz [louange] et gloire ». La célébration, inscrite dans l’univers des mots, place la figure royale dans l’espace glorieux du mythe qui seul peut dire l’aura d’un pouvoir royal ressourcé par la culture lettrée qu’il protège. Moyen de devenir pour les lettrés, le mécénat des lettres est le support de l’immortalité du prince qui reconnaît leur valeur. Le texte lui-même souligne les mérites des hommes de lettres et définit une nouvelle aristocratie du savoir. Budé trace ainsi le cadre au sein duquel tout discours à la gloire d’un royal protecteur des lettres prend place, qu’il traduise des attentes ou célèbre une action.

Apollon, Pan et un Putto (l’amour ? ) sonnant du cor
Apollon, Pan et un Putto (l’amour ? ) sonnant du cor |

© Bibliothèque nationale de France

L’Amour inspirant trois muses
L’Amour inspirant trois muses |

© Bibliothèque nationale de France

Des armes et des lettres

Les premières années du règne cependant, toutes consacrées à la guerre ou aux tractations diplomatiques, ne gardent que peu de traces de l’intérêt du roi pour les lettres. La publication de correspondances humanistes affirme une ambition royale en faveur des lettres, dit que l’espoir demeure, mais il faut attendre la seconde partie des années 1520 et le retour du roi de son exil madrilène pour qu’il se concrétise et que naisse vraiment le portrait d’un roi protecteur des lettres. Lorsqu’il adresse à François Ier sa traduction des oraisons de Cicéron, vers 1529, Étienne Le Blanc articule la gloire que le souverain s’assure en faisant fleurir les lettres grecques, latines et françaises par sa libéralité à la gloire acquise lors de la « journée de Marignan ». Dans une perspective qui conjure la défaite de Pavie en l’ignorant, les lettres sont présentées comme un accomplissement glorieux de l’image royale. Flatteuse continuité conforme aux attendus de la rhétorique de l’éloge ? Glorieuse vision du règne par un lettré ? Sans doute, mais qui, offerte au roi qui l’accepte, est significative de l’articulation qu’armes et lettres doivent entretenir pour que la protection des lettres soit un titre de gloire : le prince récemment vaincu ne trouve pas de revanche sur un nouveau terrain ; il acquiert un autre titre de gloire qui ne remplace pas celui de roi guerrier.

Claude de Seyssel offrant son ouvrage à Louis XII
Claude de Seyssel offrant son ouvrage à Louis XII |

© Bibliothèque nationale de France

En cette seconde partie des années 1520, l’action de François Ier s’affiche en outre comme une rupture avec l’action de son prédécesseur. Lorsque, à partir de 1527, Jacques Colin fait imprimer les traductions d’historiens grecs que Seyssel avait offertes à Louis XII, il a soin de souligner une volonté royale de diffusion « au prouffit et edification de la noblesse et subject de son Royaulme ». C’est un « acte formellement contraire à ung aultre du grand Alexandre », et Colin de rappeler les reproches adressés à Aristote par Alexandre le Grand pour avoir fait connaître à d’autres que lui ses doctrines. Deux ans plus tard, cette volonté est mise en regard de celle de Louis XII lorsqu’il avait reçu de Seyssel la traduction française de Xénophon : il semblait alors au roi qu’un tel livre ne devait pas être divulgué, mais « comme chose très rare estre communiquée à Prince seulement ». Plus généreux qu’Alexandre, François est aussi plus généreux que Louis XII. Marot s’exclame : « Voyez l’histoire […] / Qui par tant d’ans vous eust esté celée, / Si le franc Roy ne vous en eust fait part. » Si le regard porté sur la culture lettrée présente une certaine continuité – Louis XII avait également entretenu des lettrés –, la volonté de diffusion que manifeste François Ier est entièrement nouvelle. Le développement de l’imprimerie sous l’impulsion royale doit se lire à l’aune de cette intention. La protection des lettres se fait par la divulgation de leur richesse, et les nombreuses traductions commandées par le roi puis imprimées en constituent un aspect essentiel. En un temps où le manuscrit représente encore un support non négligeable de circulation des textes, les atouts de l’imprimerie en termes de diffusion sont évidents. Mais l’importance accordée à la traduction est aussi un aspect d’une conscience partagée par le roi et nombre d’humanistes : il faut donner au français, langue nationale et royale, les moyens de devenir langue de culture et, par là, langue de pouvoir.

