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Explorer l'Afrique, de la curiosité scientifique à la domination coloniale

Le passage de l'Aouache
Le passage de l'Aouache

Bibliothèque nationale de France / Société de géographie

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À l’orée du 19e siècle, les Européens ne connaissent de l’Afrique quasiment que ses contours. Les missions d’exploration se succèdent donc tout au long du siècle, afin de combler les « blancs de la carte ». Mais la curiosité scientifique n’est pas le seul moteur de ces voyageurs, et l’intérêt colonial se profile progressivement dans leur sillage.

L’exploration de l’intérieur du continent africain par les Européens s’est déroulée sur plusieurs décennies, de la fin du 18e à la fin du 19e siècle. Vers 1780, la carte de l’Afrique est vierge ou fantaisiste dès lors que l’on s’éloigne des côtes. Sa complétion est comme un puzzle dont des pièces nouvelles apparaissent progressivement pour s’emboîter peu à peu les unes aux autres. Vers 1900, en dépit de quelques détails qui restent à préciser, la carte est à peu près complète.

Carte de l'Afrique
Carte de l'Afrique en 1749 par Bourguignon d'Anville |

Bibliothèque nationale de France

Carte de l'Afrique
Carte de l'Afrique en 1900 par J. B. Robbeets |

Bibliothèque nationale de France

Ce processus est dû aux explorations dont le contexte, les modalités et même les motivations ont considérablement évolué en un siècle, malgré certains traits pérennes, comme l’attention particulière portée aux grands fleuves, aux lacs ou aux chaînes montagneuses.  

Des explorateurs qui voyagent léger

À la fin du 18e siècle, ce sont surtout les réseaux savants britanniques qui sont mobilisés pour tenter de résoudre les « mystères » de la géographie africaine. C’est la curiosité scientifique qui est alors l’élément déterminant des explorations, même si des ambitions commerciales ou des aspirations « philanthropiques » s’y mêlent. Les énigmes géographiques tournent principalement autour des grands fleuves africains. Les Européens ne savent qui croire entre auteurs grecs anciens car deux théories s’affrontaient sur l’origine du Nil : celle d’Hérodote (5e siècle av. J.-C.), qui estimait que le Niger et le Nil ne faisaient qu’un, coulant d’abord d’ouest en est, puis du sud au nord ; et celle de Ptolémée (2e s. ap. J.-C.), qui était plus près de la vérité, avec un schéma comprenant de hautes montagnes (les Monts de la lune), de grands lacs déversoirs et même un affluent de rive droite -- qui se révèlera être le Nil bleu. Le Niger quant à lui est censé irriguer l’Afrique de l’ouest mais sans que l’on connaisse son débouché, ni même son cours.

La première moitié du 19e siècle est l’époque des expéditions modestes, menées par un ou deux Européens, qui cheminent en s’associant à des caravanes marchandes ou en s’assurant le concours de quelques guides et interprètes, que l’histoire a oubliés mais qui, comme plus tard les porteurs, ont été indispensables dans les « découvertes » diffusées en Europe.

Guide du voyage de Joseph Chanel en Afrique orientale
Guide du voyage de Joseph Chanel en Afrique orientale |

Bibliothèque nationale de France / Société de géographie

Mungo Park
Mungo Park |

Bibliothèque nationale de France / Société de géographie

Le pionnier est Mungo Park, médecin écossais qui part repérer le cours du Niger, en Afrique occidentale, entre 1795 et 1798. Il a le soutien de l’African Association, une société fondée précisément pour l’exploration du continent, dans un contexte de mobilisation pour l’abolition de la traite des esclaves et pour la « régénération » de l’Afrique. Durant cette première expédition, Mungo Park suit une partie du cours du Niger et, arrivé à Ségou en juillet 1796, confirme qu’il coule d’ouest en est et non l’inverse. Lors d’une seconde expédition (1805-1806), financée cette fois par le gouvernement britannique et escortée par une trentaine de soldats, il espère descendre tout le cours du Niger – qu’il croit alors ne faire qu’un avec le Congo. Mais l’expédition est un désastre : tous les Européens qui l’accompagnaient meurent de maladies et lui-même finit par périr noyé dans des rapides.

Carte du cours du Niger et du Sénégal avec les voyages de Mungo Park
Carte du cours du Niger et du Sénégal avec les voyages de Mungo Park |

Bibliothèque nationale de France

Les deux expéditions de Mungo Park sont emblématiques de toutes les explorations ultérieures du continent africain. Elles montrent que si la curiosité scientifique est un ingrédient de base, celle-ci se combine avec divers autres intérêts : commerciaux, géopolitiques, et parfois moraux ou religieux.

