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L’imprimerie en Corée

Du 8e au 19e siècle
Copie du soutra du Grand Dhāraṇī de Lumière pure immaculée, considérée comme le plus ancien imprimé xylographique connu à ce jour
Copie du soutra du Grand Dhāraṇī de Lumière pure immaculée, considérée comme le plus ancien imprimé xylographique connu à ce jour

© Lee, Seungcheol

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Dans l’histoire de l’imprimerie, la Corée occupe une place éminente en raison du développement conjoint des techniques xylographique et typographique (métallique) dès le 13e siècle, à partir d’apports chinois. À ce jour, les plus anciens imprimés connus de ces deux techniques ont été réalisés en Corée, apportant ainsi un contrepoint original à l’expérience européenne.
 

La découverte de deux trésors de l’imprimerie coréenne au 20e siècle

Au cours de la seconde moitié du 20e siècle, deux découvertes ont renouvelé la représentation de la Corée du point de vue de l’histoire de l’imprimerie au niveau international, lui conférant une position originale et éminente. La première intervint en octobre 1966, lorsque fut mis au jour le reliquaire contenu dans le stoupa dit de Śākyamuni du monastère de Pulguk à Kyŏngju, ancienne capitale du Silla (dates officielles : 57 av. J.-C. – 935 apr. J.-C.). On y trouva un long rouleau de papier imprimé en xylographie (620 cm x 6,5 cm), copie du Grand Dhāraṇī de Lumière pure immaculée, dont le dépôt avait une valeur conjuratoire. Une datation indirecte le situe dans la première moitié du 8e siècle. Il est donc considéré comme le plus ancien imprimé xylographique connu à ce jour, même si la technique employée est réputée avoir été mise au point plus tôt en Chine, à la fin du 7e siècle.

Planches d’impression du soutra du Grand Dhāraṇī de Lumière pure immaculée
Planches d’impression du soutra du Grand Dhāraṇī de Lumière pure immaculée |

© Seo Keun Won

La seconde « découverte » se situe à Paris, lors de la première édition de L’Année du Livre, en mai 1972, lorsque la Bibliothèque nationale de France, exposa ses trésors de l’imprimerie, et que parmi ceux-ci figurait le Jikji, imprimé coréen daté de 1377. L’ouvrage avait été légué à la Bibliothèque vingt ans auparavant par la famille Vever. Leur aïeul, Henri, en avait fait l’acquisition en 1921, lors de la vente aux enchères de la collection d’objets anciens d’un diplomate orientaliste français, Victor Collin de Plancy (1853-1922). Ce dernier l’avait lui-même acquis lors de son affectation en Corée à la fin du 19e siècle. Bien que déjà présenté à l’occasion de l’Exposition Universelle de Paris de 1900, l’ouvrage était retombé dans l’oubli auprès du grand public après l’annexion de l’empire de Corée par le Japon entre 1910 et 1945. Seuls les spécialistes gardaient en mémoire ce précédent dans l’utilisation de la technique de la typographie métallique (« caractères fondus »), 78 ans avant la Bible de Gutenberg.

Le Jikji, édition typographique de 1377
Le Jikji, édition typographique de 1377 |

Bibliothèque nationale de France

Ainsi, après l’imprimé du Grand Dhāraṇī, un autre texte bouddhique, recueil d’enseignement des maîtres Chan, conférait à la Corée du Koryŏ (918-1392) une position remarquable dans l’histoire mondiale de l’imprimerie : celle d’un pays qui employait, dès l’époque médiévale, les deux techniques de la xylographie et de la typographie.

La Corée : pays de l’usage conjoint de la xylographie et de la typographie

Les découvertes d’imprimés bouddhiques coréens très anciens montrent à quel point la croyance selon laquelle l’édition et la diffusion de copies des soutras – paroles du Bouddha – constituait une source de bénédiction et de rétribution dans des vies futures, fonctionna comme un moteur pour le développement de l’imprimerie dans la péninsule coréenne. L’enracinement de la foi bouddhique – introduit officiellement à la fin du 4e siècle – explique sans doute la capacité de toute une société à perfectionner une technologie venue de Chine en s’appuyant sur de puissants réseaux humains et l’appareil centralisé de l’État. L’État « bouddho-confucéen » du Koryŏ réalisa ainsi de grands projets pour assurer dans la durée la protection de son territoire et la longévité de sa dynastie. L’exemple le plus emblématique réside dans la gravure sur blocs de bois de deux imposantes collections de textes canoniques du bouddhisme ou « Grandes Corbeilles », dont la seconde, réalisée au 13e siècle (1237-1248), le Tripitaka Koreana, est toujours conservée depuis 1399 dans des bâtiments spécialement conçus dans le monastère de Hae’in qui recèlent plus de 81 000 blocs. Du point de vue de l’État, alors en exil sur l’île de Kanghwa, il était attendu d’une telle entreprise le retrait définitif des envahisseurs mongols. Pourtant, les ennemis fondèrent trente ans plus tard l’empire des Yuan (1271-1368) en Chine.

