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Quand la littérature raconte l'histoire des bijoux et des gemmes

Bijoux et trame littéraire, la cristallisation du réel
Atelier de joaillerie et de bijouterie
Atelier de joaillerie et de bijouterie

Bibliothèque nationale de France

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Si de nombreuses trames littéraires sont serties de bijoux et de gemmes, ces derniers sont plus que de simples objets décoratifs destinés à orner les doigts, les cous et les poignets des héros et héroïnes de papiers. Ils doivent davantage se lire comme une surenchère qui apporte au récit un substrat de réalité. S’ils participent à la mise en place d’un système référentiel, que disent-ils sur les valeurs et les mœurs du paysage social ? Que raconte la littérature sur le bijou, son histoire et ses savoirs 

Sociopoétique du bijou 

Selon les historiens de la littérature, Alain Viala et Paul Aron, on trouve dans les textes des écrivains du 19e siècle « une forme de sociologie spontanée1 ». Proche d’une histoire culturelle, la sociopoétique se définit comme un champ d’analyse prenant en compte les représentations sociales comme construction du texte littéraire. Il convient alors de s’intéresser aux données dévoilées sur le bijou au sein des romans réalistes, romantiques, naturalistes, symbolistes ou encore décadents. Quelles représentations le texte littéraire fait-il du bijou ? Quels éléments sont portés à notre connaissance ? Dans la mouvance des réflexions respectives élaborées par les chercheurs en littérature Alain Montandon et Sophie Pelletier, il s’agit d’aborder le bijou du texte littéraire comme véritable miroir de la société, comme indice du réel. 

L’art de paraître 

Le 19e siècle voit poindre le triomphe de la société de consommation. Avec elle émerge toute une culture marchande et industrielle, pensons à la naissance des grands magasins, d’usines à gros effectif, de nouveaux systèmes bancaires. Dans ce contexte, on remarque que la littérature laisse une place de choix, pour ne pas dire une place centrale, au bijou. Désireux de se distinguer et de conforter leurs positions économiques et sociales, certains personnages suggèrent par le port de bijoux deux tendances développées dans les travaux du psychosociologue Gabriel Tarde (1843-1904) et de l’américain Thorstein Veblen (1857-1929) : la recherche de distinction et la quête d’imitation. Avec le bijou, on se donne à voir, on se montre, on s’affirme.  

La Parure
La Parure |

Bibliothèque nationale de France

Dans un monde régi par le regard, où il faut voir et être vu, les bijoux et les gemmes participent à la parade sociale. Si chez Honoré de Balzac (1799-1850) dans La Rabouilleuse, l’héroïne Flore Brazier est décrite « comme un diamant brut, moulé par le bijoutier pour valoir son prix », ce qui se trame dans les espaces d’expression du paraître que sont les salons, le théâtre ou encore le bal trouve un écho chez Guy de Maupassant (1850-1893). Dans La Parure, l’écrivain donne à lire l’économie du bijou, la pratique du bal, l’envie de se distinguer, le devoir de se parer. Autant d’éléments qui font des bijoux, les témoins et les indices de pratiques sociales et de rites bien attestés au cours du 19e siècle.​ Le bijou sert donc d’une part d’outil de comparaison à l’écrivain, dans l’élaboration de ses descriptions, d’autre part comme sujet littéraire à part entière. 

Chaîne et montre avec grenats et cabochons
Chaîne et montre avec grenats et cabochons |

BnF

À eux seuls, les bijoux construisent tout un univers référentiel de codes et de convenances. Comme l’affirme Rose Fortassier, la mode et les toilettes qui peuplent l’univers littéraire2 informent sur les détails de la vie quotidienne et les rapports à l’apparence. En 1886, dans son œuvre Spirite, Théophile Gautier (1811-1872) aborde encore une fois la pratique du bal. La jeune fille de l’histoire se doit d’apparaître pour sa première invitation en ce lieu de représentativité des plus codés, dans une tenue bien réglementée :

« Il fallut s’occuper de ma toilette ; une toilette de bal est tout un poème ; celle d’une jeune fille présente de vraies difficultés. Elle doit être simple, mais d’une simplicité riche, qualités qui s’excluent ; une robe légère, d’une entière blancheur, comme dit la romance, ne serait pas de mise. Je me décidai, après bien des hésitations, pour une robe à double jupe en gaze lamée d’argent, relevée par des bouquets de myosotis, dont le bleu s’harmonisait à merveille avec la parure de turquoises que mon père m’avait choisie chez Janisset ; des poinçons de turquoises, imitant la fleur dont ma robe était semée, formaient ma coiffure » 

L’écrivain relaie ici d’une certaine manière les informations présentes dans les manuels de savoir-vivre de l’époque. Il appuie par ailleurs l’historicité de son récit en citant Janisset, une maison de joaillerie très en vogue durant la première moitié du 19e siècle. 

J'admire profondément tout votre passage sur l'addition ; mais vous me permettrez de vous dire que Mlle de Vardon a un singulier goût en fait de toilette. Elle porte une broche camée et un bracelet de cheveux, deux horreurs !