Les philanthropes sont en effet convaincus que le continent, dégradé par la traite transatlantique des esclaves, a besoin de missionnaires pour racheter les fautes de l’Europe. Les négociants pour leur part fantasment sur les réserves en or de l’Afrique de l’ouest, ou comptent sur les ressources naturelles ou cultivées du continent (ivoire, gomme, cire, bois, huile de palme…). Bientôt, acquérir des connaissances n’est plus un but en soi : connaître est un moyen de maîtriser la nature, voire de la dominer, et même de la faire produire. Enfin et surtout, on peut dire que les deux voyages du médecin écossais attestent également une évolution qui va s’affirmer au cours du siècle : la professionnalisation des expéditions.

Une professionnalisation de l’exploration

Colonisation et exploration en Afrique vers 1880
Colonisation et exploration en Afrique vers 1880 |

© L’Histoire/Légendes Cartographie

Jusque dans les années 1850, la plupart des explorateurs voyagent « léger » : c’est le cas de René Caillié, un Français d’origine paysanne parvenu à la cité interdite de Tombouctou en 1828 ; des frères Lander, deux Britanniques d’origine modeste qui parviennent à reconnaître le cours du Niger en 1830 ; de David Livingstone, autre médecin écossais, initialement parti comme missionnaire protestant, qui a parcouru l’Afrique australe et centrale durant une trentaine d’années (1841-1873) ; de Heinrich Barth, savant allemand polyvalent qui a arpenté le Sahara et accumulé de nombreuses connaissances scientifiques à partir de 1850, au service de la Grande-Bretagne.

Dans la deuxième moitié du 19e siècle cependant, c’est un autre modèle qui s’impose progressivement : les explorations sont plus volontiers confiées à des militaires, dotés de missions diplomatiques plus ou moins officielles et parfois cofinancés par des fonds publics. Mais ces expéditions de plusieurs dizaines de personnes sont souvent victimes de lourdes pertes humaines, comme les caravanes des Capitaines Speke, Burton et Grant dans la région des grands lacs (fin des années 1850-début des années 1860). Speke comprend en 1858 que la source principale du Nil est le lac Nyanza, aussitôt rebaptisé Victoria. Cette découverte, qui mettra des décennies à être confirmée, est complétée par d’autres : plusieurs lacs déversoirs constituent les sources de différentes branches du Nil ou de ses affluents.

À l’instar du lac Victoria, ces grandes étendues d’eau portent bientôt les noms de toute la famille royale britannique ! Ceci montre que si les explorations n’ont pas été la cause de la colonisation, les deux phénomènes ont des liens qui vont croissant au cours du 19e siècle. Les considérations commerciales et géopolitiques l’emportent, avec le développement de l’impérialisme et de la concurrence entre nations européennes. C’est le personnage de Stanley, aventurier anglo-américain, qui incarne le mieux cette collusion entre explorations et colonisation. C’est en effet lui qui, après avoir retrouvé David Livingstone en 1873, conquiert le territoire du Congo pour le compte de Léopold, roi des Belges, dans les années 1880. En contrepoint à la violence qu’il déploie comme mercenaire, un militaire français d’origine italienne promeut une autre image, celle d’une colonisation pacifique, reposant sur des traités signés avec des chefs africains : c’est Pierre Savorgnan de Brazza, qui fait passer une partie de la rive droite du fleuve Congo dans l’escarcelle coloniale de la France.

Stanley rencontre Livingstone
Stanley rencontre Livingstone |

Bibliothèque nationale de France

L’explorateur est donc devenu un personnage hyper-viril, oscillant entre l’officier, l’aventurier et le bâtisseur d’Empire. Pourtant, on relève la présence de quelques rares outsiders féminines, telles Mary Kinsgley ou Alexine Tinne. Celles-ci, rarement chargées de missions officielles, voyagent souvent de manière plus autonome et plus légère que leurs homologues masculins. Sur le mont Cameroun, en 1895, Mary Kingsley laisse sa carte de visite entre deux pierres, geste empreint d’humour qui n’enlève rien à la dimension scientifique de ses voyages. Collectant des spécimens de poissons pour le British Museum, elle séjourne également chez les Fang du Gabon afin d’en comprendre la culture. Mais dans ces années 1890, ses écrits ethnographiques sont déjà destinés à servir l’entreprise coloniale.

Bon point en couleur représentant l’explorateur Pierre Savorgnan de Brazza
Bon point en couleur représentant l’explorateur Pierre Savorgnan de Brazza |

Bibliothèque nationale de France

Costumes congolais de danse mortuaire
Costumes conglolais de danse mortuaire pris en photo par Mary Kingsley |

Bibliothèque nationale de France

En effet, les vingt dernières années du 19e siècle voient la montée en puissance des rivalités européennes et les explorateurs, devenus arpenteurs, se voient confier une nouvelle tâche : tracer les frontières entre Empires. Ainsi, à la veille de la Première Guerre mondiale, l’Afrique est représentée avec précision sur les cartes. Mais au tracé des fleuves et des montagnes s’ajoutent désormais les couleurs de la domination coloniale.

Provenance

Ce contenu a été conçu en lien avec l'exposition Visages de l'exploration au XIXe siècle, du mythe à l'histoire, présentée à la BnF du 10 mai au 21 août 2022.

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