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Histoire du Saint Graal



Français 113
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Français 113 (page de garde)

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Le manuscrit Français 113-116 : un cycle de quatre volumes

Premier d'une série de quatre tomes comprenant l'ensemble du cycle Lancelot-Graal, le manuscrit Français 113 présente l'Estoire del Saint Graal, suivi par le Roman de Merlin et le début du Roman de Lancelot qui se poursuit dans les Français 114-115 et s'achève au tout début du Français 116, avant que ne commence la Queste del Saint Graal.​

Ici commence le premier livre de messire Lancelot du Lac, fils du roi Ban de Bénoïc, qui fut en son temps le meilleur chevalier du monde, excepté seulement son propre fils Galaad. Il parlera premièrement de la façon dont le Saint Graal fut transporté en Grande Bretagne puis de Merlin, du roi Arthur et des actions des compagnons de la Table Ronde. Le livre sera divisé en trois parties.

Celui qui met par écrit la noblesse et la valeur d'une si noble histoire que celle du Graal, par le commandement du Grand Maître, salue tout d'abord tous ceux et toutes celles qui croient en la Sainte et Glorieuse Trinité, c'est-à-dire au Père, au Fils et au Saint Esprit. Au Père par qui toutes choses sont créées et établies, et commencent à exister ; à Celui qui délivre tous ceux et toutes celles qui croient en lui des douleurs éternelles et les ramène à la noble joie qui dure sans fin ; au Saint Esprit qui purifie et sanctifie toutes les bonnes choses. Le nom de celui qui met par écrit cette histoire n'est pas donné ni éclairé en ce commencement. On pourra discerner et connaître son nom, sa vie et ses origines par les paroles qui suivront. Mais en ce commencement, il ne veut pas les découvrir.

Français 113 (page de garde)
Cycle du Lancelot-Graal : page de frontispice

Fol. 1 : Présentation du livre, naissance et adoubement de Lancelot, son combat contre les automates du château de la Douloureuse Garde

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Auteur et commanditaire : 13e siècle

Au Moyen Âge, il est traditionnel de représenter en tête des manuscrits enluminés l'auteur remettant son livre à son patron. Jouant un rôle similaire aux prologues qui mentionnent le commanditaire du livre ou son dédicataire, ce motif iconographique place l'ouvrage sous la protection et l'autorité d'un personnage important. Bien que l'auteur ne se nomme pas dans le texte, le clerc Gautier Map est représenté dans la position de l'auteur offrant son œuvre au roi Henry II d'Angleterre. Au 13e siècle, le nom d'Henry II est si étroitement associé à l'histoire d'Arthur que la tradition fait de lui le commanditaire du cycle Lancelot-Graal. La rédaction est attribuée à Gautier Map, polygraphe de la cour anglo-normande sous le règne du Plantagenêt. Or tous deux sont morts depuis près d'un demi-siècle au moment de la composition du cycle. Cette attribution fictive, caractéristique des romans en prose de l'époque, renforce la valeur de l'histoire.

Enlumineur et possesseurs : 15e siècle

Les quatre volumes du cycle Lancelot-Graal ont été exécutés entre 1470 et 1475 pour Jacques d’Armagnac (1433-1477), duc de Nemours et pair de France. Résidant dans le Centre de la France, en particulier à Carlat, le duc fait travailler quelques copistes et enlumineurs dont le mieux documenté est Evrard d’Espinques. C’est à l'atelier de cet artiste que l’on doit ce frontispice et les abondantes peintures qui illustrent le texte. Le duc de Nemours avait déjà en sa possession un exemplaire de la Vulgate arthurienne hérité de son arrière grand-père, le célèbre bibliophile Jean de Berry, et disposait d'une autre compilation du cycle, les trois volumes du Français 112, commandée au même atelier. Il se constitua ainsi une riche collection de romans arthuriens en prose qu'il put répartir dans les bibliothèques de ses différentes résidences. Quand Jacques d'Armagnac fut décapité en 1477 pour s'être opposé à Louis XI, tous ses biens furent confisqués par le roi. Mais de nombreux livres de sa bibliothèque, dont le Français 113-116, furent transmis à son cousin, Pierre II de Beaujeu, duc de Bourbon. Ce sont ses armoiries, soutenues par deux sirènes et deux sauvages, qui figurent au bas du frontispice.

Fol. 1 : Présentation du livre, naissance et adoubement de Lancelot, son combat contre les automates du château de la Douloureuse Garde
Français 113 (page de garde)

Français 113 (page de garde)

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Le manuscrit Français 113-116 : un cycle de quatre volumes

Premier d'une série de quatre tomes comprenant l'ensemble du cycle Lancelot-Graal, le manuscrit Français 113 présente l'Estoire del Saint Graal, suivi par le Roman de Merlin et le début du Roman de Lancelot qui se poursuit dans les Français 114-115 et s'achève au tout début du Français 116, avant que ne commence la Queste del Saint Graal.​

Ici commence le premier livre de messire Lancelot du Lac, fils du roi Ban de Bénoïc, qui fut en son temps le meilleur chevalier du monde, excepté seulement son propre fils Galaad. Il parlera premièrement de la façon dont le Saint Graal fut transporté en Grande Bretagne puis de Merlin, du roi Arthur et des actions des compagnons de la Table Ronde. Le livre sera divisé en trois parties.

Celui qui met par écrit la noblesse et la valeur d'une si noble histoire que celle du Graal, par le commandement du Grand Maître, salue tout d'abord tous ceux et toutes celles qui croient en la Sainte et Glorieuse Trinité, c'est-à-dire au Père, au Fils et au Saint Esprit. Au Père par qui toutes choses sont créées et établies, et commencent à exister ; à Celui qui délivre tous ceux et toutes celles qui croient en lui des douleurs éternelles et les ramène à la noble joie qui dure sans fin ; au Saint Esprit qui purifie et sanctifie toutes les bonnes choses. Le nom de celui qui met par écrit cette histoire n'est pas donné ni éclairé en ce commencement. On pourra discerner et connaître son nom, sa vie et ses origines par les paroles qui suivront. Mais en ce commencement, il ne veut pas les découvrir.

Français 113 (page de garde)
Cycle du Lancelot-Graal : page de frontispice

Fol. 1 : Présentation du livre, naissance et adoubement de Lancelot, son combat contre les automates du château de la Douloureuse Garde

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Auteur et commanditaire : 13e siècle

Au Moyen Âge, il est traditionnel de représenter en tête des manuscrits enluminés l'auteur remettant son livre à son patron. Jouant un rôle similaire aux prologues qui mentionnent le commanditaire du livre ou son dédicataire, ce motif iconographique place l'ouvrage sous la protection et l'autorité d'un personnage important. Bien que l'auteur ne se nomme pas dans le texte, le clerc Gautier Map est représenté dans la position de l'auteur offrant son œuvre au roi Henry II d'Angleterre. Au 13e siècle, le nom d'Henry II est si étroitement associé à l'histoire d'Arthur que la tradition fait de lui le commanditaire du cycle Lancelot-Graal. La rédaction est attribuée à Gautier Map, polygraphe de la cour anglo-normande sous le règne du Plantagenêt. Or tous deux sont morts depuis près d'un demi-siècle au moment de la composition du cycle. Cette attribution fictive, caractéristique des romans en prose de l'époque, renforce la valeur de l'histoire.

Enlumineur et possesseurs : 15e siècle

Les quatre volumes du cycle Lancelot-Graal ont été exécutés entre 1470 et 1475 pour Jacques d’Armagnac (1433-1477), duc de Nemours et pair de France. Résidant dans le Centre de la France, en particulier à Carlat, le duc fait travailler quelques copistes et enlumineurs dont le mieux documenté est Evrard d’Espinques. C’est à l'atelier de cet artiste que l’on doit ce frontispice et les abondantes peintures qui illustrent le texte. Le duc de Nemours avait déjà en sa possession un exemplaire de la Vulgate arthurienne hérité de son arrière grand-père, le célèbre bibliophile Jean de Berry, et disposait d'une autre compilation du cycle, les trois volumes du Français 112, commandée au même atelier. Il se constitua ainsi une riche collection de romans arthuriens en prose qu'il put répartir dans les bibliothèques de ses différentes résidences. Quand Jacques d'Armagnac fut décapité en 1477 pour s'être opposé à Louis XI, tous ses biens furent confisqués par le roi. Mais de nombreux livres de sa bibliothèque, dont le Français 113-116, furent transmis à son cousin, Pierre II de Beaujeu, duc de Bourbon. Ce sont ses armoiries, soutenues par deux sirènes et deux sauvages, qui figurent au bas du frontispice.

Fol. 1 : Présentation du livre, naissance et adoubement de Lancelot, son combat contre les automates du château de la Douloureuse Garde
Cycle du Lancelot-Graal : I. L’Histoire du Saint Graal

Fol. 1v : Le Christ apparaît au prêtre-auteur au cours de son sommeil

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Le mystère de la Trinité

Ce dogme désigne Dieu, unique, en trois personnes – Père, Fils et Esprit Saint –, égales et participant à une même essence. Il est mentionné en particulier dans le credo des apôtres, adopté au 4e siècle à travers les conciles de Nicée et de Constantinople, et réaffirmé peu de temps avant la rédaction de l'Histoire du Saint Graal, lors du 4e concile du Latran en 1215. Cette notion complexe qui touche à la nature même de Dieu a été l'objet d'importants débats : le concept de Trinité est ainsi rejeté par les cathares qui inquiètent alors l'Eglise. Cette question est déterminante dans l'œuvre : présente dès la première phrase du texte, elle est à nouveau convoquée lors des explications théologiques qui précèdent la conversion du roi païen Evalac. Le roman se caractérise donc par une forte dimension religieuse, avec la christianisation du Graal, et un souci didactique manifeste dans une perspective évangélisatrice.

Fol. 1v : Le Christ apparaît au prêtre-auteur au cours de son sommeil
Fol. 2

Fol. 2

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Comment l'auteur eut au cours de son sommeil une vision lui expliquant le sens de la Sainte Trinité...

Voilà ce qu'il m'arriva à moi, le plus grand des pécheurs, sept cent dix-sept ans après la Passion de Jésus Christ, alors que je résidais en une petite maison, juste à l'heure appellée la tierce vigile de la nuit [...] entre le Jeudi de l'Absolution et le Vendredi Saint. [...] J'avais célébré l'office des Matines, qu'on appelle ce jour là l'office des Ténèbres, quand j'éprouvai une très forte envie de dormir. Je commençai alors à sommeiller en mon lit où je m'étais étendu. Et quant j'eus commencé à sommeiller, je ne tardai pas à entendre une voix qui m'appela trois fois par mon nom et me dit : « Éveille-toi et écoute. De trois choses l'une et d'une chose trois, et l'une a autant de pouvoir que les trois. Ces trois choses ne sont qu'une par nature ». À ce mot je m'éveillai et regardai autour de moi et je vis une telle clarté qu'aucune lumière éternelle ne pourrait rien produire de si grand. Je vis ensuite devant moi un homme si admirable qu'aucune langue humaine ne pourrait exprimer sa beauté. En le voyant, je fus si ébahi que je sus que dire ni que faire. Il me regarda et me demanda alors : « As-tu compris ne serait-ce qu'une partie de la parole que je t'ai dite ? Je lui répondis en tremblant : « Seigneur, je n'en suis pas encore bien certain ». Il me répondit alors : « C'est la connaissance de la Trinité que je t'ai apportée », parce que j'avais mis en doute le fait que la trinité comprend trois personnes et n'a pourtant qu'une seule déité et une seule puissance – c'était le seul point de foi dont j'eus jamais douté –. Il me dit ensuite : « Peux-tu aussi percevoir et reconnaître qui je suis ? [...] Quand j'ouvris la bouche pour répondre, je crus voir un brandon de feu ardent me sortir du corps. Je conçus une telle peur en le voyant que je fus incapable de prononcer un mot. » Quand il me vit si épouvanté, il me dit : « N'aie pas peur, car la fontaine de toute sûreté est ici devant toi. Sache bien que je suis venu ici pour dissiper tes doutes et t'enseigner la vérité. Je suis la source de tous les bons jugements, [...] je suis le Maître à qui Nicodème a dit : « Maître, nous savons que vous êtes venu de Dieu ». Je suis Celui dont l'Ecriture dit : « Toute sagesse vient de Dieu Notre Seigneur »

Fol. 2
Cycle du Lancelot-Graal : I. L’Histoire du Saint Graal

Fol. 1v : Le Christ apparaît au prêtre-auteur au cours de son sommeil

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Le mystère de la Trinité

Ce dogme désigne Dieu, unique, en trois personnes – Père, Fils et Esprit Saint –, égales et participant à une même essence. Il est mentionné en particulier dans le credo des apôtres, adopté au 4e siècle à travers les conciles de Nicée et de Constantinople, et réaffirmé peu de temps avant la rédaction de l'Histoire du Saint Graal, lors du 4e concile du Latran en 1215. Cette notion complexe qui touche à la nature même de Dieu a été l'objet d'importants débats : le concept de Trinité est ainsi rejeté par les cathares qui inquiètent alors l'Eglise. Cette question est déterminante dans l'œuvre : présente dès la première phrase du texte, elle est à nouveau convoquée lors des explications théologiques qui précèdent la conversion du roi païen Evalac. Le roman se caractérise donc par une forte dimension religieuse, avec la christianisation du Graal, et un souci didactique manifeste dans une perspective évangélisatrice.

