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À Dunhuang, les premières impressions chinoises

Sûtra des noms des mille bouddhas
Sûtra des noms des mille bouddhas

Bibliothèque nationale de France

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Longtemps restés dans l’ombre, les débuts de l’imprimerie chinoise sont maintenat mieux connus grâce aux documents retrouvés au début du siècle à Dunhuang, cette « Perle de la Route de la soie », aux confins du désert de Gobi.

Un hasard extraordinaire nous permet de connaître le tout début de l’histoire de l’imprimerie en Chine. En effet, les plus anciens estampages au monde ainsi que quelques centaines de documents imprimés avant le 11e siècle nous sont connus. Ils proviennent d’une oasis où était établie la commanderie de Dunhuang sur la route de la soie aux confins du Turkestan chinois. Ce lieu était aussi un centre bouddhique majeur comptant jusqu’à dix-sept monastères. Un monumental ensemble de grottes ornées de décorations religieuses y fut constitué entre le 4e et le 11e siècle. Dans l’une de ces grottes furent entreposés des documents et des objets essentiellement religieux. Scellée au tout début du 11e siècle, elle ne fut découverte par chance qu’au 20e siècle. Le sinologue français Paul Pelliot (1878-1945) en mission à Dunhuang rapporta à la Bibliothèque Nationale un grand nombre de documents en 1908.

De l’image au texte : les premières impressions

Les premiers témoins de limpression en Chine, que lon saccorde à dater du 8e siècle, sont des images. Images pieuses, ces effigies bouddhiques aux contours parfois maladroits sont apposées à linfini en de longs rouleaux. Comme les ex-voto dargile contemporains, ces reproductions répondent à la prescription de diffusion des images saintes pour sacquérir des mérites. Au 9e siècle, quelques caractères malhabiles apparaissent aux côtés d’images déjà élaborées, bodhisattvas riches de tous leurs attributs ou vastes compositions de grand format aux qualités esthétiques et techniques évidentes. Parfois aussi, les caractères « étrangers » – quelquefois approximatifs – des prières talismaniques tibétaines ou sanscrites participent largement au décor.

Rouleau aux « mille bouddhas » imprimé en rouge
Rouleau aux « mille bouddhas » imprimé en rouge |

© Bibliothèque nationale de France

Grand rouleau aux « mille bouddhas »
Grand rouleau aux « mille bouddhas » |

© Bibliothèque nationale de France

De la même époque – 868 de notre ère – date le fameux Sûtra du Diamant, retrouvé à Dunhuang et conservé à Londres. Le même texte, gravé à Dunhuang en 950 est d’une facture beaucoup plus fruste. Toutefois, il nous transmet, outre la certitude d’une production locale, le nom de l’un des plus anciens graveurs qui nous ait été conservé : Lei Yanmei.

Au même moment, à partir de 953, l’empereur Song Taizu (960-976) faisait graver à Yizhou, l’actuelle Chengdu, capitale du Sichuan, l’édition des Neuf classiques, puis de 971 à 983, les 130 000 planches de l’édition princeps du Canon bouddhique, d’une toute autre qualité. Cette première gravure fera référence et servira de modèle aux éditions ultérieures du Canon bouddhique publiées du 12e au 18e siècle, mais aussi aux éditions du Canon taoïque dont la seule gravure conservée date du milieu du 15e siècle. On y trouve la même disposition des caractères, de 14 à 17, en colonnes sans réglure. La seule différence notable tient au montage : alors que l’édition Song se présente en rouleaux, comme les copies manuscrites qui l’avaient précédée, les suivantes seront le plus souvent reliées en accordéon. Les frontispices illustrés – une autre constante – gagneront en ampleur, couvrant jusqu’à sept panneaux.

La même continuité s’observe pour les textes séculiers : la gravure du Dictionnaire de rimes exécutée au 10e siècle présente déjà toutes les caractéristiques formelles des gravures ultérieures. La page, délimitée par un cadre noir assez épais, est divisée en colonnes d’une réglure plus légère. Les caractères du texte de base sont d’un module assez gros, très lisibles, alors que les commentaires apparaissent en plus petit corps, sur deux rangs à l’intérieur d’une même colonne.