L’année 1530 est celle qui donne à la célébration du roi un tour nouveau : elle est en effet marquée par la création longuement attendue par Budé de quatre postes de lecteurs royaux, deux de grec et deux d’hébreu – suivront, au fil du règne, les créations d’un poste de mathématiques, puis d’éloquence latine. Même s’il ne fait que répondre aux sollicitations d’humanistes donnant à ce projet une publicité qui appelle une décision, le roi est personnellement célébré comme promoteur de l’étude des trois langues anciennes – hébreu, grec et latin – et les éloges pleuvent, sans proportion avec l’ampleur de la création. Adressés au roi, ils semblent lui renvoyer l’image glorieuse promise par Budé. Inlassablement répétés, ils fixent durablement une représentation complexe et cohérente d’un roi non seulement protecteur des lettrés, mais également ami des lettres, voire membre de la communauté qu’elles forment. Humanistes et poètes, pour certains désireux de mettre fin à une situation matérielle précaire grâce à un généreux mécène, aristocrates lettrés dont l’otium est consacré à l’écriture, membres des cercles royaux soumis à des titres divers aux jeux complexes de la faveur ou provinciaux sans grands contacts avec la cour, tous tracent un unique portrait idéalisé du roi. Qu’importent des centres d’intérêt divers, des ambitions diverses, qu’importent des degrés d’érudition très différents et d’âpres rivalités : la figure du roi transcende les parcours individuels, les fédère, car elle est leur point d’ancrage aussi bien que la condition de leur pleine réalisation. Le portrait du roi, né de sa personne et de son action autant que des mots qui le dessinent, est fait de subtiles variations sur quelques thèmes soigneusement articulés.

« Avec privilège du roi »
« Avec privilège du roi » |

© Bibliothèque nationale de France

Le roi couronnant le poète
Le roi couronnant le poète |

Bibliothèque nationale de France

En bonne rhétorique, l’assise des éloges se trouve dans un ensemble de capacités qui sont autant de liens avec l’univers des lettres. Le roi est ainsi unanimement célébré pour une éloquence naturelle qui soutient la définition d’une langue royale, pour sa mémoire et, bien qu’il ne soit pas savant, pour ses multiples connaissances. Sa personnalité, ses aptitudes et ses goûts coïncident avec les intérêts humanistes. En eux se fondent ses actes ; en eux se fonde une disposition à justement juger dont l’éloge est loin d’être neutre : glorifier le (bon) goût du roi et ses choix, tout orientés qu’ils soient par ses familiers humanistes, revient à la fois à justifier la libéralité royale en termes de justice distributive et à célébrer les œuvres commandées et ceux qui les écrivent. Ce qui s’écrit ne se montre quasiment pas, même si, en 1534, un bois gravé (unique en son genre) orne l’édition parisienne des Opera poetica de Paolo Belmesseri, médecin proche du pape Clément VII : il donne à voir François Ier couronnant de laurier le front du poète. Plus souvent, le commandement du roi, couvrant de son autorité une page de titre, proclame à la fois l’intérêt qu’y a porté le souverain et la qualité de l’œuvre. Les privilèges royaux, ancêtres du copyright qui protègent les publications, participent de ce mouvement : lorsque Hugues Salel en obtient un pour l’impression des Dix Premiers Livres de l’Iliade, la formulation des patentes royales signale un prince conscient de multiples enjeux. En amont, son commandement de traduction ; en aval, un traducteur-poète frustré de son labeur par des imprimeurs indélicats et un roi protecteur qui, affirmant ses goûts, veille « à ce que la dignité de l’Autheur ne soit en aucun endroit prophanée : ne aussy le labeur dudict Translateur mal recogneu, au préjudice de l’utilité, richesse, et décoration que nostre langue Françoise reçoit aujourd’huy, par ceste Traduction, de laquelle nous ont ja esté presentez les neufs premiers livres : dont la lecture nous a esté si agreable, et nous a tant delectée que nous desirons singulierement les continuations et parachevement de l’œuvre ». Il importe peu de savoir si le roi a lui-même dicté cet acte ou si les termes lui en ont été proposés : une fois signées, ces patentes sont paroles d’un prince endossant un rôle que les lettrés attendent de lui et célèbrent en lui.