Fol. 1v : Le Christ apparaît au prêtre-auteur au cours de son sommeil
Fol. 2

Fol. 2

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Comment l'auteur eut au cours de son sommeil une vision lui expliquant le sens de la Sainte Trinité...

Voilà ce qu'il m'arriva à moi, le plus grand des pécheurs, sept cent dix-sept ans après la Passion de Jésus Christ, alors que je résidais en une petite maison, juste à l'heure appellée la tierce vigile de la nuit [...] entre le Jeudi de l'Absolution et le Vendredi Saint. [...] J'avais célébré l'office des Matines, qu'on appelle ce jour là l'office des Ténèbres, quand j'éprouvai une très forte envie de dormir. Je commençai alors à sommeiller en mon lit où je m'étais étendu. Et quant j'eus commencé à sommeiller, je ne tardai pas à entendre une voix qui m'appela trois fois par mon nom et me dit : « Éveille-toi et écoute. De trois choses l'une et d'une chose trois, et l'une a autant de pouvoir que les trois. Ces trois choses ne sont qu'une par nature ». À ce mot je m'éveillai et regardai autour de moi et je vis une telle clarté qu'aucune lumière éternelle ne pourrait rien produire de si grand. Je vis ensuite devant moi un homme si admirable qu'aucune langue humaine ne pourrait exprimer sa beauté. En le voyant, je fus si ébahi que je sus que dire ni que faire. Il me regarda et me demanda alors : « As-tu compris ne serait-ce qu'une partie de la parole que je t'ai dite ? Je lui répondis en tremblant : « Seigneur, je n'en suis pas encore bien certain ». Il me répondit alors : « C'est la connaissance de la Trinité que je t'ai apportée », parce que j'avais mis en doute le fait que la trinité comprend trois personnes et n'a pourtant qu'une seule déité et une seule puissance – c'était le seul point de foi dont j'eus jamais douté –. Il me dit ensuite : « Peux-tu aussi percevoir et reconnaître qui je suis ? [...] Quand j'ouvris la bouche pour répondre, je crus voir un brandon de feu ardent me sortir du corps. Je conçus une telle peur en le voyant que je fus incapable de prononcer un mot. » Quand il me vit si épouvanté, il me dit : « N'aie pas peur, car la fontaine de toute sûreté est ici devant toi. Sache bien que je suis venu ici pour dissiper tes doutes et t'enseigner la vérité. Je suis la source de tous les bons jugements, [...] je suis le Maître à qui Nicodème a dit : « Maître, nous savons que vous êtes venu de Dieu ». Je suis Celui dont l'Ecriture dit : « Toute sagesse vient de Dieu Notre Seigneur »

Fol. 2
Fol. 6v

Fol. 6v

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Comment Joseph d'Arimathie recueillit dans le Saint Graal le sang précieux de Notre Seigneur avant de les apporter en Grande Bretagne...

Et quand [Joseph] eut descendu [le Christ] de la croix, avec de grands pleurs et de grands soupirs, il le coucha en un sépulcre qu'il avait fait creuser dans la roche et où il devait reposer lui-même après sa mort, puis il alla chercher l'écuelle dans sa maison.Quand il revint auprès du corps, il recueillit le sang jusqu'à la dernière goutte et le conserva chez lui dans l'écuelle par laquelle Dieu manifesta ensuite sa puissance en Terre Promise et dans de nombreux autres territoires. Après que Joseph eut mis l'écuelle à l'endroit qu'il savait le plus approprié, il prit ses plus belles étoffes et revint au sépulcre où il ensevelit le corps de son Seigneur le plus richement et avec le plus grand honneur possible. Quand il l'eut enseveli, il le coucha dans le sépulcre et fit mettre à l'entrée une pierre très grande et très lourde, parce qu'il ne voulait pas que quiconque entrât au lieu où gisait une chose aussi noble que le corps du Fils de Dieu. Quand les juifs virent que Joseph avait descendu de la croix celui qu'ils avaient condamné à mort et qu'il l'avait si noblement enseveli, ils en furent très irrités et trouvèrent ce geste très orgueilleux. Ils tinrent alors conseil ensemble et conclurent qu'il était juste que Joseph payât pour ce qu'il avait fait à la fois contre Dieu et contre la loi. Ils décidèrent qu'ils le captureraient de nuit au cours de son premier sommeil, et l'emmèneraient en un lieu tel qu'on n'entendrait plus jamais parler de lui.

Fol. 6v
Cycle du Lancelot-Graal

Fol. 7 : Joseph recueille le sang du Christ lors de la mise au tombeau

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La nature du Graal

Le Nouveau Testament est le point de départ de l'œuvre qui reprend le motif iconographique traditionnel de la mise au tombeau, en se concentrant sur la figure de Joseph d'Arimathie et la destinée du Graal. Alors que sa nature merveilleuse n'est pas explicitée chez Chrétien de Troyes, le Graal apparaît ici comme une relique dotée d'un double caractère sacré puisque le Christ y a pris son dernier repas et que Joseph d'Arimathie l'utilise pour recueillir le Précieux Sang. L'ajout du Graal à la scène de la mise au tombeau, que Joseph d'Arimathie glisse sous les pieds du Christ, est caractéristique d'une entreprise romanesque qui veut s'inscrire dans la continuité de l'Histoire Sainte.

Le Graal n'est encore désigné par le texte que comme une « écuelle » ("esquiele") jusqu'à la conversion de Seraphé / Nascien qui le désigne alors comme un « vase » ("vaissel"), avant de lui donner le nom de « Graal »

Fol. 7 : Joseph recueille le sang du Christ lors de la mise au tombeau
Fol. 6v

Fol. 6v

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Comment Joseph d'Arimathie recueillit dans le Saint Graal le sang précieux de Notre Seigneur avant de les apporter en Grande Bretagne...

Et quand [Joseph] eut descendu [le Christ] de la croix, avec de grands pleurs et de grands soupirs, il le coucha en un sépulcre qu'il avait fait creuser dans la roche et où il devait reposer lui-même après sa mort, puis il alla chercher l'écuelle dans sa maison.Quand il revint auprès du corps, il recueillit le sang jusqu'à la dernière goutte et le conserva chez lui dans l'écuelle par laquelle Dieu manifesta ensuite sa puissance en Terre Promise et dans de nombreux autres territoires. Après que Joseph eut mis l'écuelle à l'endroit qu'il savait le plus approprié, il prit ses plus belles étoffes et revint au sépulcre où il ensevelit le corps de son Seigneur le plus richement et avec le plus grand honneur possible. Quand il l'eut enseveli, il le coucha dans le sépulcre et fit mettre à l'entrée une pierre très grande et très lourde, parce qu'il ne voulait pas que quiconque entrât au lieu où gisait une chose aussi noble que le corps du Fils de Dieu. Quand les juifs virent que Joseph avait descendu de la croix celui qu'ils avaient condamné à mort et qu'il l'avait si noblement enseveli, ils en furent très irrités et trouvèrent ce geste très orgueilleux. Ils tinrent alors conseil ensemble et conclurent qu'il était juste que Joseph payât pour ce qu'il avait fait à la fois contre Dieu et contre la loi. Ils décidèrent qu'ils le captureraient de nuit au cours de son premier sommeil, et l'emmèneraient en un lieu tel qu'on n'entendrait plus jamais parler de lui.

Fol. 6v
Cycle du Lancelot-Graal

Fol. 7 : Joseph recueille le sang du Christ lors de la mise au tombeau

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La nature du Graal

Le Nouveau Testament est le point de départ de l'œuvre qui reprend le motif iconographique traditionnel de la mise au tombeau, en se concentrant sur la figure de Joseph d'Arimathie et la destinée du Graal. Alors que sa nature merveilleuse n'est pas explicitée chez Chrétien de Troyes, le Graal apparaît ici comme une relique dotée d'un double caractère sacré puisque le Christ y a pris son dernier repas et que Joseph d'Arimathie l'utilise pour recueillir le Précieux Sang. L'ajout du Graal à la scène de la mise au tombeau, que Joseph d'Arimathie glisse sous les pieds du Christ, est caractéristique d'une entreprise romanesque qui veut s'inscrire dans la continuité de l'Histoire Sainte.

Le Graal n'est encore désigné par le texte que comme une « écuelle » ("esquiele") jusqu'à la conversion de Seraphé / Nascien qui le désigne alors comme un « vase » ("vaissel"), avant de lui donner le nom de « Graal »

Fol. 7 : Joseph recueille le sang du Christ lors de la mise au tombeau
Cycle du Lancelot-Graal

Fol. 18v : Joseph d'Arimathie aperçoit dans l'arche le Saint Graal et les instruments de la Passion

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Les reliques christiques

L'intérêt suscité par le Graal et les instruments de la Passion sont à mettre en relation avec la pratique chrétienne de vénération des reliques qui joue un rôle particulièrement important au cours de la période médiévale. Ainsi l'Histoire du Saint Graal transforme-t-elle le Graal en relique christique. A travers plusieurs scènes rituelles et initiatiques, le roman fait ressortir les limites du profane et du sacré, de ce qui est dévoilé et de ce qui reste caché. Il accentue aussi la distinction entre les hommes justes, élus par Dieu, et les pécheurs qui sont écartés du service du Graal, ou dont la foi est insuffisante pour leur permettre la traversée miraculeuse de la mer. Alors que dans le texte, la curiosité de Joseph a un caractère sacrilège, l'idée de transgression est gommée de l'image qui met en scène une dévotion édifiante.

Fol. 18v : Joseph d'Arimathie aperçoit dans l'arche le Saint Graal et les instruments de la Passion
Fol. 19

Fol. 19

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Comment Joseph se tenait à genoux devant le Saint Graal...

[Joseph fut] si désireux de voir ces merveilles qu'il ne tint pas compte de l'interdiction mais se laissa tomber à genoux devant la porte de l'arche. Il regarda et vit à l'intérieur de l'arche un petit autel recouvert de linges blancs sur lesquels se trouvait un riche tissu vermeil aussi beau qu'un samit. Joseph regarda sous ce tissu et vit à l'extrémité de l'autel trois clous ruisselant de sang et un fer de lance tout sanglant. À l'autre extrémité de l'autel se trouvait l'écuelle qu'il avait apportée, et au milieu, il y avait une sorte de hanap, un très riche vase d'or portant un couvercle également en or. Mais Joseph ne pouvait voir distinctement le couvercle ni ce qu'il y avait dessous car il était couvert d'une étoffe blanche, il n'était donc visible que par devant. Derrière l'autel, Joseph vit une main dont il ne put voir à qui elle appartenait, qui tenait une très belle croix de couleur vermeille.

Il vit devant l'autel deux mains qui portaient des cierges, sans distinguer à qui ces mains appartenaient. Pendant qu'il regardait ainsi à l'intérieur, il tendit l'oreille et entendit claquer violemment la porte d'une chambre. Il tourna les yeux vers cette pièce et vit en sortir deux anges dont l'un tenait un vase rempli d'eau et l'autre un aspersoir à la main droite. Et après ces deux anges en venaient deux autres qui tenaient à la main deux grands plats d'or comme des bassins. Ils portaient à leur cou des serviettes d'une beauté telle qu'aucun homme sur terre n'aurait pu en posséder de pareilles.