Dictionnaire de rimes
Dictionnaire de rimes |

© Bibliothèque nationale de France

La différence, ici encore, tient au montage, en rouleau ou en tourbillon pour la plus ancienne gravure. La page est dépourvue, en son milieu, du titre courant et de la foliotation que l’on trouve sur les feuillets destinés à être pliés, puis collés ou cousus.

Deux siècles à peine après ses débuts, l’imprimerie xylographique avait atteint son apogée. Les bibliophiles qui en appréciaient l’élégance et la précision de la gravure, la qualité du papier et de l’encre, ont passionnément collectionné les éditions Song. Elles feront l’objet de fidèles fac-similés xylographiques jusqu’au début du 20e siècle.

Naissance de la xylographie

Il semble vain de vouloir assigner une date précise à l’apparition de la technique xylographique. Celle-ci fut pratiquée bien longtemps après les inventions du sceau, dont elle semble tirer son origine, du papier et de l’encre. Les petites planches servaient au début à reproduire sur des textiles ou sur du papier des charmes taoïques et bouddhiques bien avant de véritables textes. Ces reproductions furent d’abord obtenues par l’apposition à main levée de petits blocs de bois semblables à des sceaux. Cependant, à mesure que les formats augmentaient l’apposition de ces planches, même pourvues de poignées, devenait moins commode ce qui conduisit à un renversement du mode d’impression. La planche gravée et encrée fut désormais posée à plat sur une table et le papier doucement appliqué dessus.
La gravure des caractères se fait en taille d’épargne, les blancs sont évidés et les caractères ou les traits des dessins sont épargnés, c’est-à-dire qu’ils apparaissent en relief. À l’inverse de l’estampage, le texte apparaît en noir sur fond blanc comme s’il avait été calligraphié sur la feuille de papier.

Les impressions xylographiques sont attestées en Chine à la fin des Tang, vers le 18e siècle. L’invention est incontestablement chinoise même si par une ironie de l’histoire les plus anciens spécimens imprimés, datés de 770, ont été retrouvés au Japon. La mise au point du procédé se fit certainement très graduellement, des inventions ponctuelles venant se greffer sur des techniques existantes.

Curieusement, aucun texte ne signale explicitement l’apparition de la xylographie. La première référence textuelle est un édit de 835 promulgué dans la province du Sichuan pour interdire la pratique privée d’impressions d’almanachs, le calendrier étant en Chine un monopole d’État. Nous savons par une autre source que circulaient dans cette même province avant l’année 865 des éditions imprimées de dictionnaires.

Les centres de production

Parce que les imprimés de Dunhuang ont été conservés en nombre et sont les plus anciens spécimens connus, n’en concluons pas que Dunhuang était un centre actif de l’imprimerie, encore moins le lieu de naissance de l’invention. La province du Sichuan et les villes de Luoyang et de Chang’an la capitale, (l’actuelle Xi’an) assuraient une production xylographique déjà importante dans des ateliers impériaux mais aussi locaux et commerciaux.

Il est impossible de connaître l’exacte provenance de la plupart des imprimés recueillis à Dunhuang. Les pages de dictionnaires et certaines illustrations assez élaborées pourraient provenir du Sichuan. On peut tout de même supposer que la plupart des représentations votives de divinités furent imprimées à Dunhuang même, comme en témoignent trois documents commandités par le gouverneur régional. Ces précieux témoignages permettent de faire sortir de l’anonymat un certain Lei Yanmei, l’un des premiers graveurs connus.

Des impressions bouddhiques

Dhâranî tibétaine imprimée en rouge
Dhâranî tibétaine imprimée en rouge |

© Bibliothèque nationale de France

Il faut distinguer trois types de documents parmi les plus anciennes xylographies : la dhâranî (charme magique aux formules brèves), l’image sacrée et enfin le texte. Les plus anciens imprimés retrouvés sont des charmes, qu’il s’agisse des charmes taoïques, des dhâranî d’une impératrice japonaise ou des dhâranî en sanscrit du Sichuan et de Dunhuang. Ces formules incantatoires, incompréhensibles au fidèle ou au copiste ordinaire, sont difficilement recopiables sans erreur. Or une formule n’est supposée efficace que si elle est scrupuleusement reproduite. Pour éviter une faute qui en annulerait toute efficacité, mais aussi pour diffuser les images saintes auprès du plus grand nombre, la xylographie se révélait une technique idéale. Les rouleaux aux « mille bouddhas » s’apparentent à ce type d’impressions. Même si certains copistes étaient aussi des peintres, copier un texte manuscrit était certainement bien plus rapide et aisé que dessiner fidèlement une image sainte. La xylographie permettait de populariser ces images et de toucher une population illettrée.

