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Parcours pédagogique

Y a-t-il des limites à la liberté d'expression ?

Par Pascale Hellégouarc'h, maîtresse de conférence, Université Paris 13
10 min de lecture
Baissez le rideau, la farce est jouée
« Tout citoyen peut parler, écrire, imprimer librement » affirme l'article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, « sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ». Mais du texte à la réalité, le pas est difficile à franchir. La liberté d’expression est une conquête et un pilier de toute démocratie : en enrichissant le débat public et le partage des idées, elle stimule l’esprit critique et, en ce sens, « conditionne l’exercice de tous les autres droits » (Mireille Delmas-Marty, entretien au journal Le Monde). Elle pose aussi la question des devoirs et des responsabilités : ses limites sont celles posées par la loi, en particulier concernant la diffamation et l’injure, et les propos appelant à la haine.
Les ressources pour réaliser l'activité

Des limites à la liberté d'expression

Si la liberté d’expression est un principe absolu en France et en Europe, garanti par des textes des lois, elle ne permet cependant pas tout. La caricature est autorisée – exception au droit d'auteur – tout comme le pastiche et la parodie sous certaines conditions, mais la diffamation et l’injure sont interdites, de même que les propos appelant à la haine. Parmi eux, l’apologie des crimes contre l’humanité, la provocation à la discrimination, la haine ou la violence envers des personnes « en raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée », ou bien « leur orientation sexuelle ou leur handicap » sont particulièrement réprimés. L’apologie du terrorisme est encore plus sévèrement condamnée depuis la loi de novembre 2014 sur la lutte contre le terrorisme.

Journaux et affiches se retrouvent souvent en première ligne pour tester les limites de la liberté d’expression.

Les caricaturistes contre le pouvoir

Plusieurs caricatures, uniques ou en série, peuvent être utilisées en classe :

  • En 1791, de cinglantes caricatures transforment les membres de la famille royale en cochons ou bien en pourceau et hochet.
  • En 1834, le Charivari est condamné après la publication d’un dessin de représentant Louis-Philippe en poire : la couverture du 27 février 1834 annonce le verdict du procès dans un calligramme piriforme…
  • En 1968, la contestation des pouvoirs s’affiche sur les murs. Le général De Gaulle est rarement nommé, mais aisément reconnaissable à quelques traits caractéristiques : nez allongé, képi sur la tête notamment. Le 16 novembre 1970, la mort du général de Gaulle inspire au journal Hara Kiri une Une qui fera grand bruit et conduira à l’interdiction de l’hebdomadaire à l’exposition et à la vente aux mineurs.

La liberté d'expression, combat des caricaturistes

La liberté d'expression est souvent le sujet de caricatures. Chenez la représente combattant face à une hydre aux nombreuses têtes, Plantu en Marianne dessinatrice. Willem et Kroll représentent les menaces et les censeurs de tous bords religieux et politique par-dessus l'épaule du dessinateur, soumis à une injonction, « fais-nous rire ! », tandis que l'Iranien Mana Neyestani transforme le bras de celui qui le fait taire en notes de musique.

Les ressources pour réaliser l'activité

Déclaration, convention, lois, articles, décrets définissent un cadre de référence. Dans les faits, les décisions de justice étudient au cas par cas certains dossiers particulièrement complexes, mais toujours dans le cadre juridique : il est interdit d’insulter les croyants ou d’appeler à la haine, mais il est autorisé de se moquer des religions et de caricaturer ses représentants.

La liberté d'expression dans les grands textes de loi

Les textes encadrant la liberté d’expression – notamment par le biais de la liberté de la presse – sont très nombreux d’autant que la logique est de produire de nouveaux textes sans pour autant abroger ceux qui ne sont plus pertinents. Dans tous les cas, l’action se fait sur le mode répressif à partir d’éléments actés et non dans une logique anticipative d’interdiction préalable.

La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen pose dès 1789 des principes fondamentaux, résultant à la fois de débats et de combats et initiant une base de réflexion et des repères pour les évolutions futures. Les articles 10 et 11 en particulier placent en écho deux concepts déterminants : la liberté d'opinion et celle d'expression.

Formalisée par le texte de 1789, la liberté d’expression est le sujet de lois successives la défendant ou la restreignant selon le contexte, signalant de fait sa spécificité. Chateaubriand dans ses Mémoires d’outre-tombe et Benjamin Constant dans son Cours de politique constitutionnelle expliquent les raisons pour lesquelles la liberté d’expression est préférable à une trop grande censure. Victor Hugo défend avec force la liberté de la presse dans un discours à l’Assemblée nationale en 1848, mettant en rapport liberté de la presse et suffrage universel.