Fol. 19
Cycle du Lancelot-Graal

Fol. 18v : Joseph d'Arimathie aperçoit dans l'arche le Saint Graal et les instruments de la Passion

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Les reliques christiques

L'intérêt suscité par le Graal et les instruments de la Passion sont à mettre en relation avec la pratique chrétienne de vénération des reliques qui joue un rôle particulièrement important au cours de la période médiévale. Ainsi l'Histoire du Saint Graal transforme-t-elle le Graal en relique christique. A travers plusieurs scènes rituelles et initiatiques, le roman fait ressortir les limites du profane et du sacré, de ce qui est dévoilé et de ce qui reste caché. Il accentue aussi la distinction entre les hommes justes, élus par Dieu, et les pécheurs qui sont écartés du service du Graal, ou dont la foi est insuffisante pour leur permettre la traversée miraculeuse de la mer. Alors que dans le texte, la curiosité de Joseph a un caractère sacrilège, l'idée de transgression est gommée de l'image qui met en scène une dévotion édifiante.

Fol. 18v : Joseph d'Arimathie aperçoit dans l'arche le Saint Graal et les instruments de la Passion
Fol. 19

Fol. 19

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Comment Joseph se tenait à genoux devant le Saint Graal...

[Joseph fut] si désireux de voir ces merveilles qu'il ne tint pas compte de l'interdiction mais se laissa tomber à genoux devant la porte de l'arche. Il regarda et vit à l'intérieur de l'arche un petit autel recouvert de linges blancs sur lesquels se trouvait un riche tissu vermeil aussi beau qu'un samit. Joseph regarda sous ce tissu et vit à l'extrémité de l'autel trois clous ruisselant de sang et un fer de lance tout sanglant. À l'autre extrémité de l'autel se trouvait l'écuelle qu'il avait apportée, et au milieu, il y avait une sorte de hanap, un très riche vase d'or portant un couvercle également en or. Mais Joseph ne pouvait voir distinctement le couvercle ni ce qu'il y avait dessous car il était couvert d'une étoffe blanche, il n'était donc visible que par devant. Derrière l'autel, Joseph vit une main dont il ne put voir à qui elle appartenait, qui tenait une très belle croix de couleur vermeille.

Il vit devant l'autel deux mains qui portaient des cierges, sans distinguer à qui ces mains appartenaient. Pendant qu'il regardait ainsi à l'intérieur, il tendit l'oreille et entendit claquer violemment la porte d'une chambre. Il tourna les yeux vers cette pièce et vit en sortir deux anges dont l'un tenait un vase rempli d'eau et l'autre un aspersoir à la main droite. Et après ces deux anges en venaient deux autres qui tenaient à la main deux grands plats d'or comme des bassins. Ils portaient à leur cou des serviettes d'une beauté telle qu'aucun homme sur terre n'aurait pu en posséder de pareilles.

Fol. 19
Cycle du Lancelot-Graal

Fol. 21v : Les anges célèbrent l'Eucharistie et communient avec Jospeh et ses compagnons

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L'Eucharistie

L'épisode, qui se focalise sur la communion, expose littéralement la doctrine de la transsubstantiation : par la consécration, le pain et le vin sont transformés en corps et sang d'un enfant que l'officiant doit se résoudre à absorber, sous les yeux de Josephé bouleversé. Il commémore et réitère ainsi le sacrifice christique, comme Joseph et ses compagnons en font ensuite l'expérience. L'insistance textuelle va de pair avec des soucis théologiques contemporains, puisque l'idée de la transsubstantiation, comme le dogme de la Trinité, est réaffirmée par le quatrième concile du Latran tenu en 1215, par opposition notamment aux idées véhiculées par l'hérésie cathare.

Fol. 21v : Les anges célèbrent l'Eucharistie et communient avec Jospeh et ses compagnons
Fol. 22

Fol. 22

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Comment l'ange donna le Corps du Christ à Joseph et à tous ses compagnons et les remit tous sous l'autorité de Josephé...

Un ange prit la patène et le calice et les mit tous deux l'un sur l'autre sur la sainte écuelle. Sur cette patène on pouvait voir plusieurs morceaux ayant l'apparence de pain. Et quand l'ange eut pris l'écuelle, un autre ange éleva la patène et ce qui se trouvait avec elle, et l'emporta dans ses deux mains hors de l'arche. Le troisième ange prit le calice et le porta derrière lui de la même manière. Celui qui tenait la sainte écuelle vint tout en dernier. Et quand ils furent tous trois sortis de l'arche, le peuple les vit. Une voix dit alors : « Mon petit peuple, tu as depuis peu accès à la naissance spirituelle lors de la mort corporelle. Veille à recevoir et employer cette noble communion avec une foi véritable, car si tu crois vraiment qu'il s'agit de ton Sauveur, tu en recevras le salut éternel de l'âme. Mais si ta foi est défaillante, tu en recevras la damnation éternelle du corps et de l'âme. Car qui recevra mon corps et mon sang sans en être digne mangera et boira sa perte : nul ne peut en être digne s'il n'est un bon croyant. Veille donc à l'intégrité de ta foi ». L'ange qui portait la patène vint alors devant Joseph qui s'agenouilla et reçut son Sauveur les mains jointes, avec empressement, ainsi que tous les autres. Et chacun, lorsqu'on lui mettait dans la bouche le morceau ayant l'apparence du pain, croyait voir entrer dans sa bouche le corps entier d'un enfant.

Fol. 22
Cycle du Lancelot-Graal

Fol. 21v : Les anges célèbrent l'Eucharistie et communient avec Jospeh et ses compagnons

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L'Eucharistie

L'épisode, qui se focalise sur la communion, expose littéralement la doctrine de la transsubstantiation : par la consécration, le pain et le vin sont transformés en corps et sang d'un enfant que l'officiant doit se résoudre à absorber, sous les yeux de Josephé bouleversé. Il commémore et réitère ainsi le sacrifice christique, comme Joseph et ses compagnons en font ensuite l'expérience. L'insistance textuelle va de pair avec des soucis théologiques contemporains, puisque l'idée de la transsubstantiation, comme le dogme de la Trinité, est réaffirmée par le quatrième concile du Latran tenu en 1215, par opposition notamment aux idées véhiculées par l'hérésie cathare.

Fol. 21v : Les anges célèbrent l'Eucharistie et communient avec Jospeh et ses compagnons
Fol. 22

Fol. 22

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Comment l'ange donna le Corps du Christ à Joseph et à tous ses compagnons et les remit tous sous l'autorité de Josephé...

Un ange prit la patène et le calice et les mit tous deux l'un sur l'autre sur la sainte écuelle. Sur cette patène on pouvait voir plusieurs morceaux ayant l'apparence de pain. Et quand l'ange eut pris l'écuelle, un autre ange éleva la patène et ce qui se trouvait avec elle, et l'emporta dans ses deux mains hors de l'arche. Le troisième ange prit le calice et le porta derrière lui de la même manière. Celui qui tenait la sainte écuelle vint tout en dernier. Et quand ils furent tous trois sortis de l'arche, le peuple les vit. Une voix dit alors : « Mon petit peuple, tu as depuis peu accès à la naissance spirituelle lors de la mort corporelle. Veille à recevoir et employer cette noble communion avec une foi véritable, car si tu crois vraiment qu'il s'agit de ton Sauveur, tu en recevras le salut éternel de l'âme. Mais si ta foi est défaillante, tu en recevras la damnation éternelle du corps et de l'âme. Car qui recevra mon corps et mon sang sans en être digne mangera et boira sa perte : nul ne peut en être digne s'il n'est un bon croyant. Veille donc à l'intégrité de ta foi ». L'ange qui portait la patène vint alors devant Joseph qui s'agenouilla et reçut son Sauveur les mains jointes, avec empressement, ainsi que tous les autres. Et chacun, lorsqu'on lui mettait dans la bouche le morceau ayant l'apparence du pain, croyait voir entrer dans sa bouche le corps entier d'un enfant.

Fol. 22
Cycle du Lancelot-Graal : I. L’Histoire du Saint Graal

Fol. 30v : Un Chevalier Blanc intervent miraculeusement lorsque le roi Evalac invoque l'aide de Dieu lors de la bataille contre le souverain égyptien Tholomé

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La conversion du roi Evalac

Cet épisode place la conversion d'Evalac en regard de celle de Constantin qui, selon la tradition chrétienne, ayant eu une vision du Dieu des chrétiens au cours de sa campagne contre Maxence, aurait été victorieux au Pont Milvius (en 312) grâce au signe de la croix qu'il avait fait inscrire sur les boucliers de son armée. La même trame apparaît aussi dans le récit que fait Grégoire de Tours de la conversion de Clovis, lorsque celui-ci invoque l'aide divine contre les Alamans au cours de la bataille de Tolbiac (en 496). L'intervention divine et la conversion du souverain du royaume de Sarras (c'est-à-dire du peuple sarrasin) s'inscrivent dans une perspective d'évangélisation plus large. Joseph et Josephé discutent avec les païens de la foi chrétienne, dont la vérité est démontrée par l'intervention miraculeuse d'un ange, selon un schéma qui sera repris dans le texte pour la conversion des peuples de Grande Bretagne.

Fol. 30v : Un Chevalier Blanc intervent miraculeusement lorsque le roi Evalac invoque l'aide de Dieu lors de la bataille contre le souverain égyptien Tholomé
Fol. 31

Fol. 31

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Comment un ange ayant pris l'apparence d'un blanc chevalier vint secourir le roi Evalac et Séraphe à la Roche Ensanglantée...

Tandis que Séraphe s'efforçait de rompre et de percer la mêlée et que ses ennemis s'efforçaient de résister, Evalac de son côté fut transpercé par trois lances. Tholomé l'avait pris par les rênes de son cheval et l'emmenait rapidement avec plus trois cent chevaliers. Ils emmenaient avec Evalac quinze de ses chevaliers sur leur montures mais ceux-ci étaient si épuisés qu'ils ne pouvaient plus se défendre. Ainsi ils emmenaient Evalac et ils l'avaient tant battu que le sang coulait de sa bouche et de son nez. Il avait tant perdu de sang par ses plaies qu'il ne voyait plus à qui vouer son existence. [...] Il arracha alors la toile qui couvrait le signe de la Sainte Croix qui était sur son écu, le regarda et y vit l'image d'un homme crucifié. Il semblait que du sang clair s'écoulait de ses mains et de ses pieds. Quand Evalac le vit, son cœur s'attendrit et il se mit à pleurer à chaudes larmes en disant : « Ha, cher seigneur Dieu, dont je porte le signe de la mort, ramenez moi sain et sauf recevoir votre foi pour montrer aux autres par mon exemple que vous êtes le vrai Dieu qui a pouvoir sur toute chose ». Aussitôt qu'il eut prononcé ces paroles, il regarda devant lui et vit un chevalier sortir de la forêt tout armé, portant un heaume sur sa tête, et à son cou un écu blanc orné d'une croix vermeille. Son cheval également était aussi blanc qu'une fleur. Ce chevalier se dirigea à toute allure vers eux et quand il se fut approché, il tendit les mains, prit Tholomé par les rênes de son cheval, et repartit en arrière en direction de la cité.

Fol. 31
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Fol. 30v : Un Chevalier Blanc intervent miraculeusement lorsque le roi Evalac invoque l'aide de Dieu lors de la bataille contre le souverain égyptien Tholomé

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La conversion du roi Evalac

Cet épisode place la conversion d'Evalac en regard de celle de Constantin qui, selon la tradition chrétienne, ayant eu une vision du Dieu des chrétiens au cours de sa campagne contre Maxence, aurait été victorieux au Pont Milvius (en 312) grâce au signe de la croix qu'il avait fait inscrire sur les boucliers de son armée. La même trame apparaît aussi dans le récit que fait Grégoire de Tours de la conversion de Clovis, lorsque celui-ci invoque l'aide divine contre les Alamans au cours de la bataille de Tolbiac (en 496). L'intervention divine et la conversion du souverain du royaume de Sarras (c'est-à-dire du peuple sarrasin) s'inscrivent dans une perspective d'évangélisation plus large. Joseph et Josephé discutent avec les païens de la foi chrétienne, dont la vérité est démontrée par l'intervention miraculeuse d'un ange, selon un schéma qui sera repris dans le texte pour la conversion des peuples de Grande Bretagne.

