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Focus

Confucianisme et calligraphie

Planches des Sept Classiques
Planches des Sept Classiques

Bibliothèque nationale de France

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Dans la pensée confucianiste, écrire constitue une manière de structurer le monde et de civiliser les hommes.

La maîtrise de l’écrit était fondamentale pour la pérennité de l’état bureaucratique chinois constitué bien avant le début de notre ère, aussi la compétence calligraphique devint-elle un critère déterminant dans la carrière des fonctionnaires.

L’apprentissage est transmission d’un héritage de sagesse

L’apprentissage nécessitait une formation rigoureuse et contraignante si bien que la virtuosité était synonyme d’un haut niveau de culture personnelle. La manière de tenir le pinceau, l’ordre inaltérable des traits ainsi que leur équilibre obéissaient à des conventions précises dont le lettré ne pouvait se libérer qu’après les avoir complètement maîtrisées. L’éducation était dès l’enfance d’ordre calligraphique en même temps qu’elle portait sur des termes et des notions de base comme on le voit dans les exemples de l’Essai en mille caractères. Pour les lettrés, le caractère est le moyen d’ordonner la société, de la structurer, d’imposer des valeurs, de hiérarchiser les hommes et les comportements. La transmission des textes est assimilable à un acte de piété filiale envers les ancêtres qui ont légué un héritage de sagesse.

Explication triennale de la Lecture du rituel du registre pourpre
Explication triennale de la Lecture du rituel du registre pourpre |

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Les Entretiens de Confucius
Les Entretiens de Confucius |

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Des graphies claires pour un savoir accessible à tous

D’une manière générale, l’État valorise les graphies claires, intelligibles, aux structures et aux espacements réguliers. L’administration a créé ses styles calligraphiques dont le lishu, dit style des scribes ou de chancellerie, est le meilleur exemple. Le mode d’expression favori est aussi la régulière kaishu, notamment celle très carrée et un peu lourde de Yan Zhenqing (709-785), qui fut par ailleurs montré en exemple comme serviteur modèle de l’État. Les textes imprimés ont hérité de ce souci de la belle écriture qui permet de rendre le savoir accessible à tous. On se souvient des critiques virulentes des confucéens contre l’usage du style cursif. Zhao Yi, vers l’an 200, y voyait une forme de mépris envers les Classiques et une recherche de la vulgarité, affirmant que cela « ne qualifiait pas un fonctionnaire à la cour impériale ; les docteurs en littérature ne l’utilisaient pas aux examens ; personne ne tendait à la perfection dans les quatre branches de l’enseignement confucéen en l’employant. » (Vandier-Nicolas 1959, p. 418.) Cette exclusion fut durable, et la cursive, quoique souvent utilisée par les artistes, fut généralement bannie pour la transcription des textes canoniques.
Dans l’esthétique confucéenne, les valeurs de mesure, d’harmonie et de clarté sont mises en avant. Par souci de transmettre une version de référence des Classiques, exempte de corruptions graphiques, l’État les fit graver sur pierre à plusieurs reprises au cours de l’histoire, à partir de 175 de notre ère, afin que nul n’en ignore la version orthodoxe.

Livre des annales
Livre des annales |

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Le caractère civilisateur

Les confucéens ont foi dans le wen, ces veinures de la pierre ou du bois qui désignèrent aussi les caractères d’écriture. Ceux-ci peuvent transformer l’homme et le faire accéder à une sagesse supérieure. Écrire devient un acte civilisateur tout autant qu’un moyen de perfectionnement de soi-même. La vertu agissante du wen a donné le mot wenhua, civilisation : le caractère permet d’accéder à un univers qui véhicule les valeurs les plus nobles.
Pour les confucéens, l’acte d’écrire se justifie comme acte de transmission de la sagesse et de la connaissance accumulée par les Anciens, mais aussi comme un devoir de mémoire envers les générations futures. L’écriture joue un rôle politique dans un État bureaucratique et centralisé aux mains d’une classe de lettrés et tout acte impérial est noté avec minutie pour la postérité.

Anthologie littéraire
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Le style c’est l’homme

Chez les confucéens plus encore que dans d’autres groupes, se vérifie l’idée que « le style, c’est l’homme ». Aussi les fonctionnaires se doivent-ils de privilégier l’honnêteté et la droiture, et choisissent-ils des styles solides comme celui de Yan Zhenqing.
Ouyang Xiu (1007-1072), un autre grand serviteur de l’État, rappelait qu’il est possible de juger un homme par son écriture, qui dévoile sa nature vile ou noble. À la beauté picturale d’une calligraphie s’ajoute le reflet des vertus morales. Le troisième des quatre critères de sélection aux examens repose sur la manière dont le candidat trace ses traits et révèle ainsi son tempérament et sa personnalité. L’écriture du futur agent de l’État doit être régulière et agréable (cf. Xin Tangshu 1975, p. 1171). L’empereur Muzong lui ayant demandé comment exceller dans l’art d’écrire, Liu Gongquan, autre grand lettré déjà très célèbre de son vivant, répondit : « Le pinceau s’actionne depuis le cœur, lorsque que le cœur est droit, le pinceau est droit » ; ce dernier terme signifie aussi « juste » et « irréprochable ». Son style régulier a été célébré et s’est imposé.

Recueil de poésies
Recueil de poésies |

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Sûtra du diamant
Sûtra du diamant |

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La transmission de la sagesse au delà des générations

Le message transmis par les textes hérités du passé ne consistait pas seulement en un legs de sagesse entre générations, mais il circulait aussi à travers l’empreinte qui préservait une trace vivante, une parcelle d’énergie figée à un instant historique précis, éternisant un état fugace de l’esprit particulier d’un individu depuis longtemps disparu. Les caractères chinois étant d’une grande stabilité, le lecteur n’éprouvait, en principe, aucun sentiment d’étrangeté à lire les œuvres laissées par un ancêtre même lointain avec lequel il partageait une éducation graphique qui lui permettait d’emblée de s’affranchir des siècles et des distances et de pénétrer dans son intimité. Nombreux sont les textes où des individus expriment leur émotion à la vue d’une calligraphie fameuse comme s’ils voyaient surgir, sous leurs yeux, à travers quelques lignes abstraites, la personnalité secrète de leur auteur. La trace encrée garde le souvenir à la fois matériel et spirituel de l’homme qui tenait ce pinceau.

Règles du rituel funéraire
Règles du rituel funéraire |

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La tradition lettrée dans la calligraphie

Jean-François Billeter, L’art chinois de l’écriture, essai sur la calligraphie
Même si le taoïsme religieux a fécondé la calligraphie à un certain moment de son histoire et si le...
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