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L’Encyclopédie, emblème des Lumières

Page de garde de L’Encyclopédie
Page de garde de L’Encyclopédie

Bibliothèque nationale de France

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Au milieu du 18e siècle s’élabore, sous la direction du philosophe Diderot et du mathématicien d’Alembert, une œuvre qui n’a jamais connu d’équivalent : l’Encyclopédie. Se présentant comme un Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, elle prétend mettre à la disposition de tous l’ensemble des connaissances alors existantes.

Naissance de l’Encyclopédie

Le projet : de la traduction à l’œuvre originale

Michel Delon parle de L'Encyclopedie
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La naissance de l'Encyclopédie
Par Michel Delon

1746 : À Paris, le libraire Le Breton et ses trois associés David, Durand et Briasson, obtiennent un privilège royal de vingt ans pour la publication d’un Dictionnaire universel des arts et des sciences, traduit de la Cyclopedia or an Universal Dictionnary of Arts and Sciences d’Ephraïm Chambers. Il en confie alors la direction rédactionnelle à l’abbé Gua de Malves, de l’Académie des sciences. Celui-ci engage, entre autres collaborateurs, Diderot et d’Alembert, qui le remplacent dès l’année suivante en tant que co-directeurs.

Jean Le Rond d’Alembert
Jean Le Rond d’Alembert |

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Denis Diderot (1713-1784)
Denis Diderot (1713-1784) |

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La période est aux grandes synthèses : en quelques années, le public a vu paraître l'Essai sur l'origine des connaissances humaines de Condillac (1746), L'Esprit des lois de Montesquieu (1748), les premiers volumes de l'Histoire naturelle de Buffon (1749), autant d'ouvrages qui renouvellent la connaissance de la nature et de la société.

En 1750, le Prospectus, rédigé par Diderot, lance une souscription pour la vente d’une Encyclopédie ou dictionnaire universel des arts et des sciences en dix volumes dont deux de planches. Il en présente alors le plan en suivant l’Arbre des connaissances humaines emprunté à Francis Bacon. Ce système répartit les productions humaines autour des trois facultés, mémoire, raison et imagination et assure une mise en réseau de l'ensemble des connaissances, ordonnées selon l'ordre alphabétique. L’homme prend la place de Dieu au centre de l’univers. 

Système figuré des connaissances humaines
Système figuré des connaissances humaines |

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Une violente polémique naît avec les Jésuites, première d’une longue série. Cela n’empêche pas la parution, l’année suivante, du premier volume. Légèrement modifié, le « Système figuré des connaissances humaines » est commenté par Diderot (Observations sur la division des sciences du chancelier Bacon), tandis que le « Discours préliminaire » de d’Alembert expose les buts de la publication.

Extraits du prospectus de souscription pour l'Encyclopédie

Diderot, « Prospectus », Encyclopédie, 1750
On ne peut disconvenir que, depuis le renouvellement des lettres parmi nous, on ne doive en partie aux...
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Une histoire mouvementée

L'histoire de l'Encyclopédie connaît de nombreuses péripéties. Le premier volume paraît en 1751 avec privilège. Dès la fin de cette année, les Jésuites attaquent l'entreprise à travers un de ses collaborateurs, l'abbé de Prades, dont les thèses de théologie, jugées « sensualistes », sont condamnées par la Sorbonne. Au début de 1752, le Conseil du roi interdit la diffusion des deux premiers volumes.

C'est grâce à l'appui de Malesherbes que Diderot et d'Alembert pourront continuer leur tâche. Afin de déjouer la censure, les encyclopédistes déplacent ironiquement les développements sulfureux d'un article attendu à un autre qui l'est moins et organisent un jeu de cache-cache entre rédacteurs, lecteurs et autorités. Mais les attaques deviennent plus vives en 1757, après l'attentat de Damiens qui alourdit le climat politique. C'est l'année de parution du septième tome, qui contient l'article « Genève » dans lequel d'Alembert souligne le socinianisme des pasteurs de cette ville. Cette association à la doctrine de Fausto Socin suscitant la vive protestation des religieux concernés, ainsi que celle du parti dévot en France.

En 1759, après ces diverses confrontation entre les pouvoirs, notamment religieux, et les rédacteurs de l’Encyclopédie, le Parlement est appelé à examiner l’ouvrage. Il le juge subversif. Le roi révoque alors le privilège acquis en 1746, ordonne le remboursement des souscripteurs et décrète la destruction par le feu des sept volumes de l’Encyclopédie, tandis que le pape Clément XIII met l’œuvre à l’index. L’élaboration de l’Encyclopédie se poursuit alors dans l’ombre.

