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À chaque genre son théâtre

« Le regard en coulisses » (salle des Fossés Saint-Germain, d’après Charles-Antoine Coypel, 1726)
« Le regard en coulisses » (salle des Fossés Saint-Germain, d’après Charles-Antoine Coypel, 1726)

© Collection Comédie-Française

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Les rapports entre la société française et son théâtre, entre 1680 et 1750, composent une histoire passionnée, elle-même « dramatique » : il n’y manque ni le frisson de l'angoisse, ni la libération du rire, ni la grâce de l'enchantement et du rêve – et ce dans tous les registres, du sérieux au bouffon, en passant par le plaisant et l'ironique.
La ville, Paris, supplante peu à peu la cour, Versailles. L'accroissement régulier du nombre des spectateurs et l'orchestration des grandes créations par les écrivains et les critiques témoignent de l'intérêt grandissant de tous. Le personnage de l'acteur et la scène participent à la réflexion philosophique sur la civilisation. Le théâtre se tourne aussi vers la société qui l'entoure. C'est par elle, pour elle et en elle qu'il construit ses mirages, surtout dans la dimension satirique.

Au 18e siècle, trois types de théâtre sont institués : la Comédie-Française pour la comédie en cinq actes et la tragédie ; l’opéra pour la représentation avec musique et danse ; la Comédie-Italienne, pour les formes en italien, les pièces à canevas et l’opéra-comique, mi-parlé et mi-chanté. Autour de cela fleurissent des scènes alternatives qui répondent au goût du public pour la dramatisation et l’esprit en éveil du siècle. En 1791, la Révolution décrète la liberté des spectacles.

La Comédie-Française

La Comédie-Française est la seconde institution théâtrale créée sous le règne de Louis XIV ; la troupe des Comédiens Français résulte de la fusion en 1680 de la troupe de l’hôtel Guénégaud (elle-même issue de la fusion entre l’ancienne troupe de Molière et la troupe du Marais) et celle de l’hôtel de Bourgogne.

L’intérieur de la Comédie-Française
L’intérieur de la Comédie-Française |

Bibliothèque nationale de France

Antoine Meunier, La Comédie-Française, 18e siècle
Antoine Meunier, La Comédie-Française, 18e siècle |

Bibliothèque nationale de France

Jusqu’en 1799, le théâtre de la Comédie-Française se trouve rue des Fossés Saint-Germain dans une belle salle à l’italienne. Louis XIV octroie aux Comédiens Français le monopole des représentations de tragédies et de comédies (petites ou grandes) ; ce théâtre possède un rôle de conservation du patrimoine dramatique français en accueillant les œuvres désormais classiques de Molière, Corneille, Racine, Rotrou. On y crée des tragédies (Crébillon, La Motte, Voltaire) et des comédies de genres variés : comédies de mœurs (Regnard, Lesage), comédies d’amour (Marivaux). Petit à petit la sensibilité envahit la comédie (Nivelle de La Chaussée), ainsi que la morale (Destouches).

De nouvelles formes sont aussi accueillies dans celle qu’on nommera bientôt « La Maison de Molière » : le drame bourgeois de Diderot, les comédies de Beaumarchais (Le Mariage de Figaro). L’évolution des genres dramatiques s’accompagne de l’évolution du jeu des acteurs vers plus de naturel, avec des personnalités comme Adrienne Lecouvreur, La Clairon, Le Kain, Talma…

Adrienne Lecouvreur (1692-1730)
Adrienne Lecouvreur (1692-1730) |

Bibliothèque nationale de France

Henri Louis Lekain (1729-1778), dans Mahomet  de Voltaire
Henri Louis Lekain (1729-1778), dans Mahomet  de Voltaire |

Bibliothèque nationale de France

L’opéra

Depuis le début du XVIIe siècle, le genre de l’opéra, inventé en Italie, charme l’Europe entière. À côté des villes italiennes, de Londres et de Vienne, Paris est une place importante de la création lyrique. L’opéra est un espace d’expression de nombreux arts et techniques de la scène. Au siècle des Lumières, il devient aussi un lieu de sociabilité important.

