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De nouveaux instruments de navigation

Manuel de navigation
Manuel de navigation

© Bibliothèque nationale de France

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S’aventurer en pleine mer, loin des côtes, constitue au 15e siècle une toute nouvelle manière de naviguer. Ne pouvant plus s’appuyer sur les traditions de la navigation à l’estime, Vasco de Gama, Christophe Colomb ou Magellan doivent s’appuyer sur des instruments comme l’astrolabe ou le quadrant, dont la fiabilité n’est pas toujours assurée…

La navigation à l’estime

Les marins méditerranéens naviguaient à l'instinct, presque par atavisme. Ce type de navigation « à l'estime » ne disparut pas complètement chez ceux qui empruntaient les voies océanes et qui n'étaient pas tous instruits dans la science nautique. Souvent d'origine rurale, illettrés pour la plupart, ils se formaient à bord au métier de la mer qu'ils avaient découvert très jeunes, comme mousses. Leur culture était faite de dictons, de proverbes, d'expérience vécue, mais aussi de mythes et de calembredaines.

Dès que la terre apparaissait, c'est-à-dire, pour un littoral sans très grand relief, à une « vue de mer » de sept lieues marines, soit, à un mille près la distance de Calais à Douvres, la navigation continuait de se faire à vue. L'on se repérait grâce aux amers naturels ou artificiels, collines, rochers, tours, fanaux. Comme l'a écrit Jacques Bernard, « un maître de navire familier des lieux pouvait à la rigueur se passer de compas, de sonde, de carte, de routier et même de tout calcul théorique des marées : ces dernières étaient prévisibles pour les plus savants à partir du nombre d'or, du jour de la nouvelle lune et de la marée de ce jour, ou, de façon plus immédiate, par la position de la lune dans le ciel ».

Fleuves de Floride
Fleuves de Floride |

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La navigation à l'estime pouvait aussi conduire très loin des rivages. Les marins pêcheurs, basques et bretons, qui, dès le 15e siècle, allèrent chercher la morue sur les bancs de Terre-Neuve, ne disposaient d'aucune carte marine. À la même époque, les pêcheurs anglais considéraient également le voyage en Islande comme une routine.
Pour se lancer ainsi au large, quelques instruments simples équipaient les navires : le compas, le sablier, la sonde, le loch.

Mesure de la direction : le compas

La boussole maritime, couramment appelée compas, était le guide le plus constant du navigateur et le seul instrument dont l'usage régulier est établi de façon incontestable. Les pilotes prévoyants emportaient un lot d'aiguilles de rechange (trente dans le cas de Magellan) ou une pierre d'aimant. Jacques Heers souligne la confiance illimitée que Colomb plaçait dans cet instrument : alors que, ignorant le phénomène de la déclinaison magnétique, il constata que son aiguille n'indiquait plus la direction de l'étoile polaire, il conclut que c'était l'étoile qui avait bougé.

Mesure du temps : cadrans solaire, sabliers et nocturlabes

La mesure du temps revêtait, à bord, une importance capitale. En plus du traditionnel cadran solaire, elle était effectuée au moyen de fragiles sabliers en verre de Venise, dont on embarquait toujours plusieurs exemplaires pour remédier aux casses. Ces ampoules ou « ampoulettes » comptabilisaient en général les demi-heures. Un mousse était chargé de les retourner au moment précis où le dernier grain de sable s'était écoulé, avec la consigne de ne le faire ni trop tôt, ni trop tard, même si certains souhaitaient abréger leur quart. Le temps était donc compté en ampoules, surtout pendant la nuit où la course du soleil ne permettait pas d'estimer l'heure. Le sablier de bord rythmait la vie du navire. Il indiquait les changements de quart et intervenait dans le calcul des longitudes. Son usage se maintint jusqu'au début du 19e siècle. Certains avaient quatre heures d'autonomie, la durée d'un quart.

Il faut mentionner aussi à ce propos le nocturlabe – ainsi nommé par analogie avec l'astrolabe mais sans rapport avec lui – appelé aussi nocturnal ou cadran aux étoiles. II permettait de connaître l'heure locale pendant la nuit grâce à l'observation d'alignements d'étoiles. Il était en quelque sorte l'équivalent nocturne du cadran solaire.