Fol. 30v : Un Chevalier Blanc intervent miraculeusement lorsque le roi Evalac invoque l'aide de Dieu lors de la bataille contre le souverain égyptien Tholomé
Fol. 31

Fol. 31

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Comment un ange ayant pris l'apparence d'un blanc chevalier vint secourir le roi Evalac et Séraphe à la Roche Ensanglantée...

Tandis que Séraphe s'efforçait de rompre et de percer la mêlée et que ses ennemis s'efforçaient de résister, Evalac de son côté fut transpercé par trois lances. Tholomé l'avait pris par les rênes de son cheval et l'emmenait rapidement avec plus trois cent chevaliers. Ils emmenaient avec Evalac quinze de ses chevaliers sur leur montures mais ceux-ci étaient si épuisés qu'ils ne pouvaient plus se défendre. Ainsi ils emmenaient Evalac et ils l'avaient tant battu que le sang coulait de sa bouche et de son nez. Il avait tant perdu de sang par ses plaies qu'il ne voyait plus à qui vouer son existence. [...] Il arracha alors la toile qui couvrait le signe de la Sainte Croix qui était sur son écu, le regarda et y vit l'image d'un homme crucifié. Il semblait que du sang clair s'écoulait de ses mains et de ses pieds. Quand Evalac le vit, son cœur s'attendrit et il se mit à pleurer à chaudes larmes en disant : « Ha, cher seigneur Dieu, dont je porte le signe de la mort, ramenez moi sain et sauf recevoir votre foi pour montrer aux autres par mon exemple que vous êtes le vrai Dieu qui a pouvoir sur toute chose ». Aussitôt qu'il eut prononcé ces paroles, il regarda devant lui et vit un chevalier sortir de la forêt tout armé, portant un heaume sur sa tête, et à son cou un écu blanc orné d'une croix vermeille. Son cheval également était aussi blanc qu'une fleur. Ce chevalier se dirigea à toute allure vers eux et quand il se fut approché, il tendit les mains, prit Tholomé par les rênes de son cheval, et repartit en arrière en direction de la cité.

Fol. 31
Fol. 87v

Fol. 87v

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Comment Joseph et ses compagnons passèrent la mer sur une chemise pour rallier la Grande Bretagne...

Josephé suivit les instructions de la voix. Il appela en effet tous ceux qui portaient le saint vase, les fit entrer dans la mer et leur dit : « Allez sans crainte, car la vertu du précieux vase vous conduira ». Ceux-ci entrèrent aussitôt dans la mer, sans éprouver ni peur ni doute, et ils commencèrent à marcher sur l'eau, comme s'ils étaient sur la terre ferme. Ils portaient avec eux le saint vase qu'on appelle le Saint Graal. Et quand Josephé vit qu'ils avançaient de cette manière, il ôta sa chemise de son dos et revêtit sa tunique puis il dit à son père de mettre son pied sur le pan de la chemise. Il était bien loin du rivage mais avait étendu sa chemise comme s'il était sur terre. Joseph s'avança alors et mit son pieds dessus puis appela aussitôt un de ses parents du nom d'Orro qui avait douze beaux et nobles enfants. Après qu'il l'eut appelé, celui-ci monta sur le pan de la chemise comme Joseph l'avait fait, et Joseph appela ensuite tous les autres, cent cinquante au total, les uns après les autres. Au fur et à mesure que chacun montait sur le pan de la chemise, celui-ci grandissait et s'élargissait, comme pour plaire à la volonté du Maître des Cieux. Il y eut donc un miracle manifeste en ce que les cent cinquante prirent place sans difficulté sur le pan de la chemise de Josephé, à l'exception de deux d'entre deux. Or ceux-ci n'étaient pas aussi bons ni respectables qu'ils auraient dû l'être. L'un était le père de l'autre. Ces deux hommes, quant ils durent mettre le pied sur le pan de la chemise, coulèrent aussi lourdement qu'un morceau de plomb. Quant Josephé les vit, il les reconnut et leur dit : « C'est à tort que vous essayez de nous tromper. Votre peu de foi est manifeste » [...] Et Josephé, qui tenait la manche de la chemise, se mit en marche et commença à tirer la chemise après lui sur l'eau. Tous se recommandèrent à Notre Seigneur, et furent entre ses mains et sous sa conduite, car ils avaient mis tout leur espoir en lui. Le voyage se passa si bien qu'avant le lever du jour ils arrivèrent tous en Grande Bretagne et virent la terre et le pays qui étaient entièrement peuplés de Sarrasins et de mécréants.

Fol. 87v
Cycle du Lancelot-Graal : I. L’Histoire du Saint Graal

Fol. 88 : Joseph et ses compagnons traversent miraculeusement la mer sur la chemise de Josephé et arrivent en Grande Bretagne

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La traversée miraculeuse de la mer

Cet épisode suggère un parallèle entre la troupe de Joseph et celle du peuple hébreux conduit par Moïse dans le désert. Il rappelle le caractère électif du Graal et les exigences d'une conduite parfaitement chrétienne. Le passage de la mer sur la chemise de Josephé présente également un caractère initiatique car il est précédé par le service du Graal auquel participent seulement ceux dont la conduite et l'esprit ont été irréprochables. La translation qui s'opère d'Orient en Occident est à la fois celle du Graal et celle de la foi chrétienne puisque Joseph et ses compagnons vont évangéliser la Grande Bretagne.

L'itinéraire de Joseph et de ses compagnons, comme celui du peuple juif avant lui, est guidé par Dieu qui l'amène jusqu'à la terre promise, mais ce n'est pas sans des moments de doute et d'hésitation. Ainsi Joseph et Josephé font-ils face aux inquiétudes de leur peuple qui comme eux a tout abandonné et dont ils connaissent les sacrifices et la souffrance. Mais la traversée miraculeuse est réservée à ceux qui sont restés fidèles, purs et chastes, tandis que la majorité des quatre cent soixante qui reconnaissent leur péché et leur dépravation mais décident de se convertir pourra, grâce à la miséricorde divine, rejoindre la Grande Bretagne par des moyens humains.

Fol. 88 : Joseph et ses compagnons traversent miraculeusement la mer sur la chemise de Josephé et arrivent en Grande Bretagne
Fol. 87v

Fol. 87v

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Comment Joseph et ses compagnons passèrent la mer sur une chemise pour rallier la Grande Bretagne...

Josephé suivit les instructions de la voix. Il appela en effet tous ceux qui portaient le saint vase, les fit entrer dans la mer et leur dit : « Allez sans crainte, car la vertu du précieux vase vous conduira ». Ceux-ci entrèrent aussitôt dans la mer, sans éprouver ni peur ni doute, et ils commencèrent à marcher sur l'eau, comme s'ils étaient sur la terre ferme. Ils portaient avec eux le saint vase qu'on appelle le Saint Graal. Et quand Josephé vit qu'ils avançaient de cette manière, il ôta sa chemise de son dos et revêtit sa tunique puis il dit à son père de mettre son pied sur le pan de la chemise. Il était bien loin du rivage mais avait étendu sa chemise comme s'il était sur terre. Joseph s'avança alors et mit son pieds dessus puis appela aussitôt un de ses parents du nom d'Orro qui avait douze beaux et nobles enfants. Après qu'il l'eut appelé, celui-ci monta sur le pan de la chemise comme Joseph l'avait fait, et Joseph appela ensuite tous les autres, cent cinquante au total, les uns après les autres. Au fur et à mesure que chacun montait sur le pan de la chemise, celui-ci grandissait et s'élargissait, comme pour plaire à la volonté du Maître des Cieux. Il y eut donc un miracle manifeste en ce que les cent cinquante prirent place sans difficulté sur le pan de la chemise de Josephé, à l'exception de deux d'entre deux. Or ceux-ci n'étaient pas aussi bons ni respectables qu'ils auraient dû l'être. L'un était le père de l'autre. Ces deux hommes, quant ils durent mettre le pied sur le pan de la chemise, coulèrent aussi lourdement qu'un morceau de plomb. Quant Josephé les vit, il les reconnut et leur dit : « C'est à tort que vous essayez de nous tromper. Votre peu de foi est manifeste » [...] Et Josephé, qui tenait la manche de la chemise, se mit en marche et commença à tirer la chemise après lui sur l'eau. Tous se recommandèrent à Notre Seigneur, et furent entre ses mains et sous sa conduite, car ils avaient mis tout leur espoir en lui. Le voyage se passa si bien qu'avant le lever du jour ils arrivèrent tous en Grande Bretagne et virent la terre et le pays qui étaient entièrement peuplés de Sarrasins et de mécréants.

Fol. 87v
Cycle du Lancelot-Graal : I. L’Histoire du Saint Graal

Fol. 88 : Joseph et ses compagnons traversent miraculeusement la mer sur la chemise de Josephé et arrivent en Grande Bretagne

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La traversée miraculeuse de la mer

Cet épisode suggère un parallèle entre la troupe de Joseph et celle du peuple hébreux conduit par Moïse dans le désert. Il rappelle le caractère électif du Graal et les exigences d'une conduite parfaitement chrétienne. Le passage de la mer sur la chemise de Josephé présente également un caractère initiatique car il est précédé par le service du Graal auquel participent seulement ceux dont la conduite et l'esprit ont été irréprochables. La translation qui s'opère d'Orient en Occident est à la fois celle du Graal et celle de la foi chrétienne puisque Joseph et ses compagnons vont évangéliser la Grande Bretagne.

L'itinéraire de Joseph et de ses compagnons, comme celui du peuple juif avant lui, est guidé par Dieu qui l'amène jusqu'à la terre promise, mais ce n'est pas sans des moments de doute et d'hésitation. Ainsi Joseph et Josephé font-ils face aux inquiétudes de leur peuple qui comme eux a tout abandonné et dont ils connaissent les sacrifices et la souffrance. Mais la traversée miraculeuse est réservée à ceux qui sont restés fidèles, purs et chastes, tandis que la majorité des quatre cent soixante qui reconnaissent leur péché et leur dépravation mais décident de se convertir pourra, grâce à la miséricorde divine, rejoindre la Grande Bretagne par des moyens humains.

Fol. 88 : Joseph et ses compagnons traversent miraculeusement la mer sur la chemise de Josephé et arrivent en Grande Bretagne
Cycle du Lancelot-Graal

Fol. 99v : La Croix Noire, lieu du martyre des compagnons de Josephé

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Les missions d'évangélisation

La conversion des peuples païens et sarrasins joue un rôle déterminant dans l'Histoire du Saint Graal animée par un esprit missionnaire et évangélisateur. Il ne faut chercher aucune réalité historique dans le tableau des croyances des « Sarrasins » présentés comme dans les chansons de geste comme polythéistes et idolâtres : leur foi est souvent l'objet des projections des chrétiens. La conversion du souverain favorise généralement celle de tout son peuple. Mais dans le cas d'Agreste, c'est par pure tactique que le roi décide de suivre la majorité de ses sujets, avant de reprendre la main sur eux, une fois débarrassé des missionnaires gênants. L'épisode de la Croix Noire est particulièrement macabre : il met en scène un souverain fourbe et cruel qui se livre à une répression sanglante et dont le trépas est tout aussi monstrueux.

