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L’acte de copie

Rituel de réception des défenses de bodhisattva pour les moines
Rituel de réception des défenses de bodhisattva pour les moines

Bibliothèque nationale de France

Le format de l'image est incompatible
L'écriture ne sert pas seulement à véhiculer un sens. Elle est aussi votive, ou vecteur de transmission d'une tradition.

Acte de ferveur religieuse

Parfois, seul l’acte d’écrire importe lorsque la calligraphie devient une offrande, comme dans les copies votives, même si, bien évidemment, le choix du texte n’est pas un élément négligeable. Le texte doit être recopié avec la plus grande fidélité et le plus grand soin pour répondre à différents besoins : servir d’offrandes à des parents défunts, exaucer des vœux particuliers comme, par exemple, implorer la paix pour le pays, pour le souverain ou pour tous les êtres vivants. Copier est l’un des moyens les plus efficaces d’accumuler les mérites sur soi-même ou sur une autre personne. Certains exemplaires sont destinés à l’enseignement et aux bibliothèques monastiques. D’autres se justifient comme acte de dévotion du fidèle dans le cadre de sa pratique religieuse personnelle. Les transcriptions peuvent émaner de personnes privées, de copistes professionnels, ou même d’empereurs. L’imprimerie, qui a pourtant beaucoup profité à la diffusion du bouddhisme, n’a jamais pu abolir la pratique de la copie individuelle.

Démonstration de la Vérité
Démonstration de la Vérité |

Bibliothèque nationale de France

Imitation d'archétypes

La notion d’imitation est centrale pour la calligraphie. Si les copies bouddhiques témoignent d’une ferveur religieuse, les œuvres laïques sont empreintes d’une ferveur calligraphique. La duplication des traces laissées par les maîtres est tout autant un acte de dévotion qu’un acte artistique.
L’art du trait se fonde sur sa maîtrise, qui doit passer par un long apprentissage des règles à travers la pratique régulière. Elle s’acquiert par l’imitation d’archétypes. Ces œuvres devenues des standards ont été recopiées à satiété pour assouvir un besoin esthétique, indépendamment du sens. La copie est alors un moyen de transmission non de l’écrit mais de l’écriture pour elle-même. D’une manière générale, la duplication fidèle d’un texte est motivée par son contenu et celle d’une image par sa beauté : dans la calligraphie chinoise, le texte se transforme souvent en une image à reproduire.

Autographes de la collection impériale
Autographes de la collection impériale |

© Bibliothèque nationale de France

Copie au pinceau ou estampage

Il existe deux techniques de diffusion des modèles : celui de la copie fidèle au pinceau et celui de l’estampage. Dans la première catégorie, un brillant exemple est fourni par une copie datée de 641 de l’Essai en mille caractères, d’après Zhi Yong.

Essai en mille caractères
Essai en mille caractères |

© Bibliothèque nationale de France

Le procédé de l’estampage a tout particulièrement servi la production de modèles d’écriture ; la gravure sur pierre permettait de dupliquer les autographes avec une grande précision et à de multiples exemplaires, comme nous le montrent deux exemples d’estampages datant de la dynastie des Tang. L’un est la réplique d’une œuvre due au pinceau de l’empereur Tang Taizong, antérieure à l’an 653, et par conséquent doyen de tous les estampages connus.

L’inscription de la source chaude
L’inscription de la source chaude |

© Bibliothèque nationale de France

L’autre, gravé en 824, préserve un des plus anciens exemples de l’écriture de Liu Gongquan (778-865), l’un des grands noms de la calligraphie des Tang. Il s’agit d’une œuvre destinée dès sa conception à servir de modèle calligraphique.

Sûtra du diamant
Sûtra du diamant |

Bibliothèque nationale de France

Tous ces modèles qui trahissent le goût de la belle calligraphie furent rassemblés dans le trésor des monastères, peut-être à l’occasion de donations de fidèles. La pièce de Liu Gongquan montre que les propagateurs de la foi bouddhique n’en étaient pas moins sensibles à l’esthétique de l’écriture. Ce modèle du bien écrire, transmis par le Sûtra du diamant, un texte important du Canon bouddhique, pourrait avoir servi de manuel à des générations de bonzes apprentis calligraphes.

