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Parcours pédagogique

Colonialisme et représentations raciales sous la Troisième République

Par Mathilde Barbedette, chargée de projet éducation artistique et culturelle, BnF
12 min de lecture
Planche anthropologique de « types » Indiens
La politique coloniale de la Troisième République est étudiée dans le cadre du programme d’histoire de la classe de première. Ce parcours pédagogique permet de montrer comment les théories racialistes élaborées au 19e siècle ont pu légitimer l’expansion coloniale européenne. Il s’agira dans un premier temps de mettre en évidence le rôle de l’anthropologie dans l’émergence d’un paradigme racial. Dans un second temps, on s’interrogera sur les usages qui ont été faits de ces représentations raciales en situation coloniale.
 
Les ressources pour réaliser l'activité

L’anthropologie, nouvelle science du 19e siècle

L’anthropologie se constitue comme science humaine au cours du 19e siècle. Cette discipline s’institutionnalise dans les années 1860-1870 sous l’impulsion de Paul Broca avec la création d’une société savante, la Société d’anthropologie de Paris, de l’École d’anthropologie de Paris et de plusieurs revues, comme la  Revue mensuelle de l’Ecole d’anthropologie de Paris (1891-1910) ou la Revue d’anthropologie (1872-1889). Les anthropologues s’inscrivent dans la filiation des naturalistes des Lumières, tels que Linné ou Buffon, qui avaient commencé à catégoriser et classer l’ensemble du vivant : les végétaux, les animaux mais aussi les êtres humains.

Selon l’article « Anthropologie » du Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales (1864-1888) rédigé par Paul Broca, cette nouvelle science « a pour objectif l’étude du groupe humain considéré dans son ensemble, dans ses détails et dans ses rapports avec le reste de la nature ». Il s’agit d’étudier le « groupe humain » comme appartenant à « la série des êtres »,  de déterminer au sein « du groupe humain » différentes « divisions » puis de l’étudier dans son ensemble en s’intéressant à ses caractères physiques, intellectuels et à ses mœurs.

Pour cela, les anthropologues développent des procédés mathématiques et élaborent de méthodes de mensuration en utilisant des instruments perfectionnés. Paul Broca publie en 1865 ses Instructions générales destinées aux chercheurs mais aussi aux voyageurs et aux auxiliaires de l’expansion européenne. Il y présente les méthodes anthropométriques, les caractères à étudier et les modes d’utilisation des appareils de mensuration.

Le débat sur les origines de l’homme 

Les anthropologues participent aux grands débats scientifiques du 19e siècle sur les origines de l’homme. Cette question divise alors le monde scientifique en deux camps : les partisans du monogénisme et ceux du polygénisme. Les monogénistes défendent la théorie que tous les êtres humains auraient une origine commune. Les polygénistes comme Julien-Joseph Virey ou Georges Pouchet affirment au contraire que les « races » humaines seraient issues d’ancêtres distincts

Un autre débat oppose les fixistes aux évolutionnistes. Selon les fixistes attachés à une lecture littérale de la Bible comme Linné ou Cuvier, les espèces seraient restées les mêmes depuis leur création par Dieu. Au contraire, l’ouvrage de Charles Darwin publié en 1859, De l’origine des espèces développe des théories transformistes élaborées à la fin du 18e siècle et au début du 19e siècle notamment par Lamarck ou Bory de Saint-Vincent. Les transformistes stipulent que les espèces ne sont pas figées : les êtres vivants seraient dérivés les uns des autres par une série de transformations. Cette évolution se ferait progressivement au fil du temps. Dans La filiation de l’homme et la sélection liée au sexe (vol. 1, vol. 2) publié en 1871, Darwin postule l’existence d’un ancêtre commun entre l’homme et les singes. Les thèses de Darwin entraînent une vive polémique entre les évolutionnistes et les tenants des théories créationnistes et fixistes. 

Certains évolutionnistes comme Alphonse Bertillon ou André Lefèvre, reprenant les concepts darwiniens de la lutte pour l’existence et de la sélection naturelle, croient en une concurrence vitale entre les « races ». Ils pensent ainsi que les « races » prétendument  inférieures sont appelées, tout comme les espèces fossiles, à disparaître.

Une gradation hiérarchisante des « races »

Certains anthropologues du 19e siècle comme Paul Broca reprennent à leur compte la thèse de la chaîne des êtres, formulée par des scientifiques du 18e et du début du 19e siècle tels que l’anglais Charles White ou Julien-Joseph Virey. En s’appuyant sur des études anatomiques, ces derniers ont postulé l’existence d’une gradation des êtres qui irait du singe à l’homme blanc en passant par l’homme africain et asiatique, légitimant ainsi des croyances séculaires. 