Gustave Flaubert à Amélie Bosquet

Dans une lettre à l’écrivaine française Amélie Bosquet (1815-1904), Gustave Flaubert (1821-1880) encense le travail fait dans Jacqueline de Vardon, mais critique les bijoux en cheveux que porte le personnage du roman-feuilleton de 1867. Connus depuis le 17e siècle, les bijoux en cheveux sont à la mode au cours des périodes suivantes. Ils peuplent ainsi le conte du Nain Jaune de la Comtesse d’Aulnoy (1651-1705), la cassette de Germinie Lacerteux des frères Goncourt et la nouvelle Antonie de Villiers de L’Isle-Adam (1838-1889).

Apprendre soi-même l'art de la coiffure
[Self Instructor in the Art of Hair Work]
Apprendre soi-même l'art de la coiffure
[Self Instructor in the Art of Hair Work] |

 © [2024] President and Fellows of Harvard College

Album illustré de dessins en cheveux
Album illustré de dessins en cheveux |

Bibliothèque nationale de France

Chez Zola (1840-1902) ou Barbey d’Aurevilly (1808-1889), les personnages sont donc parés selon les tendances du moment : flèches, épingles ou poignards sont piqués dans la chevelure tandis que le front de la maîtresse du Comte de Ravilla dans Le plus Bel amour de Don Juan (1869) est serti d’une ferronnière.

Alexandra (1844-1925), Princesse de Galles habillée en Marie, Reine d’Écosse
Alexandra (1844-1925), Princesse de Galles habillée en Marie, Reine d’Écosse |

© The Trustees of the British Museum

Éventail « Colibri rubis-émeraude brésilien »
Éventail « Colibri rubis-émeraude brésilien » |

Royal Collection Trust / © His Majesty King Charles III 2024

Boucles d’oreilles en oiseaux empaillés
Boucles d’oreilles en oiseaux empaillés |

© Victoria and Albert Museum, London

Parfois, certains protagonistes à l’instar de Paganel, dans Les Enfants du Capitaine Grant de Jules Verne (1828-1905), font état des modes en matière de bijoux - comme celle des bijoux entomologiques - quand ce n’est pas le texte littéraire qui inspire les parures à porter comme le fût le cas du Waverley Ball de 1871, commémorant le centenaire de l’écrivain Sir Walter Scott (1771-1832). 

Dans l’atelier 

Romans, poèmes et nouvelles peuvent également témoigner des connaissances et des savoir-faire acquis au fil du temps sur les bijoux et les gemmes. Entre les lignes, les écrivains parsèment des informations sur les techniques, les métiers, les conditions de vie et de travail des artisans du secteur relatif à la bijouterie et la joaillerie. Dans son roman-feuilleton Les Mystères de Paris publié entre 1842 et 1843, Eugène Sue (1804-1857) aborde le monde ouvrier et la misère de la capitale française. Au quatrième chapitre, l’auteur brosse le portrait du vertueux lapidaire Morel dont l’atelier et le logis sont situés rue du Temple, dans le Marais. Un quartier bien connu pour être durant le 19e siècle, selon l’historienne Jacqueline Viruega, dédié à la fabrique de la bijouterie-joaillerie. 

Dix ans plus tard, avec La Famille Jouffroy (1853-1854), Eugène Sue donne vie à Fortuné Sauval, un orfèvre bijoutier : « mais orfèvre à la façon de l’immortel Benvenuto Cellini ; en d’autres termes, un grand artiste ». Dans cette saga familiale réaliste, l’écrivain nous invite à pousser la porte de l’atelier de la Cour des Coches, quartier de la Madeleine, et nous décrit avec abondance de détails le métier de bijoutier. Fortuné travaille au côté du vieil ouvrier M. Laurencin dont le père semble s’être formé auprès de l’illustre orfèvre du 18e siècle, François-Thomas Germain (1726-1791). En citant des noms célèbres à l’instar de Germain ou de Cellini, Eugène Sue appuie la véracité de son propos.  

La Famille Jouffroy
La Famille Jouffroy |

Bibliothèque nationale de France

Bracelet à cassolette néo-renaissance
Bracelet à cassolette néo-renaissance |

© Bridgeman

Les personnages Catherine de Morlac et la jeune apprentie Camille attestent quant à elles de la présence des femmes au sein de la fabrique de bijouterie. Si elles sont le plus souvent derrière le comptoir marchand comme le signale Jacqueline Viruega, elles sont également, selon l’annuaire Azur, brunisseuses, monteuses, polisseuses, émailleuses, guillocheuses ou encore reperceuses. 

Atelier de joaillerie et de bijouterie
Atelier de joaillerie et de bijouterie |

Bibliothèque nationale de France

Aux descriptions techniques s’ajoutent des représentations emblématiques des acteurs du milieu bijoutier. « De vendeuse dans un Aux mille parures où tout était faux », Mlle Devoidy passe enfileuse de perles. Dans Gigi, roman de Colette, cette travailleuse confectionne les sautoirs des Américaines, des carcans de quatorze rangs et des colliers aux actrices comme Polaire.  

