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Explorer l'Amérique, continent mythique

Astronomes du United States Geographical Survey
Astronomes du United States Geographical Survey

Bibliothèque nationale de France / Société de géographie

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En Amérique comme ailleurs, le 19e siècle est celui des explorations. Dans son Dictionnaire des explorateurs et des grands voyageurs français du XIXe siècle, Numa Broc recense un échantillon d’environ 350 explorateurs qui se rendent en Amérique du Nord et du Sud pour en découvrir les peuples et les paysages. Mais ce sont en fait des milliers d’hommes et de femmes qui s’enfoncent dans le continent. Comment en ont-ils bouleversé l’appréhension ?

Le 19e siècle commence bien. De l’Amérique, les Occidentaux connaissent avant tout les côtes et quelques grands lacs où ils ont installé depuis plusieurs siècles des exploitations de produits exotiques – bois, canne à sucre, coton mais aussi  des métaux précieux. Cependant l’intérieur des terres reste encore à découvrir.

Les régions équinoxiales de l’Amérique espagnole

Humbolt et Bonpland

De 1799 à 1804, deux explorateurs, Alexandre de Humboldt et Aimé Bonpland parcourent les « régions équinoxiales » d’Amérique, voyageant du Venezuela au Pérou et du Mexique à Cuba.

L'expédition américaine d'Alexander von Humboldt (1799-1804)
L'expédition américaine d'Alexander von Humboldt (1799-1804) |

Wikimedia commons, CC BY-SA 2.5

Après l'indépendance des colonies espagnoles, le médecin-botaniste Aimé Bonpland gagne Buenos Aires où il arrive en 1817 pour explorer le bassin de La Plata et remonter le fleuve Paraná vers le nord et vers le rio Paraguay. Il a pour mission de créer un Muséum d’histoire naturelle et fait des recherches sur une plante, le maté. Mais au Paraguay, il est retenu prisonnier par le dictateur Rodriguez de Francia de 1821 à 1831.

Les explorateurs français au Brésil

Costumes du Brésil
Costumes du Brésil |

Bibliothèque nationale de France

Concernant le Brésil, qui devient indépendant du Portugal en 1822, des explorateurs français parcourent le pays à partir de 1816. Le botaniste Auguste de Saint-Hilaire tout d’abord, qui y reste jusqu'en 1822 et y trouve matière à de nombreuses publications sur les plantes ; Louis François de Tollenare se rend quant à lui à Recife et à Bahia entre 1817 et 1818 et s’intéresse aux questions agronomiques du Nordeste ; à Bahia, il rencontre Ferdinand Denis, qui, de retour en France en 1819, publie de nombreux ouvrages sur l’histoire et les peuples du Brésil, du Paraguay, d'Argentine, du Chili ou encore de Guyane. Enfin, en mars 1816, une mission d'artistes français débarque à Rio parmi lesquels se trouve Jean- Baptiste Debret. Peintre officiel de la Cour et de l'empereur Pedro I du Brésil, il assiste à la vie de Rio, parcourt la forêt vierge, et se rend dans le sud du pays, d’où il tire de nombreux croquis.

Le rêve étatsunien

Au nord, les États-Unis nouvellement indépendants font rêver les Romantiques. Un certain François René de Chateaubriand affirme son talent littéraire en Louisiane : il compose notamment en 1801 Atala ou les deux sauvages dans le désert, romance tragique dans les forêts américaines.

Merriwether Lewis et William Clark sont davantage des explorateurs. Entre 1803 et 1806, ils effectuent la première traversée est-ouest du continent, du Missouri aux Rocheuses et à l'Océan Pacifique. Le président Thomas Jefferson vient en effet d'acquérir la Louisiane française. La « marche vers l'Ouest » peut commencer…

Carte de l'expédition Lewis et Clark (1804-1806)
Carte de l'expédition Lewis et Clark (1804-1806) |

Wikimedia Commons, GNU Free Documentation License, 1.2 / CC BY-SA

À la rencontre de l’« Homme américain »

En Amérique du Sud – Argentine, Brésil, Colombie, Pérou, Bolivie… –, entre 1816 et 1834, ce sont autant les richesses potentielles que les populations indiennes qui attirent les explorateurs en quête de « l'Homme américain ».

Des voyageurs au sud du continent

Jean-Baptiste Boussingault se rend de 1822 à 1832 au Venezuela, en Colombie et au Pérou. Invité par le Libertador Bolivar, il fait bénéficier ces pays de son expérience d’ingénieur des mines.

Carte générale de l'Amérique du Sud et des îles qui en dépendent
Carte générale de l'Amérique du Sud et des îles qui en dépendent |

Bibliothèque nationale de France

Au même moment, Alcide d’Orbigny parcourt l’Argentine, le Chili, le Pérou et surtout la Bolivie entre 1826 et 1834. De retour en France, il rédige un ouvrage en 11 volumes Voyage dans l'Amérique méridionale dont le tome 4, paru en 1840, a pour titre L'Homme américain et se veut une étude anthropologique et ethnologique destinée à « classer l’homme non plus de manière arbitraire, mais d’après des déductions rigoureusement tirées d’un grand nombre d’observations faites dans un but aussi philosophique que zoologique », et qui met en valeur la diversité des populations indigènes (considérées comme des « races ») présentes en Amérique du sud.

Entouré, huit mois, de tribus des Patagons, des Puelches, des Aracuanos et même de quelques Fuégiens, amenés, par les Patagons, des rives du détroit de Magellan, nous avons pu les observer tous comparativement non-seulement au physique, mais encore dans leurs mœurs, dans leurs coutumes, dans leur religion.

