Découvrir, comprendre, créer, partager

Article

Signes d'identité et noms de famille au Moyen Âge

Armorial de la Table ronde
Armorial de la Table ronde

© Bibliothèque nationale de France

Le format de l'image est incompatible
L'histoire des signes de l'identité au Moyen Âge semble porter au plus haut degré le pouvoir visuel des signes. L'héraldique offre sans conteste l'exemple le plus achevé de la mise en œuvre des ressources de l'image.

Les armoiries combinent des couleurs et des formes, elles géométrisent l'identité en la contraignant à s'exprimer dans le champ hautement symbolique de l'écu. Les sceaux, qui sont les signes de validation les plus courants, vont également proposer aux nobles comme aux bourgeois, aux artisans, aux paysans, aux hommes comme aux femmes, un univers quasi infini de formats, de formes, de légendes, de figures. Les seings des notaires participent de ce règne de l'image, de cette recherche plastique de marques personnelles.

Face à ces systèmes de signes iconiques et graphiques, le système anthroponymique se transforme lentement. Mais l'importance du nom n'est pas du même ordre que celle des armoiries et des sceaux. D'usage quotidien, familier, le nom propre ne semble remplir que des fonctions restreintes de dénomination. Il se réduit pour la majorité des individus à un nom de baptême. Dans certaines régions, la plupart des hommes portent le même nom, celui d'un saint particulièrement apprécié. Dans ces conditions, le nom « propre » est en fait un nom presque commun. La situation change à partir du 11e siècle où l'on voit apparaître, à l'occasion d'un contrat passé devant notaire par exemple, le nom double : on a ajouté au nom courant un second élément qui permet de mieux définir l'individu. Ce second élément désigne éventuellement le père, ou encore une particularité physique (le roux, le grand), une référence au domicile (du pont, du pin). Le nom de famille est issu de ce deuxième nom ajouté. Il deviendra héréditaire et formera le patronyme que nous connaissons.

La signature va jouer un rôle de première importance dans la promotion du nom propre. Elle transforme aussi les mécanismes de l'identification puisqu'elle fait reposer sur le tracé autographique, sur la forme que chacun donne à son nom écrit la responsabilité de présenter et de représenter l'individu. Il s'agit d'une véritable révolution sémiologique : à partir de 1554, les sceaux ne sont plus acceptés comme signes de validation et d'identité, seule l'inscription autographe est reconnue. Des résistances apparaissent qui témoignent de la difficulté à renoncer aux emblèmes. On continuera pendant longtemps à signer en dessinant des figures plutôt qu'en écrivant son nom propre. Les signatures d'artisans illustrent bien le phénomène.

Il faut prendre la mesure du transfert qui s'opère du monde de l'image à celui de l'écrit pour apprécier la valeur culturelle de la signature. L'identité qui s'exprimait par les figures et les couleurs était avant tout une identité collective. L'individu était défini par rapport à un réseau social : par sa profession, par son rang, par ses alliances, par son sexe. Avec la signature, une autre conception de l'identité se met lentement en place. Les signes se personnalisent. C'est la singularité de l'être qui est visé, les traits de plume ne renvoient qu'à la main qui les a tracés et bientôt ils vont faire l'objet d'une attention particulière : on croira y lire les traits de la personnalité, le caractère de chacun, la signature sera perçue comme un « miroir de l'âme ». Ainsi, derrière les transformations techniques qui s'annoncent avec la signature électronique, c'est toute une culture de l'écrit qui bascule. Pour qu'une nouvelle signature soit efficace, il ne suffit pas qu'elle apporte des solutions aux problèmes posés par la validation des actes. Il faut aussi qu'elle offre à l'individu des moyens esthétiques et symboliques satisfaisants, qui lui permettent de s'engager et de s'identifier.

Jusqu'au 16e siècle où la loi instaure le règne du patronyme héréditaire, personne n'était tenu de posséder un nom de famille puisque le système onomastique officiel était celui du nom unique, caractéristique du régime chrétien. Les noms de famille n'apparaissent en France qu'à partir du 13e siècle, et le principe de la transmission héréditaire du patronyme ne se stabilise qu'à la Révolution française. La croix que l'on trouve accolée aux noms des lettrés dans leurs souscriptions, ou bien tracée seule par les illettrés, jouait, symboliquement, le rôle d'un nom collectif : chacun n'était-il pas l'enfant de Dieu ?

Après l'effondrement de l'Empire romain, le régime du nom unique s'impose en Gaule, se substituant au système latin. Celui-ci proposait deux types de nom propre, selon que l'on appartenait à l'aristocratie ou à la plèbe. Dans le premier cas, trois éléments composaient le nom propre : le prénom, le gentilice (nom de la gens ou groupe de familles) et le surnom, désignant souvent une famille. Les noms propres des plébéiens étaient composés comme actuellement d'un prénom individuel associé à un nom de famille. C'est ce système à deux registres que bouleversent la christianisation et les grandes invasions. Désormais, chacun portera un seul nom, ainsi que le voulaient les coutumes barbares, parfaitement accordées sur ce point à l'importance que les chrétiens donnent au nom de baptême.

La dénomination unique profite à l'onomastique germanique qui permet de créer, à partir d'un nom déjà existant, un grand nombre de noms dérivés. Ainsi, non seulement l'onomastique change de système, mais encore elle renouvelle complètement son stock de noms en le germanisant.

À la fin de l'époque carolingienne, les prémices d'un changement apparaissent. Bien avant même que l'on puisse parler de nom de famille, on décèle, dès la fin du 10e siècle, les signes avant-coureurs d'une profonde refonte du système des signes de l'identité. Le nom unique se transforme peu à peu en nom double, formule qui s'étend et finit par prévaloir.

Le système onomastique traversait une crise qui tenait en échec l'une de ses fonctions principales, permettre d'identifier l'individu. Il n'est pas aisé d'établir les causes de cette crise et plusieurs facteurs se sont certainement combinés : facteur démographique (on sait qu'au 11e siècle l'Europe connaît une forte croissance démographique) ; facteur linguistique : le stock de noms propres diminue ; facteur culturel enfin, celui de nouveaux besoins d'identification. Le rôle joué par l'écrit juridique sur ce dernier plan doit être mentionné car le mode de désignation de l'individu, qu'il soit l'auteur ou le témoin d'un acte, doit être fiable. L'écrit crée une demande d'individuation et les solutions ponctuelles adoptées pour désigner l'individu, mal défini par son nom de baptême, seront peu à peu pérennisées.

Lien permanent

ark:/12148/mms8g0grtmspv