Comment Agreste, roi de Grande Bretagne demeurant à Camelot, fit occire douze compagnons de Josephé auprès d'une croix qu'on appela la Croix Noire, et comment ensuite, pris de folie, il fut consumé dans un four…

Le roi Agreste] fit arrêter les douze compagnons de Josephé et leur commanda d'adorer les Dieux que son peuple adorait. Ils lui répondirent qu'il ne parviendrait jamais à les y contraindre. Quand le roi entendit leur réponse, il les fit mettre à nu, torturer, et attacher à la queue de chevaux qui les traînèrent dans les rues de la ville. Il les emmena ensuite auprès d'une croix que Josephé avait fait dresser, y fit attacher le premier et le fit frapper au front d'un grand maillet de manière à faire jaillir sa cervelle qui dégoulina sur la croix. Les douze compagnons de Josephé furent martyrisés de cette manière. Or il advint que la croix devint toute vermeille du sang et de leur cervelle répandus sur elle. Le roi repartit ensuite, croyant s'être bien vengé, et il laissa les corps devant la croix. Mais quand il revint en la cité, il trouva au cimetière une croix que Josephé y avait fait dresser. Il commanda qu'elle fût brûlée, et qu'auparavant, elle soit traînée parmi la ville. Or dès qu'il eut donné cet ordre, il perdit la tête et commença à se manger les mains et les parties du corps qu'il pouvait atteindre. Il prit même un de ses petits fils par la gorge et l'étrangla et ainsi fit-il de sa femme et d'un de ses frères. Il écuma alors la ville en criant et en hurlant et trouva au bout de la [rue] principale un four où on avait allumé le feu ; il s'y jeta immédiatement tout entier comme un être enragé, et il y périt.

Les gens du pays furent tout épouvantés par cette aventure, car ils avaient bien compris que leur roi était devenu fou à cause du péché qu'il avait commis et ils virent bien que Notre Seigneur s'en était courroucé. Ils envoyèrent alors un messager auprès de Josephé et lui racontèrent ce qui lui était advenu. Quand celui-ci en fut informé, il en fut extrêmement affligé et accourut tout en larmes, il fit prendre les corps des martyrs qui étaient devant la cité et les fit mettre tous les douze en une chapelle puis ordonna qu'on lave le sang de la croix, car on sait bien que le sang noircit de plus en plus. Et Notre Seigneur en fit un grand miracle, car jamais plus la croix ne changea de couleur, mais elle garda toujours sa couleur noire en souvenir du sang qui y avait été répandu. À cause de cela, on l'appela la Croix Noire, et elle garda ce nom jusqu'au règne du roi Arthur et jusqu'à ce que le Bon Chevalier issu du sang de Lancelot mène à leur terme les aventures du Saint Graal.

Fol. 99v : La Croix Noire, lieu du martyre des compagnons de Josephé
Châtiment de Moïse qui a tenté de s’asseoir sur le Siège Périlleux

Fol. 100 : Châtiment de Moïse qui a tenté de s'asseoir sur le Siège Périlleux

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Le Siège Périlleux

À travers l'exemple de Moïse, fils de Siméon, l'épreuve du Siège Périlleux sanctionne ceux qui, par orgueil, prétendent accéder à des honneurs dont ils sont indignes ; ceux qui croient pouvoir abuser Dieu et ses serviteurs par leurs ruses. Cet épisode est significatif de l'entreprise d'écriture cyclique puisqu'il se développe à partir d'un épisode du Lancelot en prose que le texte explique, annonce et anticipe en évoquant la fin du cycle. Comme la mésaventure de Moïse, ce passage évoque ainsi la venue de Galaad et l'accomplissement des aventures du Graal.

Comment Moïse s'assit au Siège Périlleux et fut emporté par sept mains dans une forêt…

Bron était assis à une place à côté de Joseph à la table du saint graal mais il y avait entre eux, au milieu de la table, un espace de la largeur d'un siège. Quand Bron, le parent de Josephé, remarqua cette place inoccupée, il lui dit : « Sire, pourquoi ne désignez-vous pas homme de bien pour qu'il occupe ce siège à côté de vous ? Il y a ici bon nombre d'hommes de valeur qui mériteraient bien de s'y asseoir ». « Bron, répondit Josephé, beau doux ami, cette place est faite de telle sorte que nul se saurait s'y asseoir sauf le meilleur de tous, et ce siège n'est pas là pour rien mais il porte une grande signification. Sachez en effet qu'il symbolise l'endroit même où Notre Seigneur s'est assis le jour de la Cène à la sainte table où il a mangé avec les apôtres. Cette place est faite en l'attente de son maître Jésus Christ ou de celui qu'il y enverra ». Ceux qui étaient assis à cette table trouvèrent cette réponse pleine d'orgueil et de présomption, surtout ceux qui étaient en état de péché mortel. Et certains de ceux qui avaient mangé à cette table dirent que ce n'était que fable et mensonge que leur racontait Josephé. Selon eux, on pourrait s'y asseoir aussi facilement qu'à une autre place, sans aucun danger. Ils étaient quatorze, tous de la cité de Jérusalem, à tenir ces propos. Ceux qui étaient les plus loquaces, Siméon et Moïse, dirent aux autres : « Seigneurs, que pensez-vous de notre évêque et de ce qu'il a dit à table aujourd'hui ? Il a dit apparemment qu'il serait une folie que quiconque s'y asseye à l'exception de celui que Notre Seigneur y enverra ». « Certes, répondirent les autres, nous pensons qu'il s'agit d'un mensonge plutôt que de la vérité. Mais il ne convient pas que nous contestions chacune de ses paroles. Pourtant, nous souhaiterions que quelqu'un s'y asseye pour savoir si c'est vrai ou non ». « Au nom de Dieu répondit Moïse, si vous en faites pour moi la demande à Josephé, je m'y assiérai demain sans faute et je tenterai l'aventure. J'estime avoir assez servi Notre Seigneur depuis que j'ai quitté mon pays pour à mon avis ne courir aucun danger ». Au nom de Dieu, répondirent les autres, nous l'en prierons volontiers, si vous promettez de vous y asseoir [...]

Le lendemain, à l'heure de midi, une fois assis à la table du Graal, ils s'adressèrent à Moïse et lui dirent : « Vous pouvez maintenant vous asseoir ». Moïse alla alors à l'endroit où Josephé était assis en feignant une innocence parfaite. Josephé lui dit : « Moïse, ne t'assieds pas ici si tu n'es pas tel que tu dois être car tu t'en repentirais bien douloureusement. Ne pense pas que cette place soit destinée à un pécheur et de t'y assieds pas si tu ne vaux pas mieux que nous tous. Car sache bien que ton corps en sera détruit et que ton âme en souffrira une peine éternelle ». Quand Moïse entendit ces mots, il en fut fort effrayé mais répondit néanmoins : « Seigneur, je crois bien être digne de m'y asseoir sans irriter Notre Seigneur ». « Approche-toi donc, et assieds-toi », répondit Josephé. Moïse s'avança alors et s'assit entre Josephé et Bron. Mais peu de temps après, ils virent venir du ciel sept mains enflammées dont on ne pouvait distinguer les corps. Ils virent clairement qu'elles jetaient du feu sur Moïse qui commerça à s'enflammer comme du bois, et tandis qu'il brûlait ainsi, les mains le prirent et l'enlevèrent de sa place pour l'emporter dans les airs, jusqu'à une forêt grande et merveilleuse qui se trouvait près de là.

 

Fol. 100 : Châtiment de Moïse qui a tenté de s'asseoir sur le Siège Périlleux
Cycle du Lancelot-Graal

Fol. 99v : La Croix Noire, lieu du martyre des compagnons de Josephé

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Les missions d'évangélisation

La conversion des peuples païens et sarrasins joue un rôle déterminant dans l'Histoire du Saint Graal animée par un esprit missionnaire et évangélisateur. Il ne faut chercher aucune réalité historique dans le tableau des croyances des « Sarrasins » présentés comme dans les chansons de geste comme polythéistes et idolâtres : leur foi est souvent l'objet des projections des chrétiens. La conversion du souverain favorise généralement celle de tout son peuple. Mais dans le cas d'Agreste, c'est par pure tactique que le roi décide de suivre la majorité de ses sujets, avant de reprendre la main sur eux, une fois débarrassé des missionnaires gênants. L'épisode de la Croix Noire est particulièrement macabre : il met en scène un souverain fourbe et cruel qui se livre à une répression sanglante et dont le trépas est tout aussi monstrueux.

Comment Agreste, roi de Grande Bretagne demeurant à Camelot, fit occire douze compagnons de Josephé auprès d'une croix qu'on appela la Croix Noire, et comment ensuite, pris de folie, il fut consumé dans un four…

Le roi Agreste] fit arrêter les douze compagnons de Josephé et leur commanda d'adorer les Dieux que son peuple adorait. Ils lui répondirent qu'il ne parviendrait jamais à les y contraindre. Quand le roi entendit leur réponse, il les fit mettre à nu, torturer, et attacher à la queue de chevaux qui les traînèrent dans les rues de la ville. Il les emmena ensuite auprès d'une croix que Josephé avait fait dresser, y fit attacher le premier et le fit frapper au front d'un grand maillet de manière à faire jaillir sa cervelle qui dégoulina sur la croix. Les douze compagnons de Josephé furent martyrisés de cette manière. Or il advint que la croix devint toute vermeille du sang et de leur cervelle répandus sur elle. Le roi repartit ensuite, croyant s'être bien vengé, et il laissa les corps devant la croix. Mais quand il revint en la cité, il trouva au cimetière une croix que Josephé y avait fait dresser. Il commanda qu'elle fût brûlée, et qu'auparavant, elle soit traînée parmi la ville. Or dès qu'il eut donné cet ordre, il perdit la tête et commença à se manger les mains et les parties du corps qu'il pouvait atteindre. Il prit même un de ses petits fils par la gorge et l'étrangla et ainsi fit-il de sa femme et d'un de ses frères. Il écuma alors la ville en criant et en hurlant et trouva au bout de la [rue] principale un four où on avait allumé le feu ; il s'y jeta immédiatement tout entier comme un être enragé, et il y périt.

Les gens du pays furent tout épouvantés par cette aventure, car ils avaient bien compris que leur roi était devenu fou à cause du péché qu'il avait commis et ils virent bien que Notre Seigneur s'en était courroucé. Ils envoyèrent alors un messager auprès de Josephé et lui racontèrent ce qui lui était advenu. Quand celui-ci en fut informé, il en fut extrêmement affligé et accourut tout en larmes, il fit prendre les corps des martyrs qui étaient devant la cité et les fit mettre tous les douze en une chapelle puis ordonna qu'on lave le sang de la croix, car on sait bien que le sang noircit de plus en plus. Et Notre Seigneur en fit un grand miracle, car jamais plus la croix ne changea de couleur, mais elle garda toujours sa couleur noire en souvenir du sang qui y avait été répandu. À cause de cela, on l'appela la Croix Noire, et elle garda ce nom jusqu'au règne du roi Arthur et jusqu'à ce que le Bon Chevalier issu du sang de Lancelot mène à leur terme les aventures du Saint Graal.

Fol. 99v : La Croix Noire, lieu du martyre des compagnons de Josephé
Châtiment de Moïse qui a tenté de s’asseoir sur le Siège Périlleux

Fol. 100 : Châtiment de Moïse qui a tenté de s'asseoir sur le Siège Périlleux

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Le Siège Périlleux

À travers l'exemple de Moïse, fils de Siméon, l'épreuve du Siège Périlleux sanctionne ceux qui, par orgueil, prétendent accéder à des honneurs dont ils sont indignes ; ceux qui croient pouvoir abuser Dieu et ses serviteurs par leurs ruses. Cet épisode est significatif de l'entreprise d'écriture cyclique puisqu'il se développe à partir d'un épisode du Lancelot en prose que le texte explique, annonce et anticipe en évoquant la fin du cycle. Comme la mésaventure de Moïse, ce passage évoque ainsi la venue de Galaad et l'accomplissement des aventures du Graal.