La transmission entre les générations

Aussi loin que l’archéologie puisse nous faire remonter dans la connaissance de l’écriture chinoise, celle-ci apparaît comme un moyen de communication entre les morts et les vivants. Les plus anciens témoignages connus, ceux d’inscriptions sur os et plastrons de tortue (jiaguwen), sont la consignation des questions posées par les souverains et des réponses des esprits ancestraux, puis de leur interprétation par des devins. Les fissures et craquelures provoquées par le chauffage des pièces sont considérées comme les traces écrites d’un dialogue avec les défunts, divinisés ou considérés comme des esprits.

Inscriptions oraculaires
Inscriptions oraculaires |

Bibliothèque nationale de France

Lorsque les Chinois évoquent l’origine de leur écriture, ils en retiennent notamment la nature magique. Avant la découverte des moyens modernes d’enregistrement magnétique, photographique ou autre, celle-ci conservait seule la trace de la vie intellectuelle des disparus, alors que les objets ne sont que des témoins muets. Les générations passées et présentes communiquaient par ce simple contact visuel. L’écrit permettait de léguer un savoir mais aussi d’immortaliser l’empreinte physique d’un geste éphémère. Chargée de l’énergie vitale du calligraphe, sa trace vivante traversait les siècles. Cela explique la vénération des Chinois envers des œuvres calligraphiques, entourées d’un respect quasi religieux.

Recueil de frottis d’inscriptions
Recueil de frottis d’inscriptions |

 Bibliothèque nationale de France

« Les caractères, dit l'empereur Kangsi, sont le plus précieux trésor de l’univers. Leur fonction majeure est de transmettre les règles de l’esprit que les anciens sages ont voulu faire passer à la postérité. Leur fonction mineure est d’enregistrer mille et un détails difficiles à retenir. Ils permettent aux anciens et aux modernes, quoique séparés par des milliers d’années, de converser ensemble face à face ; ils permettent aux lettrés du monde entier, quoique séparés par des milliers de lieues, d’exprimer leurs intimes pensées main dans la main ; ils permettent aux hommes d’acquérir mérite et renommée ; ils aident aux affaires humaines ; ils ouvrent l’esprit ; ils servent de référence commune à tous les hommes ; disponibles à tout moment, immédiatement intelligibles, comment ne pas considérer les caractères comme le plus précieux trésor de l’univers ? ».

De l’écriture, citations d’hier et d’aujourd’hui
De l’écriture, citations d’hier et d’aujourd’hui |

© Bibliothèque nationale de France

L’émerveillement de l’empereur Kangxi face à ce trésor graphique permet de souligner certaines caractéristiques fondamentales de la culture chinoise : d’une part, la stabilité de l’écriture sur une très longue période et dans un territoire immense, et, d’autre part, une certaine pétrification, pendant toute la durée de l’Empire, d’un langage littéraire ; toutes deux permirent à des lettrés pratiquant des langues vernaculaires très différentes et à des générations très éloignées, mais imprégnées des mêmes textes antiques, de se comprendre.

L'efficacité magique

Les écrits merveilleux de la grotte mystérieuse du Très haut pour l’extinction et la transmission des cinq épurations pour la résurrection des corps
Les écrits merveilleux de la grotte mystérieuse du Très haut pour l’extinction et la transmission des cinq épurations pour la résurrection des corps |

Bibliothèque nationale de France

Les jeux calligraphiques et caractères talismaniques montrent comment des formes transmettent un sens sacré ou apotropaïque, s’ajoutant à la signification des mots eux-mêmes. Le caractère n’est plus copié pour son contenu religieux, non plus que pour sa beauté ou parce qu’il transcrit des sentiments ; les combinaisons de traits dévoilent leur puissance et leur efficacité magique ; dans la sphère bouddhique, elles permettent d’acquérir des mérites, de racheter des fautes, d’échapper aux affres de l’enfer. Dans l’écriture talismanique, elles permettent d’agir sur les esprits bénéfiques et maléfiques ; leur pouvoir intrinsèque en fait un vecteur de communication avec les forces surnaturelles, voire de domination.

Amulette taoïste contre les démons
Amulette taoïste contre les démons |

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Talisman des Cinq Pics
Talisman des Cinq Pics |

© Bibliothèque nationale de France

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