Alcide d’Orbigny, L’Homme américain (de l’Amérique méridionale) considéré sous ses rapports physiologiques et moraux, Paris : Pitois-Levrault et Cie, 1839.

Amérique latine, Amérique anglo-saxonne

Après le général La Fayette – qui a contribué à l’indépendance des États-Unis – et la Révolution de 1830 en France, Alexis de Tocqueville part à son tour en 1831 aux États-Unis étudier les institutions pénitentiaires. Revenu au bout de neuf mois, il rédige De la démocratie en Amérique, livre publié en 1835 qui devient une référence aux études de science politique.

Au même moment, en 1833, le polytechnicien Michel Chevalier se rend aux États-Unis pour étudier les moyens de communication, notamment les chemins de fer et les canaux. Mais son voyage dépasse les frontières de la jeune démocratie, et il séjourne aussi au Mexique et à Cuba. De retour en novembre 1835, il publie les Lettres sur l'Amérique du Nord, commence une carrière d'économiste et évalue notamment l’impact de la découverte de l’or de Californie. Sénateur, conseiller de Napoléon III, il soutient l'intervention militaire européenne au Mexique en 1863. Dès 1836, c’est lui qui définit la « latinité » de l'Amérique qu’il oppose à l'Amérique anglo-saxonne.

Notre civilisation européenne procède d’une double origine, des Romains et des peuples germaniques. (…) Les deux rameaux, latin et germain, se sont reproduits dans le Nouveau Monde. L’Amérique du Sud est, comme l’Europe méridionale, catholique et latine. L’Amérique du Nord appartient à une population protestante et anglo-saxonne.

Michel Chevalier, Lettres sur l’Amérique du Nord, 1836.

A partir des années 1840, les conquêtes du Nouveau-Mexique, du Texas et de la Californie délimitent l’expansion des États-Unis vers l'ouest au détriment du Mexique.

Vers l’« américanisme »

Des archéologues dans les ruines du Mexique

Si le Mexique traverse une longue période de crise politique, il bénéficie d'une réévaluation de la connaissance de son passé grâce à de nombreux travaux d'archéologie. Charles-Étienne Brasseur de Bourbourg, puis Désiré Charnay, explorent monuments aztèques et mayas. Désiré Charnay utilise l’invention récente de la photographie et les Cités et ruines américaines, selon le titre d'un de ses ouvrages, donnent une nouvelle lecture des civilisations de l’Amérique centrale.

Détail de la porte principale du palais du Gouverneur à Uxmal
Détail de la porte principale du palais du Gouverneur à Uxmal |

Bibliothèque nationale de France / Société de géographie

Façade du palais des nonnes à Chichen Itzá (Yucatan)
Façade du palais des nonnes à Chichen Itzá (Yucatan) |

Bibliothèque nationale de France / Société de géographie

Charles Wiener, le Pérou et l’« américanisme »

L'expédition de Charles Wiener au Pérou et en Bolivie
L'expédition de Charles Wiener au Pérou et en Bolivie |

Bibliothèque nationale de France / Société de géographie

Il en est de même au Pérou, où le diplomate Charles Wiener arrive en 1875. Se consacrant à la connaissance de Cuzco et du monde inca, il popularise le terme d’« américanisme » qui complète ceux d’« Homme américain » et d’« Amérique latine ». Après le Congrès des américanistes de Nancy de 1875, la Société des Américanistes est fondée à Paris en 1895.  

À la fin du siècle, l’anthropologue Paul Rivet, explore l’Équateur et le monde andin qui sont intégrés dans la connaissance du monde américain.

Les grands fleuves

Dès lors, sur le continent américain, il ne reste à explorer que les immenses fleuves comme l’Amazone, l'Orénoque et leurs affluents. Après le comte de Castelnau, Jules Crevaux explore l'Amazonie entre 1876 et 1883. Henri Coudreau, lui, parcourt la Guyane et l’Amazonie. À partir de 1895, au service du Brésil, il explore les affluents de l’Amazone en compagnie de son épouse Octavie qui poursuit seule ce travail d’exploration après la mort de son mari en 1899. L'Orénoque est remonté presque jusqu'à ses sources par Jean Chaffanjon en 1886.

Le canal de Panama, préoccupation majeure de la fin du 19e siècle

Cependant, entre 1876 et 1914, l'exploration du continent américain se concentre sur la question du canal interocéanique de Panama, entre l'Atlantique et le Pacifique. En 1876, le Comité français pour le percement du canal, présidé par Ferdinand de Lesseps, l’homme du canal de Suez, finance des voyages pour repérer le meilleur trajet pour ce chantier titanesque. C’est Armand Reclus, le frère cadet du célèbre voyageur-géographe Élisée Reclus, auteur de Panama et Darien, qui explore ces territoires en compagnie de l’ingénieur et géographe Lucien Napoléon Bonaparte-Wyse. Les travaux commencent en 1881, au moment où Ferdinand de Lesseps, au faîte de sa gloire, est élu président de la Société de Géographie de Paris. Mais, en France, l'affaire tourne rapidement au scandale. C’est une compagnie nord-américaine qui reprend le projet en 1907 et le canal de Panama est finalement ouvert le 15 août 1914.

Projet pour le canal de Panama
Projet pour le canal de Panama |

Bibliothèque nationale de France

À l’aube du 20e siècle, l’Amérique n’a plus beaucoup de secrets pour les explorateurs et les géographes, à l’exception de la Patagonie, située à l’extrême sud du continent, entre le Chili et l’Argentine, et des territoires de l’extrême nord du Canada.

Provenance

Ce contenu a été conçu en lien avec l'exposition Visages de l'exploration au XIXe siècle, du mythe à l'histoire, présentée à la BnF du 10 mai au 21 août 2022.

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