Scène de lecture
Scène de lecture |

© Bibliothèque nationale de France

La salamandre, protectrice des lettres
La salamandre, protectrice des lettres |

© Bibliothèque nationale de France

Plaisirs de la cour et enjeux politiques

Certaines publications se présentent explicitement comme écho d’une vie de cour où un prince attirant à lui des humanistes fait toute sa place à la vie de l’esprit ; d’autres mettent en scène une cour où la table du roi occupe une place centrale. En 1532, Budé l’évoque de manière vivante dans son De philologia. Si les scènes de dédicace qui décorent certains manuscrits à l’initiative des auteurs demeurent souvent fort traditionnelles dans leur composition, la traduction des Troys Premiers Livres de l’histoire de Diodore par Antoine Macault rompt avec un usage de représentation : le manuscrit de présentation est orné d’une enluminure où l’on voit le traducteur lisant son travail devant le roi attentif, qu’entourent nobles et humanistes ; l’édition imprimée reprend et diffuse cette scène de vie de cour.

Parmi les plaisirs d’une cour ordonnée par son roi, la poésie occupe une place non négligeable. Ici encore, le roi participe au monde des lettres ; il a pu s’essayer à la traduction en prose de l’italien, mais c’est le poète que Clément Marot célèbre : un « Roy qui cherit et practique / Par le haut sens ce noble art poetique ». Des vers royaux circulent sous forme manuscrite ; certains sont imprimés, mis en musique, d’autres sont traduits en latin par le poète de cour Salmon Macrin. Le roi ordonne aussi à Marot d’entreprendre la publication des vers de François Villon. Poésies française et néolatine cohabitent avec la poésie italienne que goûte un souverain connu comme poète jusqu’en Italie. S’il n’a jamais subventionné la publication des vers d’aucun poète français, le roi finance en revanche la publication des Opere toscane de Luigi Alamanni, dont les deux volumes paraissent en 1532 et 1533, ornés en page de titre de la salamandre, de la devise « Nutrisco et estinguo » et dédicacés à un roi célébré pour son goût et sa libéralité.

Roi de guerre et père des lettres
Roi de guerre et père des lettres |

Su concessione del Ministero dei Beni e delle Attività Culturali e del turismo, Direzione Regionale per i beni culturali e del paesaggio-Biblioteca Reale, Torino