Deux tendances cohabitent : l’opéra-comique, au style libre et populaire, prisé par le peuple, qui s’y presse, tandis que l’esprit des Lumières privilégie le genre « sérieux ». Les personnages y incarnent des vertus, comme la tolérance, la beauté ou le renoncement, sur des modèles inspirés par l’Antiquité réinventée. Les idées nouvelles peuvent y être dramatisées, le corps occupe une place inédite sur la scène, porté par des costumes et une machinerie de décor.

Un opéra à la française

La Princesse de Navarre
La Princesse de Navarre |

Bibliothèque nationale de France

Parallèlement aux genres du théâtre musical ou du ballet, le principe d’un opéra national est porté par des compositeurs comme Lully, Rameau ou Gluck, qui défendent cette institution comme espace d’invention et de création. Ils sont soutenus par Colbert, ministre de Louis XIV, qui donne à l’Académie royale de musique (dite l’Opéra) le monopole des représentations de spectacles lyriques et chorégraphiques dans l’ensemble du royaume.

Jean-Baptiste Lully et son librettiste Philippe Quinault développent une formule d’opéra à la française qui se distingue du modèle italien : la tragédie en musique, grand spectacle en cinq actes orné de danses. De nouvelles formes verront le jour au sein de l’Académie royale de musique dans la salle du Palais Royal : l’opéra-ballet (dont un des brillants exemples au 18e siècle est Les Indes galantes de Rameau en 1735), les pastorales héroïques, et plus tard des opéras nouveaux de Gluck empreints de la sensibilité pathétique des Lumières.

Costume pour le chœur des Bactriens dans Zoroastre (Jean-Philippe Rameau)
Costume pour le chœur des Bactriens dans Zoroastre (Jean-Philippe Rameau) |

Bibliothèque nationale de France 

Costume pour un rôle destiné à Mlle Allard dans Les Incas (Les Indes galantes, Jean-Philippe Rameau)
Costume pour un rôle destiné à Mlle Allard dans Les Incas (Les Indes galantes, Jean-Philippe Rameau) |

Bibliothèque nationale de France

L’Opéra accueille tout au long du 18e siècle des compositeurs importants (Rameau, Grétry, Rousseau, Gluck, Salieri) et des chorégraphes innovants (Noverre, Gardel). Les librettistes sont des dramaturges connus qui écrivent pour différents théâtres comme Fuzelier, l’abbé Pellegrin ; Voltaire écrit le livret de La Princesse de Navarre (1745) et Beaumarchais celui de Tarare (1787).

D’abord au Palais Royal (dans une salle reconstruite après l’incendie en 1770) puis au Théâtre de la Porte Saint-Martin à la fin du 18e siècle, l’Opéra est le lieu par excellence du spectaculaire, où se rassemble la bonne société et où l’on va pour voir et être vu. Les opéras sont au cœur de la vie théâtrale et culturelle française au 18e siècle.

La Petite Loge
La Petite Loge |

Bibliothèque nationale de France

Incendie de la salle de l’Opéra du Palais-Royal à Paris, le 6 avril 1763
Incendie de la salle de l’Opéra du Palais-Royal à Paris, le 6 avril 1763 |

Bibliothèque nationale de France

La Comédie-Italienne

Sur ordre du Régent Philippe d’Orléans, une troupe d’acteurs italiens s’installe en 1716 à l’Hôtel de Bourgogne. Luigi Riccoboni, dit Lelio, chef de la troupe, cherche à éloigner le théâtre italien de la farce et de la pure commedia ; ses acteurs jouent ainsi un répertoire mixte comprenant des canevas hérités de l’ancienne comédie italienne (dont les acteurs jouaient dans la même salle que Molière avant sa mort) mais aussi des comédies en français, des comédies chantées et des parodies. C’est à la Comédie-Italienne que Marivaux donne ses pièces les plus connues. Des acteurs vedettes, comme Thomassin puis Carlin y incarnent le type d’Arlequin bien aimé du public parisien. Silvia, qui y brille, est considérée comme une des meilleures actrices de Paris.