L'enfilage des perles
L'enfilage des perles |

Libre de droits

Chez Georges Perec dans La Vie mode d’emploi (1978), Marguerite incarne quant à elle une miniaturiste travaillant pour les bijoutiers. En 1979, Jeanne Bourin (1922-2003), dans son roman historique La Chambre des dames dresse le quotidien des Brunel, orfèvres à Paris au temps de Louis IX. En sus de décrire avec une certaine authenticité les lieux comme la rue Quincampoix et la Galerie marchande du Palais sur l’île de la Cité où les marchands merciers de l’époque vendent leurs articles de luxe, l’écrivaine évoque le personnage de Mathilde. Cette fille de joaillier, travaillant auprès de son mari orfèvre, dessine des modèles de bijoux. 

Les marchands de pierres précieuses
Les marchands de pierres précieuses |

Bibliothèque nationale de France

Gemmarum Scientia 

Aux règles de bienséance et savoir-faire techniques au sujet des bijoux, s’ajoutent au sein du texte littéraire des connaissances liées aux gemmes. Dans son recueil de poèmes, Les Amours et nouveaux échanges des pierres précieuses, qualifié d’« épopée minérale » par Robert Sabatier, Rémy Belleau (1528-1577) « recherchant curieux la semence première / La cause, les effets, la couleur, la matière / Le vice et la vertu de ce thresor gemmeux », constelle ses vers des vertus des pierres. Le poète de la Pléiade évoque également l’art de la falsification et les différents procédés employés par les faussaires du 16e siècle pour contrefaire les gemmes. La technique des pierres en doublet explicitée dans les écrits de Jean d’Outremeuse (1338-1399) dans ​Le Trésorier de philosophie naturele des pierres précieuses y est décrite lorsque des vers 121 à 130 Belleau évoque le rubis3 

« L’un d’une table redoublée
De Crystal net et non scabreux, 
Estant bien jointe et bien collée 
Une fueille rouge entre-deux, 
Sous ce Doublet et faulse glace 
Du Rubis, que le plus rusé,
Des pierres, et de leur naissance, 
Bien souvent s’y trouve abusé. » 

Le texte littéraire regorge donc d’abondantes informations sur les matières employées. Dans Vingt mille lieues sous les mers, Jules Verne donne des indications éclairées sur le corail ou encore les pêcheries de perles de Ceylan. Dans ses écrits, l’auteur s’attarde également au cœur des mines d’or du Mont Alexandre en Australie, et apporte quelques observations et extrapolations sur le diamant. Cette gemme précieuse dont Maxime Du Camp (1822-1894) détaille toutes les étapes relatives à sa taille dans En Hollande de 1858, est au cœur du roman d’aventures de L’Étoile du Sud, le pays des diamants. Verne qui s’appuie sur les expériences controversées de James Ballantyne Hallay (1855-1931) y aborde la fabrication d’un diamant artificiel. 

« Clivage du diamant »
« Clivage du diamant » |

Bibliothèque nationale de France

Koh-i-noor tel que présenté dans la grande exposition - exposé par la reine
Koh-i-noor tel que présenté dans la grande exposition - exposé par la reine |

© Victoria and Albert Museum, London

Véritable vulgarisateur des avancées scientifiques de son époque, Jules Verne n’est pas le seul écrivain à se servir des innovations techniques en matière de synthétisation du diamant comme trame de fond de son récit. Dans son chef-d’œuvre d’aventures scientificopolicières de 1912, Le Mystérieux Docteur Cornélius, Gustave Le Rouge (1867-1938) invite le lecteur dans le laboratoire de M. Maubreil au sein du manoir aux diamants. Le chimiste, aidé par Barruch s’essaie comme tant d’autres à la synthèse de l’indomptable gemme. Au sein du texte de grands scientifiques sont nommés. Henri Moissan (1852-1907) et ses théories figurent donc entre les lignes de Le Rouge. Si Moissan n’obtient en 1893 que de petits cristaux synthétisés, l’expérience de Maubreuil et Barruch se veut un succès… une réussite qui coûtera malheureusement la vie à un des deux personnages : « Meurs donc, vieux fou, rugit l’assassin, à moi le secret du diamant !4».

Le chimiste français Henri Moissan dans son laboratoire à Paris utilisant un four à arc électrique pour tenter de créer des diamants synthétiques
Le chimiste français Henri Moissan dans son laboratoire à Paris utilisant un four à arc électrique pour tenter de créer des diamants synthétiques |

© Library of Congress

Notes

  1. Paul Aron et Alain Viala, Sociologie de la littérature, Presses Universitaires de France, 2006.
  2. Voir Rose Fortassier, Les écrivains et la mode, de Balzac à nos jours, Paris, Presses Universitaires de France, 1988
  3. Rémy Belleau, Les Amours et nouveaux échanges des pierres précieuses, Genève, Librairie Droz, 1973, p.17 
  4. Gustave Le Rouge, Le mystérieux docteur Cornélius, Paris, Maison du livre Moderne, 1912-1913, p. 144. 

Provenance

Cet article a été conçu dans le cadre d'un partenariat avec l'École des Arts Joailliers, soutenue par Van Cleef & Arpels.

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