Cadran solaire
Cadran solaire |

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Mesure de la profondeur de l’eau : la sonde

La sonde, elle aussi, était indispensable. Avec des lignes de quarante brasses, parfois de cent brasses (162 mètres au maximum) elle devait vérifier si la hauteur d'eau était suffisante et éviter au navire de s'échouer ou de s'éventrer sur des récifs. Avec son lest de plomb suiffé, elle ramenait aussi un échantillon du fond marin. Dès le 16e siècle, des cartes marines à grande échelle commencèrent à indiquer les lieux et les profondeurs de ces « sondages », évaluées en pieds ou en brasses. Avec le temps, ce semis de chiffres devint de plus en plus dense, jusqu'à remplacer totalement les figures de navire peintes pour orner les vides de la carte.

Dans un article remarqué, le père François de Dainville montra comment les hydrographes du 18e siècle, puisqu'il leur était impossible de représenter l'invisible relief sous-marin par un croquis plus ou moins symbolique, inventèrent les courbes de niveau. Ils résolurent ainsi, avant les topographes, le problème de la représentation du relief. Après avoir été ébauchées sur les cartes marines qui indiquaient les « laisses de haute et basse mer », les premières courbes de niveau furent donc imaginées par le Hollandais Nicolas Cruquius, qui dessina une carte de l'embouchure de la Meuse en 1733, et par le Français Philippe Buache, qui établit une carte de la Manche en 1752.

Mesure de la vitesse : le loch

Les navigateurs de la Renaissance ne disposaient d'aucun instrument de mesure fiable pour évaluer la distance parcourue par leur navire. Tout était affaire d'appréciation. L'usage du loch n'est attesté qu'à partir du 16e siècle et, même à partir de ce moment, il ne pouvait qu'aider grossièrement à estimer la vitesse du navire. Le nom de loch provient de « log », ou bûche. C'était à l'origine un simple morceau de bois jeté à l'avant du navire et dont on mesurait le temps de passage jusqu'à l'arrière, donc sur une distance connue. Une règle de trois permettait de calculer la vitesse, avec une grande marge d'erreur. À défaut d'utiliser le loch, on se contentait souvent d'observer le sillage et son écume, la fuite des bulles, des herbes ou d'un objet quelconque le long du navire.

Les limites du « point de fantaisie »

La navigation à l’estime, en Méditerranée comme dans les eaux européennes, se faisait en général près des côtes, en utilisant les informations disponibles sur les itinéraires et les distances entre des lieux soigneusement répertoriés dans les routiers utilisés par les pilotes. Il fallait parfois s’éloigner de la côte, par exemple pour atteindre une île lointaine, mais ces trajets océaniques duraient rarement plus de quelques jours. La position du navire était alors déterminée d’après le cap suivi depuis la dernière position connue, donné par la boussole marine, et la distance parcourue, estimée par le pilote. Les pilotes portugais appelaient cette méthode « point de fantaisie » (ponto de fantasia), expression colorée qui reflète bien l’incertitude liée à cette estimation. Les erreurs engendrées constituaient d’ailleurs rarement un problème grave pour la navigation car on pouvait aisément corriger la position dès que la côte redevenait visible.

Mais ce n’était pas le cas quand les navires restaient en pleine mer plusieurs jours ou plusieurs semaines d’affilée, par exemple lorsqu’ils partaient pour les Açores ou revenaient de la côte africaine en suivant le tournant de Guinée. Plus le temps passait, en effet, plus les positions estimées perdaient en précision au point de devenir quasi inutiles, surtout quand les navires étaient forcés de modifier souvent leur cap pour tirer le meilleur parti du vent. Pour affronter ce nouveau problème, il fallut trouver une nouvelle méthode de navigation. La solution vint, dans la seconde moitié du 15e siècle, de la navigation astronomique.

Fabrication et usage de l’astrolabe de mer
Fabrication et usage de l’astrolabe de mer |

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La navigation astronomique

On oppose généralement à la navigation à l'estime, la navigation astronomique. Naviguer en pleine mer, hors de la vue des côtes, impliquait en effet la recherche de nouveaux points de repère, que l'on ne pouvait trouver que dans la voûte céleste.

