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De beaux livres pour le roi François

Un livre viatique pour la cour ?
Un livre viatique pour la cour ?

© Bibliothèque nationale de France

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Au 16e siècle, le livre est le principal vecteur du savoir et de la pensée. C’est en esprit curieux et esthète que François Ier développe donc un véritable goût de bibliophile qui crée une véritable émulation au sein des métiers du livre.

L’hommage du livre à François

Au début d’ouvrages qui lui ont été offerts, plusieurs enluminures montrent le jeune François d’Angoulême recevant un livre. Ces scènes – directement transposées de l’iconographie de l’hommage vassalique, avec un sujet-donateur (auteur, traducteur ou éditeur) agenouillé devant un seigneur-destinataire, la symbolique jonction des mains (immixtio manuum) se faisant ici par l’intermédiaire du volume – n’ont rien d’exceptionnel pour un prince de la maison de France. Beaucoup plus étonnante est leur application à un enfant, toujours accompagné dans ces représentations par une dame en grand deuil : sa mère, Louise de Savoie, jeune veuve consacrée à l’éducation de ses enfants, à qui l’on rend aussi hommage au travers de ce fils porteur des plus grands espoirs.

Présenter ces images au seuil d’ouvrages d’édification, c’est montrer que François est moralement bien préparé au métier de roi. D’autres témoignages suggèrent également chez lui un intérêt peu commun pour les œuvres de l’esprit, suscitant chez les lettrés une attente à laquelle Guillaume Budé donne dès l’avènement une force programmatique : le nouveau règne verra s’accomplir le rêve humaniste de collaboration des lettres et du pouvoir, gage d’harmonie pour la société autant que de gloire pour le souverain.

La condition essentielle de cet idéal est le goût de François Ier pour le savoir, qui fait de lui un compagnon des lettrés et donc leur possible soutien. Budé choisit de montrer cette dimension nouvelle de la figure royale en tête d’un manuscrit de son Institution du prince (vers 1519), par le biais d’une subtile modification de la scène d’hommage du livre : le roi est assis sur son trône mais il s’est saisi du volume pour le lire, se tournant vers l’auteur dans une attitude familière ; ce dernier reste agenouillé, tandis que ses mains écartées traduisent l’argumentation plutôt que la soumission, alors que les deux regards se rencontrent sur le livre.

Guillaume Budé à l’œuvre pour le roi
Guillaume Budé à l’œuvre pour le roi |

Bibliothèque nationale de France

Scène de dédicace à François Ier
Scène de dédicace à François Ier |

© Bibliothèque nationale de France

De nombreux contemporains décrivent chez le roi une réelle curiosité intellectuelle, qui s’inscrit plus dans l’art de la conversation que dans le silence de l’étude. Il apprécie la compagnie des savants qui jouent à sa table les ambassadeurs des lettres et des idées. Un « lecteur du roi » est même officiellement chargé d’une telle mission. Ce loisir studieux de la cour est dépeint au frontispice des Histoires de Diodore, traduites et offertes au roi en 1534 par Antoine Macault. Cette célèbre enluminure va plus loin encore que celle de l’Institution du prince dans le renversement des hiérarchies de la scène d’hommage du livre : le roi reste la figure centrale, mais il est assis et attentif à la parole de l’auteur, qui s’adresse à lui debout, gardant son livre en main.

Les images des manuscrits de Budé et de Macault restent cependant aussi originales que confinées aux cercles de la cour (même si, fait notable, celle du Diodore fait l’objet d’une gravure pour l’édition imprimée). Les autres très nombreuses scènes d’hommage du livre au roi gardent, tout au long du règne, une forme traditionnelle. Pourtant, la définition d’une nouvelle image de François Ier est bien à l’œuvre, où le livre se fait objet de partage avec un lettré de son entourage.

Scène de lecture
Scène de lecture |

© Bibliothèque nationale de France

Un amateur de beaux livres

Le roi est aussi décrit comme un lecteur autonome, qui sait retrouver un volume dans sa bibliothèque et se plaît à en montrer les belles pièces à ses visiteurs. N’est-il pas l’héritier des Angoulême, une famille d’amateurs qui a réuni une importante collection dans ses châteaux de Cognac et d’Amboise ? Dans le tumulte de la cour, un beau livre peut donc constituer une stratégie d’accroche du regard royal, préalable à sa faveur. De fait, la tradition de l’exemplaire de présentation, qui remonte au moins à Charles V, prend sous François Ier une ampleur exceptionnelle, tant en quantité qu’en qualité.

Ces volumes présentent une combinaison de caractéristiques. Il s’agit souvent de manuscrits, encore valorisés par l’aristocratie plus d’un demi-siècle après l’invention de l’imprimerie, ainsi que par beaucoup d’auteurs peu soucieux de diffuser leurs œuvres hors des cours royales ou princières, seuls espaces du mécénat littéraire. Un luxe digne du souverain s’exprime dans les matériaux et l’exécution : peau de vélin très fine, calligraphie soignée, enluminures confiées à de grands artistes, tranches dorées et ciselées, reliures aux couvrures et décors raffinés. La dédicace au roi peut s’exprimer directement par une préface, souvent accompagnée de la scène d’hommage du livre, ou symboliquement par la présence dans le décor d’éléments héraldiques (armes de France aux trois lys, collier de l’ordre de Saint-Michel) et emblématiques (lettre F couronnée, salamandre). Pour personnaliser leurs présents, les donateurs peuvent donc jouer sur un registre étendu.

Reliure au médaillon à l’effigie de François Ier
Reliure au médaillon à l’effigie de François Ier |

© Bibliothèque nationale de France

Reliure au chiffre et aux armes de François Ier, avec l’emblème de la salamandre
Reliure au chiffre et aux armes de François Ier, avec l’emblème de la salamandre |

© Bibliothèque nationale de France

Mais c’est sans doute l’art de la reliure qui est le plus stimulé par cette émulation esthétique au pied du trône. En effet, alors que les premières reliures offertes à François Ier sont relativement modestes (hormis certaines créations en tissu, de tradition médiévale mais qui persistent tout au long du règne), la basane estampée de simples roulettes florales laisse place, à partir de 1530, au veau et au maroquin, supports de nouveaux décors d’inspiration italienne avec application d’argent et d’or. Les solennelles compositions héraldiques et emblématiques dominent, avec d’infinies variations.

Les textes offerts à François Ier sont bien sûr en accord avec ses goûts : il s’agit d’abord de poésie – n’est-il pas poète lui-même ? –, notamment de pièces de circonstance sur les événements glorieux du règne, d’ouvrages d’histoire et de science, de traités juridiques et politiques, mais surtout de très nombreuses traductions en français de textes de l’Antiquité gréco-latine, fruits d’une demande continuelle de sa part, visant à lui rendre ces œuvres accessibles tout en promouvant la langue nationale.

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