Costume pour Silvia
Costume pour Silvia |

© Bibliothèque nationale de France

D’après Antoine Watteau, Les Comédiens-Italiens entourant l’acteur jouant Pierrot, 18e siècle
D’après Antoine Watteau, Les Comédiens-Italiens entourant l’acteur jouant Pierrot, 18e siècle |

Bibliothèque nationale de France

En 1762 la troupe de la Comédie-Italienne accueille des acteurs chanteurs de l’Opéra-Comique de la Foire ainsi qu’une partie de leur répertoire chanté et parlé. On parle de fusion. La Comédie-Italienne devient alors le lieu de représentations des grands opéras-comiques de Grétry et Sedaine. Cela n’empêche qu’on continue à jouer pendant tout le siècle des canevas en italien.

En 1793 La Comédie italienne prend le nom d’Opéra-comique national.

Les théâtres de la Foire

Depuis le Moyen Âge, il existe à Paris deux grands marchés couverts, la Foire Saint-Germain et la Foire Saint-Laurent qui ouvrent respectivement deux mois l’hiver et deux mois l’été. À la fin du 17e siècle, des salles de théâtres y sont construites, et de nombreuses représentations y seront données jusqu’à la Révolution française.

Le Théâtre de la Foire
Le Théâtre de la Foire |

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Arlequin, défenseur d’Homère
Arlequin, défenseur d’Homère |

© Bibliothèque nationale de France

Les théâtres de la Foire ne possèdent pas de monopole artistique à l’inverse des autres scènes parisiennes. Ils se sont développés sous la contrainte juridique et artistique des institutions théâtrales (Opéra, Comédie-Française puis Comédie-Italienne) qui multipliaient les procès et les interdictions. Cependant les entrepreneurs forains n’ont pas cessé de présenter des spectacles variés à un public socialement mixte. Les trois principaux types de théâtres que l’on trouvait dans les Foires sont les spectacles pour marionnettes (avec Polichinelle), les théâtres de danseurs de corde et l’Opéra-Comique, seul théâtre forain à avoir l’autorisation d’employer le chant, la danse et des décorations de manière limitées. Les auteurs qui écrivaient pour la Foire écrivaient aussi pour les autres théâtres de Paris (Lesage Fuzelier Piron, Favart) et l’activité foraine n’était pas détachée de l’activité culturelle parisienne.

Les théâtres du boulevard

Théâtre de l’Ambigu sur le boulevard du Temple
Théâtre de l’Ambigu sur le boulevard du Temple |

Bibliothèque nationale de France

Le boulevard du Temple à Paris accueille à partir du milieu du 18e siècle quelques lieux de spectacles (marionnettes de Bienfait en 1750 par exemple). L’incendie de la Foire Saint-Germain en 1762 accélère la migration de certains acteurs et entrepreneurs de spectacle vers le Boulevard où ils auront la possibilité de jouer toute l’année.

En 1769, Audinot ouvre l’Ambigu-Comique et fait jouer au départ des pièces pour marionnettes puis avec des enfants avant d’être réduit par les autorités à représenter des pantomimes. On sait qu’en 1775, l’Ambigu-Comique possède trois salles, l’une à la Foire Saint-Germain (février à avril), l’une à la Foire Saint-Ovide (du 14 août au 14 septembre) et la dernière sur le boulevard pour des représentations toute l’année.

Le théâtre concurrent, celui de Nicolet, obtient l’autorisation de Louis XV pour prendre le nom de Théâtre des Grands Danseurs du Roi. Aux Variétés Amusantes, dès 1779, ce sont les pièces Dorvigny mettant en scène Janot ou Jocrisse qui feront le succès d’un théâtre qui s’installera dans les années 1785 au Palais Royal. Jusqu’à la Révolution, le nombre de théâtre à ouvrir sur le Boulevard n’a de cesse d’augmenter et les formes spectaculaires représentées d’évoluer : comédie chantée sur des vaudevilles, des pantomimes à grand spectacle, spectacle équestre, les premiers mélodrames, des proverbes, des parades, des pièces pour marionnettes.

Provenance

Cet article provient du site Les Essentiels de la littérature (2015).

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