Faut-il attribuer le développement de la xylographie au prosélytisme de la religion bouddhique ? On peut tout au moins affirmer que celle-ci y a fortement contribué. En effet, toute copie de sûtra, toute multiplication de dessin religieux constituait pour le croyant une manifestation majeure de piété, et même un devoir. Contrairement à la diversité picturale visible dans les grottes de Dunhuang, les xylographies qui circulaient sont pour la plupart dépourvues d’originalité. Qu’il s’agisse des textes ou des images, ces documents destinés à une large diffusion sont d’une très grande banalité. Ils démontrent à l’évidence que la xylographie servait de moyen efficace et peu onéreux pour diffuser la foi bouddhique et multiplier les connaissances. S’ils n’avaient bénéficié des conditions climatiques exceptionnelles de sécheresse au Turkestan, ces documents si ordinaires ne nous seraient jamais parvenus.

Les impressions de Dunhuang à la Bibliothèque nationale de France

La BnF conserve une trentaine de documents imprimés, provenant de la grotte n° 17 de Dunhuang, par conséquent antérieurs au début du 11e siècle lorsque la grotte fut murée. Ces imprimés, le plus souvent fragmentaires, présentent des séries d’images identiques ; l’illustration y est brute, dépourvue de projet pictural et de texte. Ces documents sont communément appelés rouleaux aux « mille bouddhas », le chiffre mille étant en chinois synonyme de multitude. En réalité, le nombre total d’impressions de la même image pieuse était de beaucoup supérieur sur les rouleaux entiers. L’un de ceux-ci bien qu’incomplet ne contient pas moins de 2 030 impressions identiques disposées en rangs serrés sur près de huit mètres de long. On explique la fabrication de ces rouleaux par l’obligation religieuse des fidèles bouddhistes de répéter inlassablement les mêmes formules et de diffuser le plus largement la doctrine. Les centaines de parois décorées des grottes de Dunhuang témoignent sur le plan iconographique de ce zèle prodigieux.

Les impressions généralement à l’encre noire, peuvent parfois aussi avoir été apposées à l’encre rouge ce qui rappelle leur similitude avec le sceau. Elle se trouvent rangées horizontalement sur trois, quatre voire même sept registres superposés.

Le tracé très simple se limite à la silhouette du bouddha et à un plissé schématisé important du vêtement. Le souci quantitatif, au détriment de la qualité picturale, est évident sur ces impressions souvent trop ou pas assez encrées, parfois brouillées. L’acte de piété se manifestait moins par le soin apporté que par le nombre d’images saintes reproduites. On constate une volonté délibérée d’emplir tout l’espace disponible, les figures juxtaposées se chevauchent parfois et ne sont pas toujours rigoureusement parallèles. Cela témoigne à la fois d’une grande rapidité d’exécution de ces séries mais plus encore du mode d’impression qui reste encore celui du sceau appliqué à main levée.

Une référence textuelle du début du 7e siècle rapporte que des prêtres taoïstes imprimaient des charmes magiques à l’aide de petites plaques gravées. Les impressions se faisaient probablement à l’encre rouge et avaient une valeur protectrice. Des charmes bouddhiques imprimés de formules sanscrites magiques ont aussi été retrouvés. Les rouleaux aux « mille bouddhas » qui conservent cette valeur constituent essentiellement un acte de piété à la fois pour celui qui en l’imprimant a participé à la diffusion de l’image révérée et pour son possesseur qui a éventuellement payé les frais de production ou l’a reçu en don.