Les anthropologues au 19e siècle emploient les méthodes anthropométriques, en particulier la craniométrie, pour établir ce qu’ils pensent être une proximité physique de certaines « races » avec les singes. Au début des années 1860, Paul Broca procède ainsi à de nombreux cubages crâniens qui deviennent des mesures de référence très largement reprises dans les manuels d’anthropométrie. Les mesures obtenues par Broca l’amènent à pouvoir rapprocher, croit-il, les « races » inférieures et les singes. Le volume du cerveau étant alors faussement considéré comme un des éléments déterminant de l’intelligence, il en déduit que les « races » inférieures auraient des facultés intellectuelles moindres que les « races » dites supérieures. Des phrénologues (du grec phrēn, « cerveau » et logos, « connaissance »), comme Franz-Joseph Le Gall, s’intéressent aussi à la forme du cerveau. Pour certains d’entre eux, les cerveaux des « races » inférieures présenteraient des circonvolutions cérébrales beaucoup plus simples que celles des « races » supérieures. Pourtant des données empiriques comme celles de Friedrich Tiedemann viennent dès 1836 contredire ces conclusions.

D’autres caractères font également consensus pour évaluer la prétendue infériorité de certaines « races » : la faiblesse du développement technologique, l’absence d’organisation sociale, la pauvreté du langage, la laideur, l’inconstance, la frivolité, la paresse, la cruauté…

Ces théories raciales ont ainsi donné un vernis scientifique à des représentations séculaires et dépréciatives de l’Autre. Elles ont pu être instrumentalisées pour légitimer l’instauration de la domination coloniale.  

Consigne possible :

  • Après avoir étudié chacun des documents, montrez en quoi les controverses scientifiques des anthropologues au 19e siècle ont eu des conséquences sur les représentations de l'altérité. 
Les ressources pour réaliser l'activité

Il existe un consensus au sein de l’administration coloniale autour de l’idée que la connaissance des différentes « races » est nécessaire afin de parvenir à instaurer un ordre colonial. Pour cela, les autorités coloniales s’appuient notamment sur des théories anthropologiques.

Consigne possible :

  • Montrez comment les autorités coloniales imprégnées par les théories raciales vont mettre en place des politiques spécifiques aux colonies.

La politique des races : l’exemple de Madagascar

À Madagascar, après la conquête de 1894-1895, la monarchie est destituée. Les autorités coloniales cherchent à saper l’hégémonie du peuple Merina dont sont issus les anciens souverains depuis le début du 19e siècle. Pour cela, le général Gallieni, premier gouverneur général de Madagascar, théorise la « politique des races ». Il s’agit d’établir une cartographie des différentes « races » de l’île afin d’élaborer des politiques coloniales en fonction des caractères psychologiques attribués à chacune d’entre elles. Chaque « race » est ensuite placée sous l’autorité d’un chef indigène choisi en son sein et contrôlé par le pouvoir colonial.

Pour établir la cartographie raciale de Madagascar, Gallieni s’appuie sur la méthode photographique telle que définie par Paul Broca dans ses Instructions générales publiées en 1865. Les photographies des différents sujets sont accompagnées de légendes précisant le type racial, l’origine géographique et des mesures anthropométriques (taille, poids). Sur certains clichés, les individus posent debout à côté d’un mètre étalon. Cette démarche repose sur le postulat que chaque « race » serait caractérisée par des critères physiques qui lui seraient propres. En effet, les anthropologues ont ainsi pensé pouvoir identifier des « types humains ». Sur les photographies du fonds Galliéni, sont représentés par exemple des individus des peuples Hova, Tanala, Sakalava, Betsimisaraka, Sihanaka, Bezanozano, Bara ou encore Betsileo.

Consigne possible :

  • Expliquez en quoi consiste la « politique des races » définie par Galliéni et comment il instrumentalise les théories anthropologiques et la méthode photographique pour mettre en œuvre cette politique

Différencialisme racial et mise en œuvre de politiques spécifiques et discriminatoires aux colonies

L’inégalité des « races » s’inscrit dans le droit colonial. La réticence à l’octroi de droits politiques ainsi qu’à l’association des indigènes à l’administration coloniale trouve sa justification dans la théorie des « races ». Les « indigènes » sont jugés insuffisamment évolués pour pouvoir bénéficier du même droit que les Français et sont soumis à un régime juridique appelé « code de l’indigénat » (à partir de 1881 en Algérie puis de 1887 dans toutes les colonies).

Pour justifier leur domination, les puissances coloniales vont élaborer le concept de la mission civilisatrice qui stipule que les « races » dites supérieures auraient pour devoir de civiliser les « races » considérées comme inférieures. Selon les thèses de l’hérédité raciale alors très répandues au 19e siècle, ces « races » inférieures ne pourraient progresser que de façon extrêmement limitée. La nécessité d’instaurer un enseignement adapté aux capacités intellectuelles qui seraient celles des indigènes fait ainsi consensus dans le monde colonial.

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