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La Chine, empire du trait

Estampage d'une gravure sur pierre représentant la réunion au Pavillon des orchidées
Estampage d'une gravure sur pierre représentant la réunion au Pavillon des orchidées

© Bibliothèque nationale de France

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Définir la Chine comme un empire du trait, c'est souligner le rôle fondamental et unificateur de la technique du tracé au pinceau et à l'encore et son emprise sur le domaine de l'art

La Chine possède la plus longue tradition continue d’un mode d’écriture inchangé de la haute antiquité à nos jours. Pour apprécier la nature de ce phénomène, il faut considérer deux facteurs : l’étendue géographique du territoire dans lequel ce système est utilisé et la durée, plus de trois millénaires et demi, de son usage. Malgré une quantité considérable de dialectes au sein même de l’ethnie des Han, l’écriture chinoise a su jouer un rôle fédérateur et s’imposer à un pays immense. Surmontant ces handicaps, la Chine a préservé une écriture qui a connu peu de ruptures graphiques au cours des deux derniers millénaires.

Fuxi et les Huit Trigrammes
Fuxi et les Huit Trigrammes |

© Bibliothèque nationale de France

Le rôle unificateur de l'écriture

Le chinois est une écriture sans alphabet qui ne véhicule que très partiellement les éléments phonétiques. Les prononciations ont beaucoup varié selon les époques et les lieux mais les graphies, indépendantes de ces facteurs, n’en ont pas été affectées. La syntaxe du chinois classique fait toujours référence au corpus scripturaire défini par le nom de Classiques, constitué vers le début de notre ère ; celui-ci ne reflète plus, dès cette haute époque, les spécificités locales ou les évolutions particulières. Il en résulte un corpus écrit coupé de l’oralité, dont la syntaxe figée a été adoptée par tous. Ce corpus classique a servi de tronc commun d’écriture à des populations éloignées dans le temps et dans l’espace. La compréhension mutuelle dépendait de l’existence de ce système graphique universel, ce qui explique la très grande stabilité des caractères chinois et la longévité extraordinaire du corpus littéraire commun des Classiques qui a donné une grande unité culturelle au pays. La civilisation chinoise repose sur la puissance de son écriture comme le reflète le mot civilisation, wenhua, le terme wen signifiant d’abord les lignes sinueuses qui composent un caractère.

« L’unique Trait de Pinceau est l’origine de toutes choses, la racine de tous les phénomènes », écrivait le moine Shitao (1641-c.1720).

Tsang-Kié, inventeur des caractères chinois
Tsang-Kié, inventeur des caractères chinois |

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Écriture et pouvoir

L’importance de l’écriture, en Chine, est telle que les hommes d’État s’employèrent à maintes reprises à la contrôler ; l’immixtion politique porta sur le contenu et sur la forme. Les caractères doués intrinsèquement, admet-on généralement, de force, d’énergie et de puissance, indépendamment de l’accès au savoir qu’ils procuraient, exercèrent une fascination durable. Ces qualités firent de ces graphies des instruments de pouvoir convoités par les empereurs qui souhaitaient avoir prise non seulement sur les hommes mais aussi sur les mots.

Anthologie de la prose classique
Anthologie de la prose classique |

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La standardisation de l'écriture

L’ingérence de l’État dans l’écriture et l’imposition de styles calligraphiques ou de graphies spéciales est un phénomène récurrent dans l’histoire chinoise. Parmi les premières mesures adoptées par les empereurs, de nombreuses concernèrent l’écriture ou la constitution de corpus textuels. Un cas manifeste d’asservissement des caractères à la politique est fourni par Qin Shihuangdi, le Premier Empereur de l’Empire chinois. Sur les conseils de son ministre Li Si, il décréta la standardisation non seulement des unités de poids et de mesure, mais encore de l’écriture, en 227 avant notre ère. Il imposa l’unification des graphies en petite sigillaire, xiaozhuan, l’annulation des variantes régionales et exerça aussi un contrôle sur les textes en établissant des critères discriminatoires entre les savoirs, certains réservés aux seuls spécialistes, d’autres, comme les textes philosophiques, voués à la destruction. Très rapidement, les graphies antérieures ne furent plus compréhensibles, ni, par conséquent, le contenu des textes copiés avant la réforme.

Dictionnaire des graphies sigillaires
Dictionnaire des graphies sigillaires |

Bibliothèque nationale de France

Chunqiu Guliang zhuan
Chunqiu Guliang zhuan |

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Le remplacement de graphie traditionnelles

L’impératrice Wu Zetian intervint également sur la graphie à la fin du 7e siècle en promulguant par décret le remplacement de graphies traditionnelles de mots usuels par de nouvelles graphies. Comme en témoignent les manuscrits de Dunhuang, l’imposition par volonté politique de ces caractères, qui ne dura qu’une décennie, fut néanmoins très respectée.

Sûtra du lotus
Sûtra du lotus |

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Les caractères tabous

Une autre prérogative impériale fut l’institution d’un tabou sur le nom personnel des empereurs. Ainsi, le prénom de Tang Taizong qui régna dans le deuxième quart du 7e siècle est Shimin, composé de deux mots usuels qui signifient individuellement « monde » ou « génération » et « peuple ». L’usage de ces mots fut réglementé dans les écrits lorsqu’ils se présentaient en combinaison, moins strictement lorsqu’ils étaient isolés : différentes solutions pouvaient se présenter comme substituer un synonyme, ou atrophier le caractère par l’omission d’un trait. Ces contraintes imposées depuis le sommet de l’État furent généralement respectées car ne pas s’y conformer équivalait à un acte d’insoumission passible de sanctions. Ces singularités graphiques servent aujourd’hui d’utiles repères de datation.
Le même empereur Tang Taizong imprima sa marque sur l’esthétique calligraphique, en imposant comme standard, aux élites de l’Empire, le style du calligraphe Wang Xizhi.

Le caractère tabou dans l’édition
Le caractère tabou dans l’édition |

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Préface des saints enseignements
Préface des saints enseignements |

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Les caractères latins

Le dernier exemple de cette ingérence étatique se situe il y a peu, au début de la deuxième moitié du 20e siècle, quand l’État chinois a voulu imposer l’écriture horizontale à la place des traditionnelles colonnes, afin de préparer la population à une mesure encore plus radicale : l’abandon pur et simple des caractères chinois. Cette politique, non aboutie, visait à les remplacer par leur transcription phonétique en caractères latins.

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