Des effigies similaires mais peintes à la main s’observent sur des manuscrits, du tissu ou les parois des sanctuaires, ou bien encore en séries moulées en relief sur des plaques votives d’argile. À l’évidence, l’impression à l’aide d’un bois apposé sur le matériau relativement peu coûteux qu’est le papier entraîne une économie de moyens et un gain de temps substantiels par rapport à l’exécution au pinceau. Parfois quelques couleurs sont ajoutées manuellement.

Sûtra de Guanyin
Sûtra de Guanyin |

© Bibliothèque nationale de France

Sûtra de Guanyin
Sûtra de Guanyin |

© Bibliothèque nationale de France

La composition d’un des rouleaux cherche à rompre la monotonie habituelle de ces séries en présentant un jeu de deux dessins différents inscrits à l’intérieur de chaque feuille qui sert d’unité : huit impressions rectangulaires placées verticalement sur les bords alternent avec quinze autres impressions apparentées mais sans cadre placées horizontalement.

On distingue une quinzaine de motifs différents dans l’ensemble des documents conservés à Paris. Certains dessins sont plus élaborés telle la composition à trois personnages. Malgré la schématisation du tracé, on note une diversité dans le traitement du vêtement, de la coiffure, du nimbe simple ou double, de la position rituelle des mains, et des postures des bouddhas représentés assis sur un trône de lotus, jambes croisées ou un pied posé à terre. Le bouddha peut également être assis à l’occidentale, les deux pieds reposant sur le sol. Cette posture se retrouve sur les huit représentations en relief d’une plaque votive en argile. Draperie ou fleurettes ornent le fond du dessin qui peut ou non être délimité par un encadrement.

Une matrice d’impression en bois

Petite matrice xylographique 
Petite matrice xylographique  |

Bibliothèque nationale de France

La seule matrice qui nous soit parvenue est un bois gravé découvert par Pelliot aux environs de Koutcha en Asie centrale. Il est de petite taille, comme l’étaient ceux qui servirent à confectionner les rouleaux. La plus petite impression mesure 5 cm x 3,2 cm, la plus grande 9 cm x 5 cm, ce qui confirme la filiation existant entre le sceau et la gravure des véritables planches xylographiques.

La surface de préhension de cette matrice est très restreinte. Elle était tenue entre les doigts à la manière d’un sceau. Les bois de plus grandes dimensions devaient être pourvus de poignées pour plus de commodité. On comprend aisément que, par suite de l’impossibilité technique de ce mode d’apposition pour des pièces encore plus grandes, on ait inversé le procédé en positionnant la feuille sur la matrice de bois restée fixe.

Une production locale

Le très saint bodhisattva Dizang
Le très saint bodhisattva Dizang |

Bibliothèque nationale de France

Ces impressions très rudimentaires sont difficilement datables. Pelliot attribuait le petit bois gravé au 8e siècle. Cette datation semblerait confirmée par l’étude des caractéristiques techniques des feuilles de papier imprimées. On peut admettre que ces rouleaux continuèrent à être confectionnés jusqu’au 10e siècle, date proposée par Whitfield.

Ces humbles témoignages permettent de fixer les premiers jalons de l’histoire de l’imprimerie en Chine mais ne doivent toutefois pas faire oublier le développement rapide de la technique xylographique ; en effet, le frontispice illustré du sûtra imprimé en 868, conservé à Londres, manifeste déjà une totale maîtrise technique. Enfin, si de nombreux monastères bouddhiques de Dunhuang entretinrent des ateliers de moines copistes et peintres, la production imprimée ne pouvait en aucun cas être comparable à celle de la province du Sichuan ou de la capitale de l’empire. Les œuvres xylographiques plus maîtrisées furent probablement importées de ces centres alors que les rouleaux aux « mille bouddhas » sont à mettre au rang de la production locale.

Plusieurs grandes éditions de textes bouddhiques entreprises peu après, à l’époque des Song, confirment l’essor de la xylographie et la pleine maîtrise de sa technique. Il faut brièvement mentionner aussi quelques éditions sans caractère religieux telles que celles des Classiques publiées par Feng Dao au Sichuan au 10e siècle dont il ne subsiste rien ou des éditions de dictionnaires. Dès avant l’avènement des Song, la xylographie tant dans le domaine religieux que laïque avait acquis une place qui ne cessera de croître pendant plus d’un millénaire.

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