Comment Moïse s'assit au Siège Périlleux et fut emporté par sept mains dans une forêt…

Bron était assis à une place à côté de Joseph à la table du saint graal mais il y avait entre eux, au milieu de la table, un espace de la largeur d'un siège. Quand Bron, le parent de Josephé, remarqua cette place inoccupée, il lui dit : « Sire, pourquoi ne désignez-vous pas homme de bien pour qu'il occupe ce siège à côté de vous ? Il y a ici bon nombre d'hommes de valeur qui mériteraient bien de s'y asseoir ». « Bron, répondit Josephé, beau doux ami, cette place est faite de telle sorte que nul se saurait s'y asseoir sauf le meilleur de tous, et ce siège n'est pas là pour rien mais il porte une grande signification. Sachez en effet qu'il symbolise l'endroit même où Notre Seigneur s'est assis le jour de la Cène à la sainte table où il a mangé avec les apôtres. Cette place est faite en l'attente de son maître Jésus Christ ou de celui qu'il y enverra ». Ceux qui étaient assis à cette table trouvèrent cette réponse pleine d'orgueil et de présomption, surtout ceux qui étaient en état de péché mortel. Et certains de ceux qui avaient mangé à cette table dirent que ce n'était que fable et mensonge que leur racontait Josephé. Selon eux, on pourrait s'y asseoir aussi facilement qu'à une autre place, sans aucun danger. Ils étaient quatorze, tous de la cité de Jérusalem, à tenir ces propos. Ceux qui étaient les plus loquaces, Siméon et Moïse, dirent aux autres : « Seigneurs, que pensez-vous de notre évêque et de ce qu'il a dit à table aujourd'hui ? Il a dit apparemment qu'il serait une folie que quiconque s'y asseye à l'exception de celui que Notre Seigneur y enverra ». « Certes, répondirent les autres, nous pensons qu'il s'agit d'un mensonge plutôt que de la vérité. Mais il ne convient pas que nous contestions chacune de ses paroles. Pourtant, nous souhaiterions que quelqu'un s'y asseye pour savoir si c'est vrai ou non ». « Au nom de Dieu répondit Moïse, si vous en faites pour moi la demande à Josephé, je m'y assiérai demain sans faute et je tenterai l'aventure. J'estime avoir assez servi Notre Seigneur depuis que j'ai quitté mon pays pour à mon avis ne courir aucun danger ». Au nom de Dieu, répondirent les autres, nous l'en prierons volontiers, si vous promettez de vous y asseoir [...]

Le lendemain, à l'heure de midi, une fois assis à la table du Graal, ils s'adressèrent à Moïse et lui dirent : « Vous pouvez maintenant vous asseoir ». Moïse alla alors à l'endroit où Josephé était assis en feignant une innocence parfaite. Josephé lui dit : « Moïse, ne t'assieds pas ici si tu n'es pas tel que tu dois être car tu t'en repentirais bien douloureusement. Ne pense pas que cette place soit destinée à un pécheur et de t'y assieds pas si tu ne vaux pas mieux que nous tous. Car sache bien que ton corps en sera détruit et que ton âme en souffrira une peine éternelle ». Quand Moïse entendit ces mots, il en fut fort effrayé mais répondit néanmoins : « Seigneur, je crois bien être digne de m'y asseoir sans irriter Notre Seigneur ». « Approche-toi donc, et assieds-toi », répondit Josephé. Moïse s'avança alors et s'assit entre Josephé et Bron. Mais peu de temps après, ils virent venir du ciel sept mains enflammées dont on ne pouvait distinguer les corps. Ils virent clairement qu'elles jetaient du feu sur Moïse qui commerça à s'enflammer comme du bois, et tandis qu'il brûlait ainsi, les mains le prirent et l'enlevèrent de sa place pour l'emporter dans les airs, jusqu'à une forêt grande et merveilleuse qui se trouvait près de là.

 

Fol. 100 : Châtiment de Moïse qui a tenté de s'asseoir sur le Siège Périlleux
Fol. 102v

Fol. 102v

Fol. 102v
Cycle du Lancelot-Graal : I. L’Histoire du Saint Graal

Fol. 103 : Le passage miraculeux de la Célice grâce au cerf blanc et quatre lions

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Le cerf blanc et les quatre lions

Cet épisode merveilleux est emblématique et récurrent dans le cycle du Graal. Il fait l'objet d'une longue interprétation allégorique dans la Quête : le cerf âgé « rajeunit en laissant son cuir et ses poils et passe de la vieillesse à la jeunesse, autant dire de la mort à la vie », à l'image du Christ ressuscité dont la pureté est représenté sous la forme d'un cerf blanc. La chaîne que porte le cerf symbolise l'humilité du Christ et les quatre lions désignent les quatre Evangélistes. C'est donc le Christ qui permet la traversée de la Célice au peuple de Joseph. On peut y voir une réécriture du passage de la mer Rouge par les Hébreux autant qu'une christianisation d'éléments appartenant au merveilleux celtique : le motif de la chasse au cerf blanc sert souvent de médiation lors du passage dans le monde merveilleux.

Fol. 103 : Le passage miraculeux de la Célice grâce au cerf blanc et quatre lions
Fol. 102v

Fol. 102v

Fol. 102v
Cycle du Lancelot-Graal : I. L’Histoire du Saint Graal

Fol. 103 : Le passage miraculeux de la Célice grâce au cerf blanc et quatre lions

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Le cerf blanc et les quatre lions

Cet épisode merveilleux est emblématique et récurrent dans le cycle du Graal. Il fait l'objet d'une longue interprétation allégorique dans la Quête : le cerf âgé « rajeunit en laissant son cuir et ses poils et passe de la vieillesse à la jeunesse, autant dire de la mort à la vie », à l'image du Christ ressuscité dont la pureté est représenté sous la forme d'un cerf blanc. La chaîne que porte le cerf symbolise l'humilité du Christ et les quatre lions désignent les quatre Evangélistes. C'est donc le Christ qui permet la traversée de la Célice au peuple de Joseph. On peut y voir une réécriture du passage de la mer Rouge par les Hébreux autant qu'une christianisation d'éléments appartenant au merveilleux celtique : le motif de la chasse au cerf blanc sert souvent de médiation lors du passage dans le monde merveilleux.

Fol. 103 : Le passage miraculeux de la Célice grâce au cerf blanc et quatre lions
Cycle du Lancelot-Graal : I. L’Histoire du Saint Graal

Fol. 111v : Galaad le Fort découvre Siméon dans une fosse embrasée

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Deux Galaad et deux Lancelot

L'aventure du premier roi appelé Galaad le Fort, dont l'action soulage les peines de son parent Siméon, est prémonitoire de la délivrance complète apportée par un héros vierge et chaste, appelé lui aussi Galaad, qui mettra fin aux enchantements de Bretagne, et notamment aux merveilles de la fontaine bouillante où se trouve la tête de son ancêtre Lancelot l'Ancien. C'est Lancelot du Lac, le père de Galaad, qui soulèvera la tombe de Galaad le Fort pour connaître ses origines et son nom. Si le retour des mêmes patronymes peut créer une certaine confusion, il permet d'insister sur la continuité de la lignée de Joseph, et souligne les efforts des auteurs pour constituer un ensemble cyclique cohérent où l'Histoire explique l'origine d'aventures qui seront résolues dans le Lancelot et la Quête.

Comment le roi Galaad découvrit la tombe de Siméon...

Un jour, le roi Galaad chevauchait dans une grande plaine après avoir chassé toute la journée. Il arriva qu'après avoir perdu tous ses chiens, il sortit de la forêt à l'heure où la nuit tombe, si bien qu'il pouvait à peine voir, ce qui lui fit perdre son chemin et traverser une lande. Après avoir erré jusques à minuit sans cesser de s'éloigner du lieu dont il pensait s'approcher, il vit en une large fosse un feu ardent comme si y on avait brûlé une grande quantité de bois. Pendant qu'il observait, pensif, ce phénomène, il entendit une voix qui lui dit :

– Ah, Galaad, si mes bons parents se trouvaient ici comme toi, je ne souffrirais pas une telle douleur ni une telle angoisse, comme c'est le cas maintenant.
Quand Galaad eut entendit la plainte de son parent, il en fut fort étonné. Pourtant il lui répondit :

– Toi qui me parles, dis-moi qui tu es et pourquoi tu es livré à un tel tourment, car j'aimerais le savoir.

– Je suis, répondit Siméon, un de tes parents dont tu as maintes fois entendu parler. C'est mon corps qui supporte cette douleur pour expier un péché que je commis jadis envers Pierre.

– J'ai bien entendu parler de ces événements.

– Alors au nom de Dieu et pour alléger mes souffrances, fais en sorte qu'en cet endroit où je suis, soit fondé un monastère où l'on prie pour moi Notre Seigneur, afin que par sa douce pitié il m'accorde sa miséricorde.

– Siméon, fit Galaad, j'ai bien souvent entendu parler de toi. Tu es mon proche parent. Mais dis-moi donc si tu ne seras jamais délivré de cette souffrance que tu subis ?

– Je te le dirai, répondit Siméon, si tu me promets de faire ce que je t'ai demandé.

– Je te le promets, répondit Galaad. Et je ferai encore plus, parce que tu es mon parent : j'y ferai établir une abbaye et j'ordonnerai de mon vivant d'y être enseveli à ma mort. Cela soulagera ton âme car je sais bien que l'abbaye prospérera beaucoup dès que j'y serai enterré.

Siméon l'en remercia vivement et dit alors à Galaad :

– Sache que je ne subirai pas cette peine pour l'éternité. En effet, dès que le Bon Chevalier appelé Galaad viendra me rendre visite, il éteindra le feu. Cela sera le signe qu'il n'aura pas été embrasé par l'échauffement de la luxure. En ce temps là finiront les aventures qui adviendront dans ce pays grâce à la venue du Saint Graal.

Fol. 111v : Galaad le Fort découvre Siméon dans une fosse embrasée
Cycle du Lancelot-Graal : I. L’Histoire du Saint Graal

Fol. 112 : Le roi Galaad le Fort fait construire de l'abbaye de la Trinité

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Comment le roi Galaad parla à Siméon et fit fonder une abbaye à la gloire de Dieu…

Siméon se tut alors et le roi Galaad ne put plus tirer une parole de lui. Voyant qu'il ne lui parlerait plus, il se remit en chemin et revint par aventure à l'endroit d'où il était parti. Une fois arrivé là, il retrouva ses hommes très inquiets et soucieux à son sujet car ils avaient peur qu'il ait subi une mésaventure. Le lendemain, le roi fit appeler des maçons et des charpentiers de toutes les régions de son royaume et il fit construire là où Siméon se trouvait une abbaye de la Trinité. Il se chargea du logement et du ravitaillement des moines. Et quand il les eut ainsi installés le plus confortablement possible, il anoblit et agrandit cet endroit tout au long de sa vie. À sa mort, on ensevelit son corps de telle sorte qu'il aurait bien pu y rester deux cent ans sans se décomposer. On le déposa, armé de chausses de fer, sous une plaque d'or, de telle sorte que son heaume et son épée étaient placés à côté de lui et sa couronne à son chevet. On le recouvrit ensuite d'une superbe pierre tombale qu'aucun homme par la suite ne put déplacer avant la venue de Lancelot qui la souleva à grand peine.

 

Fol. 112 : Le roi Galaad le Fort fait construire de l'abbaye de la Trinité
Cycle du Lancelot-Graal : I. L’Histoire du Saint Graal

Fol. 111v : Galaad le Fort découvre Siméon dans une fosse embrasée

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Deux Galaad et deux Lancelot

L'aventure du premier roi appelé Galaad le Fort, dont l'action soulage les peines de son parent Siméon, est prémonitoire de la délivrance complète apportée par un héros vierge et chaste, appelé lui aussi Galaad, qui mettra fin aux enchantements de Bretagne, et notamment aux merveilles de la fontaine bouillante où se trouve la tête de son ancêtre Lancelot l'Ancien. C'est Lancelot du Lac, le père de Galaad, qui soulèvera la tombe de Galaad le Fort pour connaître ses origines et son nom. Si le retour des mêmes patronymes peut créer une certaine confusion, il permet d'insister sur la continuité de la lignée de Joseph, et souligne les efforts des auteurs pour constituer un ensemble cyclique cohérent où l'Histoire explique l'origine d'aventures qui seront résolues dans le Lancelot et la Quête.

Comment le roi Galaad découvrit la tombe de Siméon...

Un jour, le roi Galaad chevauchait dans une grande plaine après avoir chassé toute la journée. Il arriva qu'après avoir perdu tous ses chiens, il sortit de la forêt à l'heure où la nuit tombe, si bien qu'il pouvait à peine voir, ce qui lui fit perdre son chemin et traverser une lande. Après avoir erré jusques à minuit sans cesser de s'éloigner du lieu dont il pensait s'approcher, il vit en une large fosse un feu ardent comme si y on avait brûlé une grande quantité de bois. Pendant qu'il observait, pensif, ce phénomène, il entendit une voix qui lui dit :

– Ah, Galaad, si mes bons parents se trouvaient ici comme toi, je ne souffrirais pas une telle douleur ni une telle angoisse, comme c'est le cas maintenant.
Quand Galaad eut entendit la plainte de son parent, il en fut fort étonné. Pourtant il lui répondit :

– Toi qui me parles, dis-moi qui tu es et pourquoi tu es livré à un tel tourment, car j'aimerais le savoir.