Les premiers temps, on se servit de l’altitude de l’étoile Polaire pour vérifier le déplacement nord-sud du navire par rapport à un point de référence. Plus tard, on commença à déterminer directement la latitude grâce à la diffusion, parmi les pilotes, de règles élémentaires permettant de corriger la mesure de la hauteur de l’étoile Polaire au-dessus de l’horizon, en mer ou sur terre, afin d’obtenir la latitude exacte. Mais cette technique n’était pas utilisable partout : à mesure que l’on progressait vers le sud, l’étoile Polaire disparaissait peu à peu sous l’horizon. Une solution plus générale, introduite une quinzaine d’années avant la fin du 15e siècle, fut l’observation du Soleil à midi. À partir de ce moment, la latitude de l’observateur put aisément être déduite de la hauteur du Soleil au-dessus de l’horizon en tenant compte de sa déclinaison. L’utilisation de tables d’éphémérides indiquant la déclinaison solaire pour chaque jour de l’année permettait aux pilotes de déterminer la latitude à n’importe quel endroit.

La navigation astronomie est intimement liée au perfectionnement de la cartographie et des outils de navigation. Trois instruments qui étaient déjà en usage dans les milieux scientifiques du Moyen Age furent ainsi adaptés à la navigation. Ils servaient à « prendre des hauteurs » et pouvaient également être transportés à bord : le bâton de Jacob, l'astrolabe et le quadrant.

Observation des astres
Observation des astres |

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Le bâton de Jacob

Le bâton de Jacob, ou arbalestrille, ou encore arbalète, était connu depuis le milieu du 14e siècle. Il servait à l'origine aux astronomes pour la mesure des angles entre les étoiles. Il permettait de déterminer la hauteur d'un astre au-dessus de l'horizon, le soleil de jour, et l'étoile polaire de nuit. La visée directe entraînant l'éblouissement de l'observateur, on le transforma pour la visée réfléchie, et il devint le « back staff ». L'œil de l'observateur se dirigeait alors vers l'horizon et non plus vers l'astre.

L’astrolabe

Inventé dans la Grèce antique, l'astrolabe était dans le monde arabe un instrument souvent pédagogique, qui montrait la situation des étoiles dans le ciel à divers moments de l'année, pour une latitude donnée. Il était très répandu en Catalogne, peu avant l'ère des découvertes, où il servait à l'établissement des horoscopes.

Il fut par la suite considérablement simplifié pour être transformé en instrument d'observation. On supprima les tympans, ces plaques rondes qui comportaient des projections stéréographiques de la voûte céleste, ainsi que l'araignée ajourée figurant les étoiles et à laquelle on faisait effectuer une rotation lors des démonstrations magistrales. On lui adjoignit deux pinnules de visée, œilletons percés aux deux bouts de l'alidade, grâce auxquelles on effectuait des mesures angulaires de la hauteur des astres au-dessus de l'horizon. Le pourtour de l'astrolabe était pour cela gradué en deux fois 90°. Les visées pouvaient être directes ou par ombre portée, ce qui évitait de tenir à bout de bras cet instrument assez lourd, qu'on devait maintenir rigoureusement vertical.

Le quadrant

Pour l'utilisation à bord, on préféra de plus en plus à l'astrolabe le quadrant ou quartier, ou encore quart de cercle, car il était plus maniable. Fait de bois ou de métal, il était muni de deux pinnules de visée et d'un fil à plomb qui indiquait sur le limbe gradué un chiffre correspondant à l'angle formé entre l'astre visé, l'observateur et le zénith.
Ces mesures de hauteur avaient pour but de déterminer la latitude, comme le faisaient à terre les astronomes continentaux et en mer les pilotes arabes de l'océan Indien. Les almanachs expliquaient les règles à observer pour déterminer la latitude par l'observation du soleil et des étoiles. Plus que d'autres, les Portugais y trouvèrent un grand secours, car leurs voyages se déroulèrent surtout en latitude, à l'inverse des navigations de leurs prédécesseurs en Méditerranée et de celles des Espagnols qui suivront.

Atlas nautique
Atlas nautique |

© Bibliothèque nationale de France

Ils mirent au point une méthode rapide qui consistait à observer la hauteur de l'étoile polaire au moyen du quadrant. Au départ du Portugal, lors d'une première visée, on notait la position du fil à plomb sur le limbe. Plus tard ce fil fut transformé en réglette, instrument plus précis. Au cours du voyage, on comparait la différence en degrés entre la plombée du départ et celle du lieu où l'on se trouvait. En multipliant le nombre de degrés par 16 2/3, on obtenait la distance parcourue en lieues dans le sens nord-sud. Le quadrant était, dans ce cas, lu en termes de distance et non pas en mesures angulaires pour calculer la latitude.
Au sud de l'équateur, l'étoile polaire n'est plus visible. Les Portugais imaginèrent alors une variante, utilisable aussi au nord, qui consistait à mesurer la hauteur méridienne du soleil. Des tables constituées à l'avance leur indiquaient la latitude correspondant à la hauteur qu'ils avaient observée.