Le Tripitaka Koreana ou « Grandes Corbeilles » (ou Palman Daejanggyeong)
Le Tripitaka Koreana ou « Grandes Corbeilles » (ou Palman Daejanggyeong) |

© UNESCO ICDH

Au Koryŏ, la plus ancienne source écrite à mentionner l’usage des « caractères fondus » chuja, remonte à la première moitié du 13e siècle (v. 1234). Il y est fait mention du tirage d’un Précis sur les Rites en 28 exemplaires. Autrement dit, la mise au point de la typographie métallique dans cette région du monde ne signifia pas pour autant l’abandon de la xylographie comme technologie dépassée. Au contraire, la xylographie continua d’être majoritairement employée pour la confection des éditions de référence jusqu’à la fin du 19e siècle, alors que la typographie fonctionna comme une technique d’appoint qui présentait des avantages différents, à commencer par un moindre coût (pour les petits tirages) et la rapidité de sa mise en œuvre. En raison du nombre limité des caractères mobiles (« types ») impliqué par la rareté des ressources (main-d’œuvre et métaux), seuls convenaient des tirages de quelques dizaines d’exemplaires. Là où les blocs xylographiques gravés étaient durables, archivables et réutilisables à la demande, les « formes » typographiques devaient être démontées après avoir été utilisées pour l’impression. L’exemple du Jikji imprimé à seulement une année d’intervalle dans les deux techniques typographique (1377) et xylographique (1378) illustre bien cette complémentarité.

Dans la Corée médiévale, les principaux acteurs de l’histoire de l’imprimerie furent les réseaux humains constitués autour des monastères et de l’État, réseaux en grande partie communs. Or, l’association entre les milieux bouddhistes et l’État fut rompue à partir de la seconde moitié du 14e siècle, rupture que consomma le changement de dynastie entre les Yi de Chŏnju et les Wang de Songgak en 1392, mettant un terme à l’époque du Koryŏ.

L’imprimerie au service d’un projet de société au Chosŏn (1392-1897)

Sitôt en place, les élites du nouveau royaume du Chosŏn rejetèrent le bouddhisme en tant que religion d’État pour adopter un néoconfucianisme radical, officialisé sous les Yuan au début du 14e siècle. Ce changement de politique mit fin aux grands projets d’édition de textes bouddhiques chers à la dynastie précédente et seuls certains monastères parvinrent à continuer leurs publications sur leurs ressources propres. Le gouvernement du Chosŏn s’employa à contrôler l’imprimerie pour la mettre au service de la propagation de son nouveau modèle de société et d’État. Les premiers siècles de « confucianisation » de la société ne permirent donc pas – jusqu’au 18e siècle – l’émergence d’acteurs privés comme avaient pu l’être les réseaux centrés sur les grands monastères subventionnés du Koryŏ. L’administration joua néanmoins un rôle prépondérant dans le développement d’un environnement et d’institutions en vue du perfectionnement conjoint de l’imprimerie xylographique et typographique métallique. Dès le début du 15e siècle (1403) fut institué un « bureau des fontes de caractères » Chujaso (héritier du Sŏjŏgwŏn de 1392) qui ne cessa de créer de nouvelles fontes, 34 au total. Chacune était désignée par la combinaison des deux caractères cycliques datant l’année de leur création : par exemple, kye-mi en 1403, kab-in en 1434, chŏng-yu en 1777 d’environ 200 000 types dont 44 000 petits, et ce jusqu’à la fin de la dynastie (1910). En raison du coût des matières premières (métaux, papier), de la difficulté à mobiliser une main-d’œuvre qualifiée pour la fonte des alliages et des gravures, seul l’État était en capacité d’encadrer cette production et de réaliser de gros tirages de centaines d’exemplaires.

Caractères mobiles métalliques du Jikji créés par le maître artisan Lim In-ho, selon la technique de la cire fondue 
Caractères mobiles métalliques du Jikji créés par le maître artisan Lim In-ho, selon la technique de la cire fondue  |

© Cheongju Early Printing Museum

Reconstitution d’une plaque d’impression du Jikji par le maître artisan Lim In-ho
Reconstitution d’une plaque d’impression du Jikji par le maître artisan Lim In-ho |

© Cheongju Early Printing Museum

L’invention au 15e siècle d’un nouveau système d’écriture, alphabétique et facile à apprendre, le ŏnmun (han’gŭl), adapté à la notation de la langue coréenne, ne changea pas radicalement la donne. Certes, elle simplifia la gravure ou la fabrication des types et stimula la pratique des copies pour un lectorat élargi mais les copies bon marché demeuraient manuscrites. Les invasions japonaises de la fin du 16e siècle (1592-1598) provoquant la « Guerre d’Imjin » et le ravage de la péninsule coréenne contribuèrent cependant au perfectionnement de la typographie bois bien que celle-ci fût pratiquée depuis plusieurs siècles.