– Je suis, répondit Siméon, un de tes parents dont tu as maintes fois entendu parler. C'est mon corps qui supporte cette douleur pour expier un péché que je commis jadis envers Pierre.

– J'ai bien entendu parler de ces événements.

– Alors au nom de Dieu et pour alléger mes souffrances, fais en sorte qu'en cet endroit où je suis, soit fondé un monastère où l'on prie pour moi Notre Seigneur, afin que par sa douce pitié il m'accorde sa miséricorde.

– Siméon, fit Galaad, j'ai bien souvent entendu parler de toi. Tu es mon proche parent. Mais dis-moi donc si tu ne seras jamais délivré de cette souffrance que tu subis ?

– Je te le dirai, répondit Siméon, si tu me promets de faire ce que je t'ai demandé.

– Je te le promets, répondit Galaad. Et je ferai encore plus, parce que tu es mon parent : j'y ferai établir une abbaye et j'ordonnerai de mon vivant d'y être enseveli à ma mort. Cela soulagera ton âme car je sais bien que l'abbaye prospérera beaucoup dès que j'y serai enterré.

Siméon l'en remercia vivement et dit alors à Galaad :

– Sache que je ne subirai pas cette peine pour l'éternité. En effet, dès que le Bon Chevalier appelé Galaad viendra me rendre visite, il éteindra le feu. Cela sera le signe qu'il n'aura pas été embrasé par l'échauffement de la luxure. En ce temps là finiront les aventures qui adviendront dans ce pays grâce à la venue du Saint Graal.

Fol. 111v : Galaad le Fort découvre Siméon dans une fosse embrasée
Cycle du Lancelot-Graal : I. L’Histoire du Saint Graal

Fol. 112 : Le roi Galaad le Fort fait construire de l'abbaye de la Trinité

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Comment le roi Galaad parla à Siméon et fit fonder une abbaye à la gloire de Dieu…

Siméon se tut alors et le roi Galaad ne put plus tirer une parole de lui. Voyant qu'il ne lui parlerait plus, il se remit en chemin et revint par aventure à l'endroit d'où il était parti. Une fois arrivé là, il retrouva ses hommes très inquiets et soucieux à son sujet car ils avaient peur qu'il ait subi une mésaventure. Le lendemain, le roi fit appeler des maçons et des charpentiers de toutes les régions de son royaume et il fit construire là où Siméon se trouvait une abbaye de la Trinité. Il se chargea du logement et du ravitaillement des moines. Et quand il les eut ainsi installés le plus confortablement possible, il anoblit et agrandit cet endroit tout au long de sa vie. À sa mort, on ensevelit son corps de telle sorte qu'il aurait bien pu y rester deux cent ans sans se décomposer. On le déposa, armé de chausses de fer, sous une plaque d'or, de telle sorte que son heaume et son épée étaient placés à côté de lui et sa couronne à son chevet. On le recouvrit ensuite d'une superbe pierre tombale qu'aucun homme par la suite ne put déplacer avant la venue de Lancelot qui la souleva à grand peine.

 

Fol. 112 : Le roi Galaad le Fort fait construire de l'abbaye de la Trinité
Fol. 115v

Fol. 115v

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Comment le duc de Bellegarde décapita le roi Lancelot au-dessus d'une fontaine dont l'eau devint par la suite bouillante…

C'était pendant le Carême, aux environs de Pâques, et on était entré dans le temps de la Passion. Le roi rendait alors visite à la dame chaque jour, et s'il ne venait pas, la dame allait à lui. Ils prenaient tellement de plaisir au service de Notre Seigneur que c'en était merveilleux. Au jour de l'Adoration de la Croix, le roi Lancelot entra dans la Forêt Périlleuse, pieds nus et en chemise avec deux compagnons. Il se rendait au service de Notre Seigneur, dans un ermitage situé dans la forêt. Quand il fut arrivé à l'ermitage, le duc le suivit en homme désireux de se venger car il avait ourdi une trahison. Quand le roi sortit après s'être confessé et avoir assisté à l'office du jour, il eut envie de boire et trouva une fontaine qui se tenait devant l'ermitage. Pendant qu'il se baissait pour boire, le duc vint par derrière lui, tira son épée et le frappa si fort qu'il fit voler sa tête dans la fontaine.

Quand il vit la tête dans la fontaine, le duc trouva que sa vengeance ne serait pas complète tant qu'il n'aurait pas réduit le corps en pièces pour le rendre méconnaissable. Il plongea alors les mains dans le bassin pour en retirer la tête. Il se produit alors un miracle : l'eau qui auparavant était froide comme la glace se mit à bouillir à gros bouillons. Elle était si chaude que le duc en eut les mains échaudées et brûlées avant même de pouvoir les retirer. Quand il vit cette merveille, il comprit qu'il avait agi à tort et que Dieu était en colère contre lui : il avait péché en tuant cet homme de bien. Le duc dit alors à ses compagnons : « Mettez ce corps en terre car si on savait que l'ai occis, rien ne pourrait me garder de la mort ». [...]

Comment le duc mourut dans l'effondrement de son château plongé dans les ténèbres…

[Le duc] rentra directement à son château, et en y arrivant, il y trouva une obscurité immense et extraordinaire qui s'était répandue partout à l'intérieur. Au moment de franchir la porte, une partie du château s'écroula sur lui et il en fut complètement écrasé, de même que ceux qui l'avaient secondé dans la réalisation de son forfait.

Ainsi Notre Seigneur vengea le roi Lancelot du duc qui l'avait occis par félonie. Et la fontaine bouillit jusqu'à l'arrivée de Galaad le fils du Lancelot du Lac. Il advint en outre un autre miracle qui ne fut pas moins sublime. Quand on eut fait un tombeau pour le roi, il se produisit un fait extraordinaire : à l'endroit où il avait été tué jaillirent des gouttes de sang qui avaient un tel pouvoir que tout chevalier qui en enduisait ses plaies guérissait immédiatement.

Fol. 115v
Cycle du Lancelot-Graal : I. L’Histoire du Saint Graal

Fol. 116 : Assassinat de Lancelot l'Ancien – Son tombeau

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Des manières d'aimer au Moyen Âge

Alors que les intrigues courtoises sont quasiment absentes de l'Histoire du Saint Graal, cet épisode met en scène un amour qui contraste avec les romans suivants marqués par des unions adultères. Ici, le roi Lancelot l'Ancien et sa cousine partagent un amour chaste : leur estime réciproque, amicitia, est fondée sur leur dévotion religieuse et leur amour de dieu, caritas. Pourtant un tel commerce semble ambigu aux yeux des calomniateurs qui persuadent à tort le duc du caractère illégitime et luxurieux de cette relation – qui relèverait d'eros. Non seulement les soupçons du mari jaloux sont infondés, mais il se venge de façon déloyale, en attaquant son adversaire par derrière, alors que le roi est désarmé et qu'il ne s'y attend absolument pas. Cet épisode singulier joue un rôle de transition avec le Roman de Lancelot dont l'ancêtre éponyme apparaît comme le contre-modèle tragique mais sublimé.

Fol. 116 : Assassinat de Lancelot l'Ancien – Son tombeau
Fol. 115v

Fol. 115v

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Comment le duc de Bellegarde décapita le roi Lancelot au-dessus d'une fontaine dont l'eau devint par la suite bouillante…

C'était pendant le Carême, aux environs de Pâques, et on était entré dans le temps de la Passion. Le roi rendait alors visite à la dame chaque jour, et s'il ne venait pas, la dame allait à lui. Ils prenaient tellement de plaisir au service de Notre Seigneur que c'en était merveilleux. Au jour de l'Adoration de la Croix, le roi Lancelot entra dans la Forêt Périlleuse, pieds nus et en chemise avec deux compagnons. Il se rendait au service de Notre Seigneur, dans un ermitage situé dans la forêt. Quand il fut arrivé à l'ermitage, le duc le suivit en homme désireux de se venger car il avait ourdi une trahison. Quand le roi sortit après s'être confessé et avoir assisté à l'office du jour, il eut envie de boire et trouva une fontaine qui se tenait devant l'ermitage. Pendant qu'il se baissait pour boire, le duc vint par derrière lui, tira son épée et le frappa si fort qu'il fit voler sa tête dans la fontaine.

Quand il vit la tête dans la fontaine, le duc trouva que sa vengeance ne serait pas complète tant qu'il n'aurait pas réduit le corps en pièces pour le rendre méconnaissable. Il plongea alors les mains dans le bassin pour en retirer la tête. Il se produit alors un miracle : l'eau qui auparavant était froide comme la glace se mit à bouillir à gros bouillons. Elle était si chaude que le duc en eut les mains échaudées et brûlées avant même de pouvoir les retirer. Quand il vit cette merveille, il comprit qu'il avait agi à tort et que Dieu était en colère contre lui : il avait péché en tuant cet homme de bien. Le duc dit alors à ses compagnons : « Mettez ce corps en terre car si on savait que l'ai occis, rien ne pourrait me garder de la mort ». [...]

Comment le duc mourut dans l'effondrement de son château plongé dans les ténèbres…

[Le duc] rentra directement à son château, et en y arrivant, il y trouva une obscurité immense et extraordinaire qui s'était répandue partout à l'intérieur. Au moment de franchir la porte, une partie du château s'écroula sur lui et il en fut complètement écrasé, de même que ceux qui l'avaient secondé dans la réalisation de son forfait.

Ainsi Notre Seigneur vengea le roi Lancelot du duc qui l'avait occis par félonie. Et la fontaine bouillit jusqu'à l'arrivée de Galaad le fils du Lancelot du Lac. Il advint en outre un autre miracle qui ne fut pas moins sublime. Quand on eut fait un tombeau pour le roi, il se produisit un fait extraordinaire : à l'endroit où il avait été tué jaillirent des gouttes de sang qui avaient un tel pouvoir que tout chevalier qui en enduisait ses plaies guérissait immédiatement.

Fol. 115v
Cycle du Lancelot-Graal : I. L’Histoire du Saint Graal

Fol. 116 : Assassinat de Lancelot l'Ancien – Son tombeau

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Des manières d'aimer au Moyen Âge

Alors que les intrigues courtoises sont quasiment absentes de l'Histoire du Saint Graal, cet épisode met en scène un amour qui contraste avec les romans suivants marqués par des unions adultères. Ici, le roi Lancelot l'Ancien et sa cousine partagent un amour chaste : leur estime réciproque, amicitia, est fondée sur leur dévotion religieuse et leur amour de dieu, caritas. Pourtant un tel commerce semble ambigu aux yeux des calomniateurs qui persuadent à tort le duc du caractère illégitime et luxurieux de cette relation – qui relèverait d'eros. Non seulement les soupçons du mari jaloux sont infondés, mais il se venge de façon déloyale, en attaquant son adversaire par derrière, alors que le roi est désarmé et qu'il ne s'y attend absolument pas. Cet épisode singulier joue un rôle de transition avec le Roman de Lancelot dont l'ancêtre éponyme apparaît comme le contre-modèle tragique mais sublimé.

Fol. 116 : Assassinat de Lancelot l'Ancien – Son tombeau
Cycle du Lancelot-Graal : I. L’Histoire du Saint Graal

Fol. 116v : Deux lions miraculeusement guéris auprès du tombeau de Lancelot l'Ancien vont s'en faire les gardiens

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Comment les deux lions qui étaient blessés guérirent auprès de la tombe du roi Lancelot et la gardèrent jusqu'à ce qu'y vint Lancelot du Lac...