Les planches

Afin d'échapper à la banqueroute, les Libraires-Associés, avec Malesherbes et Diderot, décident de rembourser les souscripteurs en leur proposant des volumes de planches. Un nouveau privilège est accordé pour un Recueil de mille planches en taille-douce sur les sciences, les arts mécaniques, avec les explications des figures en quatre volumes in-folio

Les adversaires de l'Encyclopédie ne désarmeront pas pour autant, bientôt surviendront les attaques de Fréron, Lefranc de Pompignan et Palissot ainsi qu'en 1759 l'affaire des « plagiats », à propos des planches, qui oppose les Libraires à l'Académie royale des sciences. 

Tailleur d’habits et outils
Tailleur d’habits et outils |

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La manufacture royale de Langlée près de Montargis
La manufacture royale de Langlée près de Montargis |

© Bibliothèque nationale de France

Censure et impression clandestine

Cependant en 1762, Diderot et les Libraires-Associés voient disparaître leurs plus virulents adversaires, les jésuites, après la condamnation papale et la suppression de leur ordre. Si la démis­sion de Malesherbes en octobre 1763 semble laisser le philosophe sans protection, son successeur, Sartine, reste favorable à l'entreprise. Par ailleurs, pour adoucir certains passages jugés trop virulents, l'éditeur Le Breton n'hésite pas de son côté à censurer certains articles des encyclopédistes destinés aux volumes à venir. Cela suscite en 1764 la colère de Diderot, qui menace ainsi l'éditeur dans une lettre : « Les cris de MM. Diderot, de Saint-Lambert, Turgot, d'Holbach, de Jaucourt et d'autres, tous si respectables pour vous et si peu respectés, seront répétés par la multitude ».

Catherine II propose au philosophe de venir achever l'Encyclopédie chez elle en Russie. Les derniers volumes sont pourtant imprimés en 1765 à Paris, avec la complicité tacite des autorités, sous le couvert de Samuel Fauche, un des éditeurs de la Société typographique de Neuchâtel. Les onze volumes de planches paraissent quant à eux jusqu’en 1772.

Le passage sous la presse
Le passage sous la presse |

© Bibliothèque nationale de France

Les souscripteurs auront reçu 17 volumes de textes et 11 de planches, ainsi qu'un frontispice gravé par Charles Nicolas Cochin : sur fond de portique grec, la raison entreprend de dévoiler la vérité, au milieu de toutes les muses et sciences, portant les attributs de leur discipline. Le tirage a été de 4 225 collections dont 2 000 semblent avoir été diffusées en France et 200 et quelques à l'étranger. Diderot a accompli sa tâche, il peut partir pour Saint-Pétersbourg.

La réédition de Pancoucke

Le texte encyclopédique n'en finit pourtant pas de se répandre et d'essaimer. Dans les années qui suivent, le libraire de l’Imprimerie royale et de l’Académie des sciences, l’éditeur Charles-Joseph Pancoucke, cherche à rééditer l’ouvrage malgré l’opposition de Diderot. En 1776-1777, cinq volumes de Supplément au Dictionnaire raisonné, dont un de planches, sont publiés à Paris et Amsterdam. Diderot et la plupart de ses collaborateurs n’ont pas participé à la rédaction, organisée par Condorcet et Lalande. Marmontel signent les articles de littérature, tandis que la nouvelle esthétique allemande apparaît dans plusieurs articles sur les Beaux-Arts. Des éditions sont publiées en Italie et en Suisse, à Lucques de 1758 à 1776, à Livourne de 1770 à 1776, à Genève de 1771 à 1773. Des éditions in-quarto puis in-octavo prennent le relais à Genève, à Neuchâtel, à Berne, à Lausanne, à Yverdon. 

C'est ensuite l'Encyclopédie méthodique, contrôlée par Panckoucke, qui réorganise la matière en rompant avec l'ordre lexical et en composant des ensembles par disciplines. Le projet militant laisse souvent place à un monument, construit souvent par les représentants des institutions officielles. Le prospectus fait appel aux souscripteurs en 1782. Le premier volume paraît dix ans plus tard. La collection devait comprendre quarante-deux volumes in-4° ou bien 84 volumes in-8° de texte. Elle comprendra finalement, en 1832, 157 volumes de texte et 53 de planches. L'entreprise assure la transition d'un siècle à l'autre.

Une autre façon d'aborder la connaissance

Des savoirs organisés

L’Encyclopédie n’est pas le premier ouvrage qui cherche à compiler des savoirs. Mais elle se démarque de ses prédécesseurs dans la façon d’aborder la connaissance. La philosophie dont se réclame l'entreprise est en effet à la fois abstraite et concrète, conceptuelle et pratique. 

Dès la rédaction du Prospectus (1750), en choisissant de présenter la division des sciences suivant l’arbre, ou « système figuré des connaissances humaines » inspiré de Bacon, Diderot se place hors du projet initial de traduction de Chambers.