Plaque d’impression avec des caractères mobiles en bois
Plaque d’impression avec des caractères mobiles en bois |

© Cheongju Early Printing Museum

Le principal problème n’était pas tant la rapidité d’impression que la production du papier (en fibres de mûrier) qui était limitée, donc coûteuse et propre à consolider la position étatique. Dès lors, on comprend que les publications officielles véhiculant l’idéologie dominante (textes canoniques et normatifs, historiques, prières pour les défunts de la dynastie) occupèrent une place prépondérante jusqu’au 18e s. La diffusion de l’idéologie néoconfucianisme et sa conception englobante du monde et de la société fut donc largement redevable à la production imprimée xylographique chinoise depuis les Song. Toutefois, les troubles politiques qui suivirent la Guerre d’Imjin conduisirent l’imprimerie coréenne à un certain marasme jusqu’au milieu du 17e siècle. Les seules institutions encore capables d’imprimer étaient alors principalement les monastères bouddhiques, les académies confucéennes sŏwŏn (supprimées pour la plupart en 1871) et les clans privés qui éditaient des recueils d’œuvres munjip et des registres généalogiques chokpo. Toutefois, leurs productions restèrent longtemps insuffisantes pour satisfaire la demande.

L’imprimerie coréenne par rapport à l’Asie Orientale et l’Europe

Les éditions imprimées coréennes présentent de nombreux points communs avec les techniques employées dans le reste de l’Asie Orientale. La principale différence est que ce pays fit précocement un usage conjoint de plusieurs techniques (xylographie, typographie bois et métallique), alors que la xylographie restait ailleurs le modèle dominant adapté à l’écriture idéographique et à l’art de la calligraphie. La possibilité de procéder à de faibles tirages (de quelques dizaines à quelques centaines, dépassant rarement le millier) explique la rentabilité de la typographie. De plus, la marchandisation des livres n’intervint que tardivement, à partir du 16e siècle à Séoul, plus tard dans les provinces.
Ordinairement, les ouvrages coréens étaient le produit d’un assemblage de feuillets imprimés sur une matrice par brossage (manuel) sur un seul côté – en raison de la finesse et de la transparence du papier – puis pliés en cahiers in-folio au niveau du « cœur de planche » (milieu de la planche xylographique ou de la « forme ») à l’aide de repères triangulaires en « queues de poisson », de sorte que la pliure forme la tranche de gouttière. L’ouvrage était ensuite relié et assemblé grâce à couture à cinq points au bord des cahiers. Dans les bibliothèques, les livres étaient posés à plat du côté de la tranche de queue sur laquelle était inscrit leur titre.

Gravure d’une planche xylographique par Kim Gak-han, maître artisan spécialiste de la gravure sur bois
Gravure d’une planche xylographique par Kim Gak-han, maître artisan spécialiste de la gravure sur bois |

© Lee, Seungcheol

Impression d’une feuille par brossage manuel par Kim Gak-han, maître artisan spécialiste de la gravure sur bois
Impression d’une feuille par brossage manuel par Kim Gak-han, maître artisan spécialiste de la gravure sur bois |

© Lee, Seungcheol

Récupération de la feuille imprimée par brossage par Kim Gak-han, maître artisan spécialiste de la gravure sur bois
Récupération de la feuille imprimée par brossage par Kim Gak-han, maître artisan spécialiste de la gravure sur bois |

© Lee, Seungcheol

Planche xylographique et page imprimée par Kim Gak-han, maître artisan spécialiste de la gravure sur bois
Planche xylographique et page imprimée par Kim Gak-han, maître artisan spécialiste de la gravure sur bois |

© Lee, Seungcheol

L’idée européenne selon laquelle l’imprimerie typographique métallique serait révolutionnaire, déclassant la xylographie (et ses utilisateurs taxés de « conservatisme »), bouleversant les échanges et la diffusion des savoirs depuis Gutenberg, n’existait pas en Corée. L’hypothèse d’un transfert de la technologie coréenne vers l’Europe via le Vatican au 14e siècle a été récemment émise, mais elle reste à démontrer. Actuellement prédomine la thèse selon laquelle les deux techniques auraient évolué parallèlement et sans contact.
En Europe, l’imprimerie « de masse » contribuant à la modernisation de la société est postérieure à la révolution industrielle et ne date que du début du 19e siècle. Ce fut seulement en 1883 que fut introduite en Corée une imprimerie mécanisée et apte à répondre à la forte demande sociale du début de la période « moderne ».

Provenance

Cet article a été conçu dans le cadre de l’exposition « Imprimer ! » présentée à la Bibliothèque nationale de France du 12 avril au 16 juillet 2023 

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