Le souverain donne vie à un italianisme royal et français. Amoureux des vers de Pétrarque, il en impose la mode à la cour. Goût des vers et enjeux politiques se rejoignent, fût-ce involontairement. En 1533, la découverte par le roi du prétendu tombeau avignonnais de Laure, célébrée par Pétrarque dans son Canzoniere, a tout pour être l’escorte culturelle des ambitions géopolitiques du souverain : François Ier, en ordonnant la restauration du tombeau abandonné et en composant les vers d’une épitaphe de Laure, fait de son royaume le conservatoire d’une culture qui dépasse ses frontières linguistiques et absorbe un fleuron de la culture italienne. On n’en conclura pas hâtivement que François Ier conduit une politique culturelle au sens que le 20e siècle a donné à cette expression, mais il ne fait aucun doute que ses goûts rejoignent des intérêts politiques auxquels les humanistes sont sensibles. La translatio studii, qui de l’antique Athènes conduit les Muses en France après un séjour italien, se fait aspect de la translatio imperii. Armes et lettres ont partie liée pour un prince qui maîtrise les unes et les autres, qui ne délaisse ni les unes ni les autres. Cette unité, topique de la célébration royale, déjà sensible sous la plume d’Étienne Le Blanc, est pleinement saisie dans la scène de remise de son manuscrit des Antiquités romaines au roi, que Guillaume Du Choul met au propre dans les derniers mois du règne : le roi y est un empereur romain portant un manteau fleurdelysé et tenant le sceptre. Sa représentation dérive du revers d’une médaille gravée par Matteo Dal Nassaro entre 1538 et 1544, qui célèbre un « franciscus primus fr.[ancorum] r.[ex] invictissimus » et offerte à la « virtuti regis invictissimi ». Dans le manuscrit de Du Choul, cette célébration d’un roi victorieux et pacificateur fait place à celle du restaurateur dynamique des lettres : « restitutori bonarvm litterarum ». Héritier de Rome et de son empire, l’invictissimus est aussi restaurateur des lettres.

Si armes et lettres s’unissent dans les discours ou dans de rares représentations visuelles, c’est parce que culture et politique vont de pair. Le mouvement de transfert de savoirs jusqu’alors monopolisés par l’Italie vers la France aussi bien que la valorisation d’un patrimoine culturel national prennent sens parce qu’ils sont politiques. Alors qu’il semble se rêver prince italien, François Ier donne au royaume de France une légitimité culturelle inédite en épousant et stimulant l’action des humanistes. De là l’unité du portrait royal que tracent des plumes bien différentes mais toutes soucieuses d’un même renouveau des lettres, aspect d’une nouvelle gloire du royaume et de son roi.

L’éloge du protecteur et promoteur des lettres, créé par les lettrés, principalement déployé dans des livres dont ils maîtrisent largement les contenus – les représentations visuelles ne lui donnent pas alors une place prépondérante –, accueilli par le roi et rendu possible par ses actes, est étroitement attaché à la valeur prêtée aux lettres. Or, c’est le regard royal qui donne à ces dernières une importance sans précédent : l’attitude de François Ier vis-à-vis des lettres et des lettrés fait de son règne un moment de mutation, incarné en sa personne, qui se fait modèle. Les mouvements d’imitation du prince imposent en effet à tous un regard nouveau sur des domaines jusque-là tenus pour très secondaires par les élites nobiliaires.

Roi de guerre et père des lettres
Roi de guerre et père des lettres |

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Le Livre du courtisan de Baldassare Castiglione
Le Livre du courtisan de Baldassare Castiglione |

Bibliothèque nationale de France

Peut-être faut-il y voir la raison de l’attention que François Ier a accordée à la traduction française du Livre du courtisan de Baldassare Castiglione, publié en italien en 1528. Outre que la fiction d’une réunion à la cour d’Urbino en 1507 y annonce une transformation culturelle du royaume de France si François d’Angoulême devient roi, ce manuel du courtisan propose la redéfinition de la noblesse d’épée dans une synthèse harmonieuse des armes et des lettres.

Le portrait d’un prince ami des humanistes et soucieux de la diffusion de la culture lettrée est donc le point d’appui d’un levier aux enjeux considérables. Il en vient à se confondre avec une évolution profonde, soutenue par des goûts royaux qui s’imposent à tous. Évolution où s’accomplissent, fût-ce imparfaitement, nombre des espérances budéennes.

Courtisans de l’an 1572
Courtisans de l’an 1572 |

© Bibliothèque nationale de France

Courtisans de l’an 1572
Courtisans de l’an 1572 |

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