Ce système dessine les relations de dépendance et de voisinage entre les savoirs, qui, selon d’Alembert, « peuvent se réduire à trois espèces : l’histoire, les arts tant libéraux que mécaniques et les sciences proprement dites, qui ont pour objet les matières  de pur raisonnement ». La philosophie constitue le tronc de l’arbre et la théologie n’en est plus qu’une branche éloignée.

Dans son Discours préliminaire, d’Alembert, énonçant les principes de l’entreprise, spécifie que la connaissance vient des sens et non de Rome ou de la Bible. L’Encyclopédie place l’homme au centre de l’univers. Présentée comme une œuvre de compilation, elle n’en est pas moins un manifeste philosophique.

Un système de renvois très élaboré

Le tableau des connaissances laisse entrevoir au lecteur les différentes opérations de jonction, de déplacement, de hiérarchisation, qui constituent, d’après d’Alembert, la supériorité du dictionnaire encyclopédique : « Montrer la liaison scientifique de l’article qu’on lit avec d’autres articles qu’on est le maître, si l’on veut, d’aller chercher ».

Cette liberté offerte au lecteur est toutefois éclairée par un système de renvois très élaboré, qui permet de créer des connexions entre les sciences, de compléter, de reconstituer l’enchaînement des causes, et qui fait de l’Encyclopédie le Dictionnaire raisonné qu’elle prétend être.

L’objectif de ces renvois est double : remédier, certes, à l’ordre alphabétique qui empêche de traiter d’une science dans son intégralité ; mais aussi, plus sournoisement, déjouer la censure pour exprimer des idées non conformes à celles reconnues par l’Église et l’État. Ainsi, l’article « Cordeliers », plutôt élogieux vis-à-vis de cet ordre, renvoie à « Capuchon » où les religieux sont ridiculisés ; la « Constitution Unigenitus » est critiquée à l’article « Controverse » et « Convulsionnaire » ; enfin, les attaques les plus virulentes contre l’absolutisme politique ou religieux sont contenues dans des textes aux titres les plus anodins (l’article « Genève », rédigé par d’Alembert, renferme une violente critique du parti dévot français et des prêtres genevois) ou les plus saugrenus (dans « Aschariouns » et « Épidélius » on trouve une dénonciation des absurdités du christianisme).

Le savoir à portée de tous

Une autre préoccupation des encyclopédistes apparaît constamment dans leur ouvrage : mettre le savoir à la portée de tous. L'Encyclopédie s'adresse à un public, réunissant gens de loisir et gens de métier, mêlant la culture classique aux techniques contemporaines de l'agriculture et de l'artisanat. Le système des renvois invite chaque lecteur à dessiner son propre itinéraire à travers le labyrinthe du savoir. La diversité des disciplines permet des utilisations professionnelles et individualisées des volumes.

La multiplication des illustrations participe aussi de cette volonté, l'Encyclopédie proposant une réelle complémentarité entre la partie proprement rédigée et les planches qui suivent. Diderot utilise des recueils existants (dont la Description des arts et métiers préparée par l'Académie des sciences) et emploie une équipe de dessinateurs et de graveurs.

Un coup d’œil sur l’objet ou sur sa représentation en dit plus long qu’une page de discours.

Diderot, Prospectus de l’Encyclopédie, 1750

L’iconographie se développe d’autant plus qu’après l’interdiction de l’Encyclopédie autorisation est donnée de publier un recueil de planches. L’image devient alors prioritaire. Elle n’est plus illustration au service d’un texte : c’est au contraire le texte qui explique l’image.

Gravure, manière de faire mordre à l’eau forte
Gravure, manière de faire mordre à l’eau forte |

Bibliothèque nationale de France

Gravure en taille douce : techniques pour calquer, graver, tailler, ébarber
Gravure en taille douce : techniques pour calquer, graver, tailler, ébarber |

Bibliothèque nationale de France

À travers leur œuvre, les encyclopédistes ont fait passer leur idéal philosophique : diffuser auprès du plus grand nombre un savoir libre de tout préjugé, de toute superstition, mesurer les connaissances à l’aune de la raison, enfin, fournir un matériel pour, comme Diderot le proclame dans l’article « Encyclopédie », « changer la façon commune de penser ».

Cet ouvrage produira sûrement avec le temps une révolution dans les esprits, et j’espère que les tyrans, les oppresseurs, les fanatiques et les intolérants n’y gagneront pas. Nous aurons servi l’humanité.

Lettre de Diderot à Sophie Volland, 26 septembre 1762

En plaçant l'homme au centre de l'univers, l'Encyclopédie marque une étape essentielle dans l'histoire de l'humanité. Elle est liée à tous les mouvements de pensée de la fin du siècle, aux progrès de « l'entendement de l'homme ». Son influence est difficile à cerner mais immense, comme en témoigne le succès de l'encyclopédisme du 19e siècle et l'émergence de nouvelles sciences que l'ouverture au monde de l'Encyclopédie a largement favorisée.

Provenance

Cet article provient du site Les Essentiels de la littérature (2015).

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