Un jour il advint qu'un lion passa devant la tombe en chassant un cerf qu'il atteignit là devant la tombe. Il le  prit et le tua, mais alors qu'il voulait le manger arriva d'un autre côté un autre lion affamé qui voulut lui enlever sa proie. Or celui qui était arrivé avant lui refusa d'abandonner sa proie et la défendit de toutes ses forces. Ainsi leur combat commença et ils luttèrent tant avec leurs griffes et leurs crocs qu'ils eurent chacun plus de dix blessures. Après s'être ainsi infligé réciproquement autant de plaies et de blessures qu'ils pouvaient, l'un d'entre eux se dirigea vers la tombe d'où coulaient encore des gouttes de sang. Arrivé à la tombe, il se mit à lécher soigneusement le sang puis lécha ses plaies car il était en bien mauvais état. Il arriva alors une belle aventure car il se retrouva immédiatement aussi sain qu'auparavant. Quand l'autre lion vit cela, il fit comme son compagnon. Les deux lions firent alors si bien la paix qu'il n'y eut plus aucune hostilité entre eux mais ils se couchèrent l'un au sommet de la tombe et l'autre à ses pieds. Ils se firent les gardiens de la tombe, comme s'ils craignaient qu'on la déplace, et maintes fois il arriva que quand des chevaliers y venaient pour guérir de leurs blessures, ils ne pouvaient l'approcher à cause des lions qui la défendaient. Et quand quelqu'un voulait y accéder de force, les lions le tuaient. Aucun jour ne se passa plus sans q'un des deux lions garde la tombe. Car quand ils avaient faim, l'un partait chasser et l'autre restait pour garder la tombe. Et cette merveille dura jusqu'à la venue de Lancelot du Lac qui les tua tous les deux. Mais le conte cesse maintenant de parler de tous les lignages issus de Chélidoine pour revenir à l'Histoire de Merlin qu'il faut ajouter à l'Histoire du saint graal parce que cette branche lui appartient. Et messire Robert commence de cette manière, comme vous pourrez l'entendre si vous avez quelqu'un pour vous la raconter. Que sainte Marie vous garde. Amen.

Fol. 116v : Deux lions miraculeusement guéris auprès du tombeau de Lancelot l'Ancien vont s'en faire les gardiens
Le cycle du Graal : II. L’Histoire de Merlin

Fol. 117 : Frontispice de l'Histoire de Merlin – la descente du Christ aux enfers

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Le début du Merlin repart de l'histoire christique pour mettre en perspective la naissance de Merlin et celle du roi Arthur. Ainsi est assurée la transition entre les deux romans, délicate du point de vue narratif car elle correspond un déplacement dans l'espace et le temps. Les descendants de Nascien finissent à la tête du royaume de Gaule, ayant laissé le gouvernement de la Grande Bretagne à d'autres branches de leur famille. Le retour à la perspective chrétienne permet de réaffirmer la cohérence historique et idéologique du cycle romanesque, à la limite du profane et du sacré, du fictif et de l'historique.

Comment Notre Seigneur après sa Sainte Passion alla délivrer les enfers, ce qui suscita la grande colère des démons et des princes infernaux.
Comment Merlin le grand prophète fut engendré et naquit. Comment après la mort du roi Uterpandragon, le roi Arthur son fils fut miraculeusement sacré roi de Grande Bretagne, qu'on appelle maintenant Angleterre, et de la valeur de cet homme.
Et comment Merlin fit créer la Table Ronde. Ici commence la seconde branche du premier livre de messire Lancelot du Lac…

Les démons conçurent une grande colère quand Notre Seigneur eut été en enfer et en eut tiré à sa guise Adam et Eve et beaucoup d'autres. Quand les démons virent cela, ils en furent fort émerveillés. Ils s'assemblèrent alors et se demandèrent : « Qui est cet homme qui a détruit nos forteresses ? Nous ne pouvons protéger contre lui aucune de nos possessions : il en dispose comme il lui plait ! Nous croyions qu'aucun homme ne pouvait naître d'une femme sans nous appartenir, pourtant celui-ci cause notre destruction car il a été conçu sans jouissance charnelle, contrairement à tous les autres ». Un des démons répondit alors : « Nous avons été terrassés par ce que nous croyions être le plus avantageux pour nous ! Rappelez vous les discours des prophètes : ils annonçaient que le fils de Dieu viendrait sur terre pour sauver les pécheurs : Eve, Adam, et encore ceux qui lui plairaient. Nous nous emparions de ceux qui disaient cela, nous les tourmentions plus que les autres, et il semblait que nos tourments ne leur causaient aucune souffrance : au contraire ils réconfortaient les autres pécheurs en disant que bientôt descendrait sur terre celui qui les délivrerait, et à force de l'annoncer, il vint, et il a pris nos possessions auxquelles personne ne pouvait prétendre. C'est parce qu'il les fait laver dans l'eau en son nom, au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit. À leur première faute, nous les prenions, partout où nous le voulions. Mais nous les avons perdus par cette ablution parce que nous n'avons aucun pouvoir sur eux avant qu'eux-mêmes viennent à nous par leurs œuvres. Ainsi il a affaibli notre pouvoir et plus encore, il a laissé des ministres sur terre pour sauver même ceux qui auront accompli nos œuvres, s'ils veulent se repentir, rejeter nos œuvres et faire ce que les ministres leur commanderont. De cette manière, nous les avons perdus. »

Fol. 117 : Frontispice de l'Histoire de Merlin – la descente du Christ aux enfers
Cycle du Lancelot-Graal : I. L’Histoire du Saint Graal

Fol. 116v : Deux lions miraculeusement guéris auprès du tombeau de Lancelot l'Ancien vont s'en faire les gardiens

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Comment les deux lions qui étaient blessés guérirent auprès de la tombe du roi Lancelot et la gardèrent jusqu'à ce qu'y vint Lancelot du Lac...

Un jour il advint qu'un lion passa devant la tombe en chassant un cerf qu'il atteignit là devant la tombe. Il le  prit et le tua, mais alors qu'il voulait le manger arriva d'un autre côté un autre lion affamé qui voulut lui enlever sa proie. Or celui qui était arrivé avant lui refusa d'abandonner sa proie et la défendit de toutes ses forces. Ainsi leur combat commença et ils luttèrent tant avec leurs griffes et leurs crocs qu'ils eurent chacun plus de dix blessures. Après s'être ainsi infligé réciproquement autant de plaies et de blessures qu'ils pouvaient, l'un d'entre eux se dirigea vers la tombe d'où coulaient encore des gouttes de sang. Arrivé à la tombe, il se mit à lécher soigneusement le sang puis lécha ses plaies car il était en bien mauvais état. Il arriva alors une belle aventure car il se retrouva immédiatement aussi sain qu'auparavant. Quand l'autre lion vit cela, il fit comme son compagnon. Les deux lions firent alors si bien la paix qu'il n'y eut plus aucune hostilité entre eux mais ils se couchèrent l'un au sommet de la tombe et l'autre à ses pieds. Ils se firent les gardiens de la tombe, comme s'ils craignaient qu'on la déplace, et maintes fois il arriva que quand des chevaliers y venaient pour guérir de leurs blessures, ils ne pouvaient l'approcher à cause des lions qui la défendaient. Et quand quelqu'un voulait y accéder de force, les lions le tuaient. Aucun jour ne se passa plus sans q'un des deux lions garde la tombe. Car quand ils avaient faim, l'un partait chasser et l'autre restait pour garder la tombe. Et cette merveille dura jusqu'à la venue de Lancelot du Lac qui les tua tous les deux. Mais le conte cesse maintenant de parler de tous les lignages issus de Chélidoine pour revenir à l'Histoire de Merlin qu'il faut ajouter à l'Histoire du saint graal parce que cette branche lui appartient. Et messire Robert commence de cette manière, comme vous pourrez l'entendre si vous avez quelqu'un pour vous la raconter. Que sainte Marie vous garde. Amen.

Fol. 116v : Deux lions miraculeusement guéris auprès du tombeau de Lancelot l'Ancien vont s'en faire les gardiens
Le cycle du Graal : II. L’Histoire de Merlin

Fol. 117 : Frontispice de l'Histoire de Merlin – la descente du Christ aux enfers

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Le début du Merlin repart de l'histoire christique pour mettre en perspective la naissance de Merlin et celle du roi Arthur. Ainsi est assurée la transition entre les deux romans, délicate du point de vue narratif car elle correspond un déplacement dans l'espace et le temps. Les descendants de Nascien finissent à la tête du royaume de Gaule, ayant laissé le gouvernement de la Grande Bretagne à d'autres branches de leur famille. Le retour à la perspective chrétienne permet de réaffirmer la cohérence historique et idéologique du cycle romanesque, à la limite du profane et du sacré, du fictif et de l'historique.

Comment Notre Seigneur après sa Sainte Passion alla délivrer les enfers, ce qui suscita la grande colère des démons et des princes infernaux.
Comment Merlin le grand prophète fut engendré et naquit. Comment après la mort du roi Uterpandragon, le roi Arthur son fils fut miraculeusement sacré roi de Grande Bretagne, qu'on appelle maintenant Angleterre, et de la valeur de cet homme.
Et comment Merlin fit créer la Table Ronde. Ici commence la seconde branche du premier livre de messire Lancelot du Lac…

Les démons conçurent une grande colère quand Notre Seigneur eut été en enfer et en eut tiré à sa guise Adam et Eve et beaucoup d'autres. Quand les démons virent cela, ils en furent fort émerveillés. Ils s'assemblèrent alors et se demandèrent : « Qui est cet homme qui a détruit nos forteresses ? Nous ne pouvons protéger contre lui aucune de nos possessions : il en dispose comme il lui plait ! Nous croyions qu'aucun homme ne pouvait naître d'une femme sans nous appartenir, pourtant celui-ci cause notre destruction car il a été conçu sans jouissance charnelle, contrairement à tous les autres ». Un des démons répondit alors : « Nous avons été terrassés par ce que nous croyions être le plus avantageux pour nous ! Rappelez vous les discours des prophètes : ils annonçaient que le fils de Dieu viendrait sur terre pour sauver les pécheurs : Eve, Adam, et encore ceux qui lui plairaient. Nous nous emparions de ceux qui disaient cela, nous les tourmentions plus que les autres, et il semblait que nos tourments ne leur causaient aucune souffrance : au contraire ils réconfortaient les autres pécheurs en disant que bientôt descendrait sur terre celui qui les délivrerait, et à force de l'annoncer, il vint, et il a pris nos possessions auxquelles personne ne pouvait prétendre. C'est parce qu'il les fait laver dans l'eau en son nom, au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit. À leur première faute, nous les prenions, partout où nous le voulions. Mais nous les avons perdus par cette ablution parce que nous n'avons aucun pouvoir sur eux avant qu'eux-mêmes viennent à nous par leurs œuvres. Ainsi il a affaibli notre pouvoir et plus encore, il a laissé des ministres sur terre pour sauver même ceux qui auront accompli nos œuvres, s'ils veulent se repentir, rejeter nos œuvres et faire ce que les ministres leur commanderont. De cette manière, nous les avons perdus. »

Fol. 117 : Frontispice de l'Histoire de Merlin – la descente du Christ aux enfers
Français 113
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L'Histoire du Saint Graal fait le lien entre le Nouveau Testament et le cycle du Lancelot-Graal dont elle constitue le prologue. Le texte raconte les péripéties du Graal, depuis la Passion jusqu'à son arrivée en Grande-Bretagne. Pour avoir mis au tombeau la dépouille du Christ, Joseph d'Arimathie a été emprisonné par le grand prêtre Caïphe. Le Christ ressuscité lui remet le Graal pour le soutenir : c'est la coupe dans laquelle Jésus a bu lors de la Cène et qui a recueilli le sang de la Crucifixion. Le Graal va combler la faim et pallier les souffrances de Joseph durant ses quarante-deux ans de captivité. Libéré par Vespasien, qui a été guéri de la lèpre par le voile de Véronique et s'est ensuite converti, Joseph quitte Jérusalem. Avec quelques compagnons, il fonde une communauté qui se réunit tous les jours autour du service du Graal. À cette table, les fidèles laissent un siège libre destiné au futur défenseur du Graal. Avant de mourir, Joseph confie le vase sacré à son beau-frère Bron, le riche Roi Pêcheur, qui l'emporte en Occident avec la mission de garder le Graal et de le léguer à celui qui sera chargé d'achever son histoire terrestre.