On ne sait ni où ni comment ces méthodes furent introduites, ni qui furent les responsables de leur développement. Néanmoins, la plus ancienne source historique évoquant l’utilisation d’observations astronomiques en mer est un rapport de Diogo Gomes rédigé vers 1460, traduit en latin par Martin Behaim, où le pilote portugais raconte comment il a mesuré la hauteur de l’étoile Polaire près de l’archipel du Cap-Vert. D’autres sources mentionnent l’usage d’instruments et la pratique de la navigation astronomique lors des voyages de Bartolomeu Dias (1487-1488), Vasco de Gama (1497-1498) et Pedro Álvares Cabral (1500).

La navigation astronomique donna lieu à toute une série d'observations d'astres, mais toutes ces mesures en mer ne donnaient pas satisfaction. À l'imprécision de la graduation des instruments s'ajoutait celle des visées, particulièrement difficiles sur des navires instables, puisque l'observateur devait viser en même temps l'astre et l'horizon. Le roulis seul pouvait être à l'origine d'erreurs de 4 ou 5 degrés. Aussi les navigateurs préféraient-ils faire leurs observations à terre dès qu'ils avaient la possibilité de débarquer. Vasco de Gama, touchant terre après trois mois de mer, s'empressa de déterminer la latitude de son escale au moyen d'un grand astrolabe suspendu à une chèvre.

Latitudes et longitudes sur les cartes

Les progrès de la science nautique portugaise eurent comme conséquence directe l'essor de la cartographie. Fille d'une société de l'écrit qui maîtrisait enfin la science des étoiles, celle-ci devint, pour la première fois dans l'histoire, indissociable des grandes expéditions maritimes.

Les cartes de latitudes

La cartographie fit, grâce aux latitudes, un bond en avant considérable. À la vieille carte à rhumbs et à distances fut substituée la « carte plate carrée », graduée en latitudes, dont les plus anciens exemplaires conservés sont des cartes portugaises de Pedro Reinel de 1500 et 1504.

Les cartes devinrent alors plus que jamais indispensables aux navigateurs car elles leur permettaient de faire le point : non plus un point estimé, un « ponto da fantasia », comme auparavant, mais un point observé, se référant aux latitudes, le « ponto de esquadria ».

Ces nouvelles techniques exigeaient en retour une formation particulière des pilotes. La plupart d'entre eux ignoraient tout de la question. Vasco de Gama reçut un enseignement spécial en la matière pour préparer son grand voyage. Colomb, lui, était le seul membre de son expédition, lors du premier voyage, à savoir évaluer les latitudes. Il ne maîtrisait pas encore parfaitement le procédé et fit de grosses erreurs, dont le caractère rudimentaire des instruments est peut-être responsable. Toujours est-il qu'il refusa d'emporter astrolabes et quadrants pour sa deuxième expédition.

Universa ac navigabilis totius terrarum orbis descriptio (détail)
Universa ac navigabilis totius terrarum orbis descriptio (détail) |

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La détermination de la longitude

La détermination de la longitude posait des problèmes encore plus délicats que ceux de la latitude, bien qu'elle fut tout aussi indispensable aux navigateurs. La seule méthode connue consistait à examiner, dans le lieu où l'on se trouvait, l'heure exacte d'une éclipse de lune ou de soleil et à comparer cette heure avec celle de l'éclipse en d'autres points du globe. Des mathématiciens allemands et le juif portugais Zacuto avaient publié des ouvrages dans lesquels ils prédisaient des éclipses totales pour Nuremberg et Salamanque. Dans l'Atlantique, vers l'ouest, chaque heure de différence avec l'heure prévue en Europe pour l'apparition de l'éclipse correspondait à 150 d'écart. Il était naturellement indispensable, le moment venu, de déterminer l'heure exacte, ce qui n'était pas si simple, et les éclipses n'étaient pas très fréquentes. Ainsi, à l’occasion d’une éclipse, Christophe Colomb En effet, conclut qu'il se trouvait à sept heures et quart de Cadix, alors qu'il n'en était qu'à quatre heures trois quarts, soit environ 4 000 kilomètres plus à l'est qu'il ne le pensait.

Les estimations empiriques des longitudes n'étaient pas plus satisfaisantes. Ce défaut greva la cartographie jusqu'au 18e siècle.

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