La loi du 29 juillet 1881 sur la presse pose dans son article 1 la liberté de l’imprimerie et de la librairie, et dans l’article 2 le respect du secret des sources. L’article 5 ajoute que « Tout journal ou écrit périodique peut être publié sans déclaration ni autorisation préalable, ni dépôt de cautionnement ». L'article 6 impose l'existence d'une direction de la publication, tandis que l’article 10 rend le dépôt obligatoire et le 11 exige-t-il le nom du directeur sur la publication. Les articles 12 et 13 expliquent la présence de publications judiciaires, autrement appelés « droits de réponse ». Les articles 24 et 24bis sont particulièrement d’actualité, puisqu'ils répriment les différentes incitations au crime. ; ils ont d'ailleurs été modifiés par l’article 5 de la loi du 13 novembre 2014 dont l’objectif est de renforcer les « dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme ».

Suite à des attentats et à un climat politique tendu, trois lois sont adoptées en 1893-1894 pour lutter contre le mouvement anarchiste, qualifiées de « lois scélérates » par Léon Blum, Francis de Pressensé et Émile Pouget dans un pamphlet de 1899. La troisième, du 28 juillet 1894, a permis nombre de perquisitions et d’arrestations ; elle n'a été abrogée que le 23 décembre 1992 avec la publication du nouveau Code pénal. La loi du 10 janvier 1936 présente des similitudes dans le mode opératoire, mais elle n’a pas été abolie.

La Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, signée par 58 pays, s’appuie sur celle de 1789. Comme elle, elle évoque la liberté d’expression, de pensée et d’opinion comme des droits fondamentaux de être humain. La Convention européenne des droits de l’homme, adoptée le 4 novembre 1950, détaille dans son article 10 la liberté d’expression, avant d’en définir les limites, notamment liées à l'ordre et à la sécurité, mais aussi à la préservation de la morale et de la santé. Enfin, la loi française du 5 janvier 1951 complète l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse en lui ajoutant une mention : « Seront punis de la même peine ceux qui, par l'un des moyens énoncés en l'article 23, auront fait l'apologie des crimes de meurtre, pillage, incendie, vol, de l'un des crimes prévus par l'article 435 du code pénal, des crimes de guerre ou des crimes ou délits de collaboration avec l'ennemi. » Si cet ajout s’explique par le contexte de l’après-guerre, la loi est toujours en vigueur de nos jours.

La reconnaissance du pluralisme

En 2001, après les attentats du 11 septembre, l’Unesco propose une Déclaration universelle reconnaissant le principe de diversité des cultures et des religions, donc le pluralisme, parallèlement aux valeurs universelles défendues dans la Déclaration de 1948 puis dans la Convention européenne de 1950. Les principes restent communs mais leur mise en application peut être différenciée  d’une culture à l’autre, d’un État à l’autre.

L’article 1 mentionne le « patrimoine commun de l’humanité », l’article 2 insiste sur les « identités culturelles à la fois plurielles, variées et dynamiques », l’article 4 garantit que la diversité culturelle ne peut porter atteinte aux droits de l’homme. Ces principes donnent naissance à des « droits culturels » que l’article 5 précise : liberté d'expression dans la langue de son choix, droit à une éducation respectueuse des cultures, droit à participer à la vie culturelle de son choix. Dans ce cadre, le patrimoine est considéré comme le fondement de la créativité et un outil de dialogue interculturel (article 7), tandis que l'article 6 précise les conditions nécessaire pour une pleine liberté d'expression : pluralisme des médias, multilinguisme, égalité d'accès à l'art et au savoir. Enfin, l’article 9 rappelle la nécessaire libre circulation des idées et des œuvres, que doivent favoriser et encourager les États.

La Convention de 2005 précise les axes définis en 2001, son préambule en particulier aborde la question des minorités culturelles et linguistiques, les expressions culturelles traditionnelles, le rôle de l’éducation et l’importance de la diversité des médias pour préserver la liberté d’expression. Ces deux notions, diversité culturelle et patrimoine commun de l’humanité, associées au lendemain d’attentats qui ont bouleversé l’équilibre mondial, ont participé à la redéfinition d'un monde multipolaire et multiculturel et peuvent permettre d'ouvrir un débat avec les élèves. Quelle est leur place dans le débat sur la liberté d’expression ? Peuvent-elles dans certains cas la mettre en danger ou bien permettent-elles d’accompagner les évolutions de la planète ? Comment imaginer le monde de demain de ce point de vue ?

Piste pédagogique :prévenir le harcèlement et sensibilier à la liberté d'expression

Dans les établissements scolaires, il arrive que des collégiens et des lycéens soient victimes de harcèlement par les réseaux sociaux qui leur rend la vie très difficile. Les élèves peuvent être invités à imaginer une action de communication à mettre en place dans leur établissement pour prévenir des dangers des campagnes de dénigrement, pour rappeler les droits et les devoirs définissant la liberté d’expression, sans oublier de préciser que certains agissements peuvent être punis par la loi. Les formats proposés sont variables : réaliser une affiche, proposer un débat, réfléchir au scénario d’une vidéo, organiser une exposition, recueillir des témoignages...

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